acte4

 

Pour introduire cet Acte IV, je souhaiterais parler de ceux qui sont une invitation au voyage et qui sèment de leur seule présence des graines d’infinis…

 

Nous surprenons parfois furtivement leurs regards et le vertige nous prend tant il est de grandeur et de simplicité. En ces instants nous transpirons toutes nos théories et notre corps sont comme lavés de tout jugement.

Il y a là comme les signes offerts et vivant de la communion…

 

Ils n’enseignent pas. Leur présence seule suffit.

Ils n’expliquent pas. Car ils savent que la réalité change et évolue à chaque instant, tout comme l’eau du fleuve emportée par le courant de la vie.

Ils ne parlent pas. Ils sont comme l’eau du fleuve, à la fois stable et changeant. Ils peuvent se perdre mais ne se perdent jamais eux-mêmes.

C’est la plante, l’oiseau ou la rivière qui les reconnaissent de simplicité. Là où ils portent leurs regards, la vie suit simplement son cours…

 

Porteurs de blés sous le fardeau du quotidien, semeurs de possible sous le vent et les tempêtes, je veux parler de ceux qui passent silencieusement… Qui ont vécu milles orages et qui, toujours, gardent le sourire. Ils sont comme habités d’une indicible sérénité sans faille. Ils ne parlent pas car ils savent que le silence est d’or et que la transformation est d’une autre étoffe que celle des mots.

Ils passent tels des anges de silence et lorsque nous fixons leurs regards, nous croisons alors des fragments d’étoiles qui font de nous des petits enfants rêveurs. Il y a dans leurs yeux les signes de notre propre éternité. Et toutes nos belles théories de sable s’effacent sous le souffle étoilé de leur présence. Ils sillonnent le monde et sans raison ni accent, nous ouvrent les portes de la simplicité.

Mais ce n’est pas n’importe quelle simplicité. C’est une simplicité nimbée de clarté. Une simplicité habillée d’essentiel qui fait de nous des êtres de communion et non plus de séparation.

 

Ils nous apprennent le sens du voyage. Ils nous apprennent à communier avec le monde. Loin des rivalités, des accents aigus et aigris de l’intolérance, il nous ouvre aux signes de la fraternité… Le voyage devient alors un hymne à l’amour inconditionnel.

 

Homme, mon frère, je suis de toi comme tu es de moi, et j’accepte de voir en toi l’écho de ma nature profonde…

 

*

 

Il nous arrive, quelques frères et moi-même, de sillonner des sommets enneigés afin de nous alléger d’un monde devenu trop pesant. Là ou règnent les neiges éternelles et souveraines, ne reste plus de place pour l’arrogance. S’élever, c’est entrer dans le silence et communier, c’est prendre de la hauteur pour mieux comprendre sa propre vie. Celui qui s’élève arrête de coller aux choses…

Marcher, c’est se déplacer. Mais c’est avant tout méditer silencieusement et faire corps avec la montagne. La montagne n’est pas de pierre, mais de chair. Elle n’est pas figée mais bien vivante et son langage est celui des géants qui croisent l’histoire des hommes. Du haut de son silence minéral, la montagne connait les grands chocs de civilisation et la fragilité des croyances…

Mais l’homme a perdu l’usage du langage. Non que l’homme ne sache plus parler mais qu’il a oublié, à force de trop vouloir, de communiquer sans les mots, de communier en silence. Et c’est bien le silence qui permet de comprendre le mutisme des géants de pierre qui sillonnent le monde.

Ils restent, bien après toutes civilisations humaines, les témoins minérals des formes de vie plus fragiles qui se sont succédées sur la terre…

 

Mais voici qu’un petit cortège d’homme s’avance maintenant en direction de ces géants de pierre. Ce cortège ne communique plus avec les mots car il sait que ce qui vient à eux est d’une toute autre étoffe. Ce qui vient à eux est d’une réalité minérale sans âge.

Nous avançons et nous nous élevons. La végétation laisse place à la pierre. Et la pierre s’efface finalement pour se fondre dans l’immaculée blancheur des étendues neigeuses. Les pas se succèdent et laissent des empreintes de silence qui tracent une neige durcie par le froid ; ne reste de notre passage que des traces invisibles…

Les versants de pierre se déchirent parfois et résonnent d’un grondement profond qui nous laisse homme de paille. Nous ne sommes plus des humains ici, mais des voyageurs d’un autre temps qui côtoyons l’éternité minérale. Le vent souffle, froid et sec, chargé d’une mémoire qui nous enivre…

Au loin nous apercevons le refuge. Nous devons avancer car le soleil entame son dernier quart et il reste encore un glacier à traverser…

 

Devant nous, une étendue de glace craquelée de sillons cyclopéens. Les muscles fatigués, nous demandons au règne minéral de soutenir et guider nos derniers pas. Nous devons économiser nos forces, aller à l’essentiel. La fatigue est bien là et nous avons l’impression de perdre de la vitesse, de ralentir.

Et c’est habité d’une immobilité presque parfaite que nous atteignons finalement le refuge de pierre…

 

Nous déposons nos affaires. Nous nous posons alors et nous reposons. Notre regard est vidé de toute volition. Il n’est plus que communion et silence…

Nous mangeons. Notre visage n’est plus que sourire…

 

Dehors la nuit se dessine. Le ciel est pur et transparent. Nous avons l’impression de pouvoir lire les constellations à cœur ouvert.

Quelque chose émerge des étoiles…Le silence est si dense et si profond que l’on se perd dans une contemplation silencieuse, offerte aux murmures de l’indicible.

Il y a là tant de transparence et de simplicité que la pensée ne peut que se taire. Le regard se perd dans l’infini des étoiles. Nous devenons nous-mêmes ce que nous regardons. Nous devenons nous-mêmes les étoiles…

 

En contrebas dans la vallée, et à mesure que la nuit s’avance, des maisons s’habillent de lumière, d’autres s’éteignent. De là ou nous nous trouvons, du haut de nos 3000 mètres, la lumière n’est pas d’un simple geste qui est d’allumer une ampoule. Ces lumières, mises ensemble, enfantent un visage. Un visage qui traduit une aspiration si forte et si profonde qu’il parvient à éclairer l’obscurité ; c’est la lumière des hommes qui dessine le visage de Dieu sur terre.

Les lumières des hommes sont les étoiles du ciel sur terre. Et là ou la lumière demeure, les hommes sont reliés au sein même d’une fraternité de lumière.

 

Et je me tiens là, dans ce refuge de pierre, soutenu par ces deux pans de roche gigantesque comme deux ailes minérales. Et ce sont alors mes propres ailes qui, pour quelques instants, se déploient de sérénité et embrassent la vie…

 

*

 

De notre périple, il reste bien plus qu’une simple performance physique. Il y a là une dimension qui nous échappe et nous construit. Aussi petit que soit l’homme face aux gigantesques cirques de pierre qui défient le regard et font penser à des colosses endormis, gardiens et veilleurs d’éternité, le passage est possible. Un pas après l’autre tout simplement…Chaque pas nous révèle à nous-mêmes et nous instruit.

 

Et il en est de la montagne comme de la femme qui vous tient silencieusement d’amour dans ses bras offerts.

De mémoire d’homme, il n’est rien de comparable. De mémoire d’homme, les mots ne suffisent plus à exprimer ce qui se tient là…

 

Car c’est bien l’éternité qui baille à la frontière des mots…

 

Et maintenant nous reposons dans la paix Dieu…

 

Fraternellement,

 

Alain