512998par Bernard Klein – http://vous-y-etes.com/

Parmi les différents symptômes observés dans les cas de schizophrénie, comme dans d’autres maladies mentales, certains ressemblent étrangement aux états de conscience et aux comportements que traversent beaucoup de chercheurs spirituels dans leur quête de l’Eveil.

Le schizophrène entend fréquemment des voix. Ce fut le cas, également, de nombreux mystiques, à commencer par Jeanne d’Arc.

De la même manière, il lui arrive d’avoir des hallucinations. Combien de Chrétiens ont vu la vierge Marie ? Combien d’Hindous ont rencontré Krishna au détour du chemin ? On ne les compte évidemment plus !

On dit, d’autre part, que le schizophrène développe des idées délirantes, des pensées non-conformes à la logique conventionnelle ; mais la spiritualité, trouve-t-elle, elle-même, d’autre voie d’expression que celle de la pensée non conventionnelle ?

Le schizophrène semble fréquemment passionné par l’idée de Dieu ou tout autre concept emprunté à la religion, et un certain mysticisme, considéré comme délirant, caractérise dans des proportions massives cette maladie mentale.

Un délire, certes, mais qui peut en bien des points être comparé à celui de la personne en transe lors de pratiques religieuses à tendance chamanique.

On sait aussi qu’il arrive au schizophrène d’éclater de rire en commentant des événements tragiques. Mais de semblables explosions des zygomatiques ont également été relatées lors de tortures subies par des Cathares.

Pour ce qui concerne les symptômes dépressifs liés à la schizophrénie, le parallèle avec la vie spirituelle est sans doute encore plus étroit.

Le schizophrène, nous dit-on, manque de motivations. Or, le chercheur spirituel, dans son détachement progressif, perd aussi toutes ses motivations.

Quel intérêt peut-on avoir pour les affaires du monde, alors que nous avons accès au vaste océan de la Conscience ?

À un autre niveau, la présence de sentiments assez similaires à la dépression est constatée dans nombre d’écrits sacrés.

On se souvient, par exemple, des lamentations de Job dans l’Ancien Testament, ou des considérations sur l’existence formulées par un Bouddha qui répétait constamment que « la naissance est souffrance, la vie est souffrance et la mort est souffrance »…

Lié ou non à cette perte de motivations, l’isolement est encore un point commun entre le schizophrène et le chercheur spirituel, notamment lorsque ce dernier opte pour la vie monastique ou pour l’ermitage.

Autre conséquence possible de cette perte de motivation et de cet isolement, l’affaiblissement des émotions est partagé par le schizophrène et le spiritualiste en cheminement.

L’émotion étant reçue comme une perturbation dans une conscience qui se doit de rester sereine, il va sans dire que le moine et le méditant travaillent toujours à la disparition, ou tout au moins à l’amenuisement drastique, de leurs émotions.

Enfin, plus troublant encore, le schizophrène perd en partie conscience de son identité ou de son corps, ce qui est aussi un des objectifs principaux de la quête spirituelle qui pose à priori que l’identité est une illusion et que l’identification au corps est à l’origine de l’Ignorance.

 

La différence spirituelle

 

Toutes ces similitudes, même si elles semblent saisissantes, ne sont évidemment qu’apparentes.

Tout d’abord, entre le délire mystique et la mystique, la différence est nommée : c’est le délire.

D’autant que ce délire schizophrénique est strictement personnel, alors que l’on peut qualifier le discours non conventionnel de la spiritualité de transpersonnel ou d’impersonnel.

N’en déplaise aux matérialistes et autres rationalistes, si le discours spiritualiste était délirant, il ne pourrait, en toute logique, démontrer une telle universalité transcendante dans toutes ses expressions ethniques et à travers toutes les époques de l’histoire.

Il est vrai que le malade mental est souvent obsédé par ce que les psychiatres appellent très improprement l’idée du religieux, ou l’idée de Dieu, mais cette idée ne sert en l’occurrence d’autre maître que son ego.

Ce malade mental se sent en effet pratiquement toujours investi personnellement d’une mission… quand il n’est pas carrément la réincarnation de Jésus Christ ou Dieu lui-même.

On assiste là à l’exacerbation pathologique d’un orgueil auquel la religion seule, à cause de son éminence même, peut servir de support.

En revanche, dans le cas du chercheur sincère, et a fortiori du Maître spirituel réalisé, l’identification à l’Absolu s’accompagne indissociablement de l’humilité la plus authentique, la plus totale et la plus naturelle.

Il en va de même du problème de la dépression, qui reste, dans sa version schizophrénique, indistinctement lié à l’ego.

