J’ai aperçu en ce mois de printemps une femme d’âge mûr qui dansait au pied d’un chêne centenaire. Cette femme ne prononçait aucun mot mais son silence était si éloquent qu’il conviait à communier avec le cœur même de l’humanité.
… Et de sa seule présence, elle m’a licencié d’amour…
Et maintenant, à chaque matin de promenade parfois joyeuses, parfois tourmentées de trop de questions et de jugements, je salue un arbre de haute stature qui lance ses branches dans l’azur. C’est un arbre que je caresse du regard et qui en retour me souffle des cantiques oubliés.
Alors je m’assois au creux de son corps d’écorce, relève la tête et écoute le bruissement de ses feuillages ; il y a là tant de vie que je ne suis plus que gratitude.
Et c’est ainsi qu’à chaque matin d’aube chantante, pétri de pluie ou de soleil, une rencontre se fait simplement entre un homme et un chêne centenaire…
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Je perçois souvent les mots comme cette branche échouée sur la berge… La branche des mots peinent à exprimer l’océan de la vie.
Parfois les mots ne parlent que de la branche et taisent l’essentiel qui est de l’océan et du soleil qui donnent vie au voyage.
Comment les mots pourraient-ils exprimer toute cette vie de grâce qui s’exprime et nous traverse à chaque instant ? Comment les mots pourraient-ils exprimer cette nuit noire de l’âme lorsque l’océan de la vie se retire, nous laissant ivre de faiblesse ?
D’un coté se tient l’espace limité des mots, et de l’autre l’espace illimité de la vie. Afin que les mots ne trahissent pas la vie, il y a un pont qui les relie ; le pont de l’innocence…
Je veux parler ici à ceux qui écrivent et transmettent :
– Lorsque le pont du langage se déploie dans le cœur de l’homme, alors le voyage commence et peut être partagé sans compromission, sans relation conditionnelle… Le voyage esquisse alors notre unité une et indivisible.
Il nous soustrait d’une histoire humaine qui nous heurte de contradictions et nous arrache à nous-mêmes.
L’écriture retrouve alors sa vocation première et originelle, qui est celle d’un acte d’amour sans condition ni compromission, qui nous relie au monde et nous hisse sur la pyramide d’une fraternité inconditionnelle…
Que se passerait-il en ce monde si soudainement les mots célébraient le silence et nous conviaient aux signes de notre propre renaissance ? Que se passerait-il si soudainement les mots arrivaient à nous initier aux signes de notre véritable identité ?
Est-ce de violence et de culpabilité que nous grandirons, ou de l’offrande au monde de ce que nous portons au plus profond de nous-mêmes ? N’est-ce pas en notre nature profonde de faire éclore dans le monde le joyau de notre âme ?
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Oui, nous sommes parfois telle cette branche épuisée, échouée sur le sable de nos désillusions. Oui, nous sommes parfois ces éclaircies d’âme qui font du monde un lieu enchanteur, serti de clarté.
Nous portons en chacun de nous des paysages intérieurs que nous déroulons sur le fil d’Ariane de nos vies. Ce fil se déploie au travers des hasards de la vie qui nous construisent de discernement et nous permettent de sortir du labyrinthe de nos croyances.
Le voyage que nous effectuons sur terre nous invite à ouvrir les portes de nos paysages intérieurs. Les rencontres que nous faisons au hasard de la vie nous poussent parfois dans nos derniers retranchements de raison…
De nuages en éclaircies, de morts en renaissances, le voyage nous rend à une intelligence que nos conditionnements ont verrouillée.
Il nous apprend à lire, au-delà des formes, les indices qui se lèvent au quotidien dans l’ordinaire de nos vies. Il nous apprend à voir derrière le monde visible, ce qui échappe au monde visible. Il nous apprend à libérer le regard que nous posons sur le monde…
Le voyage nous confronte à des paradoxes pour nous rendre à nous-mêmes. Au travers de contradictions, il nous invite à parcourir les limites de nos paysages intérieurs afin de nous en affranchir.
Finalement, le voyage nous pétrit de devenir en nous apprenant à mourir de nous-mêmes. En cela il nous invite à grandir au sein d’une unité qui à la fois nous dépasse d’entendement, et nous accueille de sérénité.
Et c’est en cela que la vie nous offre certainement un des plus inestimables cadeaux qui puisse être : la chance de renaître à nous-mêmes.
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Nous avons pendant longtemps vécu dans un obscurantisme qui a éclipsé notre soleil intérieur, éclipsant par là même notre propre rayonnement solaire. En cela nous avons cautionné et nourrit, parfois inconsciemment, notre propre obscurité.
Car sans ce principe solaire, nous restons aveugles et nous nous cloisonnons dans la peur et la séparation. C’est ce principe qui participe à la clarté du jour naissant pour fonder un état de fraternité.
Laissons-donc simplement la vie nous guider vers notre véritable nature originelle. Les signes sont partout pour qui souhaite voir au-delà des apparences.
Que la vie nous enseigne la simplicité, le goût joyeux et fécond de l’essentiel. Qu’elle nous guide sur le chemin de l’empathie et de l’éveil… Qu’elle nous enseigne l’inconditionnel.
Il y a, au-delà de toutes nos hypothèses de raisons, de tous nos conflits de déraisons, tant de raisons d’aimer, et ce qui nous unit est bien plus vaste que tout ce qui nous divise.
Nous sommes les fils des étoiles, constitués de poussière stellaire, évoluant de mondes en mondes afin de nous construire d’éternité…