Même si la dépression commune témoigne d’un relatif dégoût pour les choses de ce monde, il n’en demeure pas moins qu’elle s’enracine dans la nostalgie d’un passé où l’attachement à ces mêmes choses semblait vouloir assurer le ruissellement d’une inextinguible source de plaisir.

La « dépression sacrée », au contraire, n’est qu’une étape dans la recherche spirituelle, où le moi, de par sa nature, doit se détacher des artifices de ce monde.

Enfin, si beaucoup de maîtres spirituels se sont exprimés en des termes assez négatifs au sujet de l’existence et du monde, il ne faut nullement y voir le signe d’un état dépressif mais plutôt de la volonté d’offrir à leurs disciples un enseignement capable d’anéantir les causes de leurs attachements.

Le monde, la matière, le corps physique et même l’ego ne sont évidemment ni bons ni mauvais, mais le mental dualiste cultive la croyance qu’ils sont bons, et par conséquent s’y attache.

Aussi, le travail du Maître consiste-t-il, la plupart du temps, à éclairer l’autre versant de la dualité, et à rappeler que la vie est impermanence.

 

Seul l’homme éveillé est sain

 

Quant aux hallucinations, qu’elles soient visuelles ou auditives, s’il est vrai qu’on ne peut les considérer comme relevant de la norme, sont-elles pour autant pathologiques ?

Ici, il convient de s’interroger sur la nature de la maladie mentale ordinaire, celle qui affecte l’ensemble des populations dites normales.

Car l’a priori – selon lequel l’homme normal serait sain ou l’homme sain serait normal – sur la base duquel la psychologie occidentale fonde ses recherches, cet a priori doit être sérieusement remis en question.

En réalité, le seul homme sain est l’homme éveillé !

En conséquence, tous ceux qui ne sont pas éveillés fonctionnent anormalement.

Ceci implique qu’un psy fonctionnant, comme tout le monde, anormalement, ne possédera d’autre norme que l’anormal et ne pourra que faire fausse route aussi bien en termes de thérapeutique que de diagnostic.

Il est évident que le psychiatre matérialiste qui poussa le ridicule jusqu’à présenter les créateurs des grandes religions comme des épileptiques ou des hystériques et la méditation bouddhique comme une « catatonie artificielle » était très probablement sincère.

Mais il commettait simplement l’erreur monumentale de confondre la santé mentale avec cette norme psychique qui, en réalité, est si malsaine que l’humanité a, depuis toujours, tenté de s’en échapper par tous les moyens, à commencer par la drogue et l’alcool.

Les expériences hallucinatoires traversées par les mystiques sont connues depuis des millénaires par des sages qui ne les ont pas plus classées parmi les maladies que parmi les preuves de santé.

Ce sont, tout simplement, des manifestations d’un mental qui, quotidiennement travaillé par la quête, subit de nombreux réajustements.

On pourrait comparer ces réajustements à des glissements tectoniques provoquant autant de tremblements de terre et d’éruptions volcaniques.

Les transpersonnalistes les appellent des « crises d’émergence spirituelle ».

Et ces crises surviennent lorsque l’esprit se tourne vers l’intérieur et/ou lorsque l’individu s’isole, comme par exemple en devenant moine.

Alors que l’isolement du schizophrène lui est imposé par un psychisme qui se referme d’une manière dangereusement entropique sur lui-même, l’isolement du moine, au contraire,  facilite la remontée, comme la crème à la surface du lait, des imprégnations subconscientes et inconscientes à la surface de la conscience.

Quel est, finalement, le secret du moine ?

Eh bien, tout comme la crème remonte dès qu’on arrête de brasser le lait, les miasmes de l’ego remontent en pleine lumière dès qu’on évite le brassage relationnel.

Alors, à la faveur de l’isolement, surviennent les visions.

 

Rien que le Réel

 

C’est tout le corps, avec son centre apparemment le plus vital pour la conscience, le cerveau, qui est pris en otage du processus de la spiritualité.

C’est tout l’esprit qui est pris dans l’étau de la nécessité absolue de se rendre au Réel, un Réel qui ne saurait en aucun cas se contenter des structures psychophysiologiques mises temporairement en place pour satisfaire aux exigences de l’ego.

Aussi, cet esprit, malgré ou grâce à des collapsus de l’équilibre mental vertigineusement proches de la névrose ou de la psychose, se conforme-t-il à la lente érosion que la Conscience exerce sur les lourdes habitudes de la petite personne.

Lentement mais sûrement, à la faveur des flux et reflux de l’Océan de Conscience, les irrésistibles lames des révélations spirituelles viennent quotidiennement déchiqueter l’orgueilleux rocher des certitudes pour que s’ouvre, toujours plus béante d’amour, l’acceptation de ce qui Est.

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