Le gaspillage alimentaire pèse lourd sur l’environnement
© Jonathan Bloom, Nick Saltmarsh / FAO
Le gaspillage effarant de 1,3 milliard de tonnes de nourriture chaque année n’est pas juste un immense gâchis et une lourde perte économique, c’est aussi un grave préjudice pour les ressources naturelles dont l’humanité dépend pour se nourrir, indique un nouveau rapport de la FAO paru le 13 septembre.
Pertes et gaspillages alimentaires : définitions
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), « les pertes alimentaires sont la réduction involontaire de nourriture disponible pour la consommation humaine. Elles sont le résultat de chaînes d’approvisionnement inefficaces, de mauvaises infrastructures et logistique, d’un manque de technologie, de compétences, de connaissances et de capacités de gestion. Elles interviennent essentiellement aux stades de la production- après récolte et transformation, par exemple lorsque la nourriture n’est pas récoltée, ou qu’elle est jetée parce qu’elle a été endommagée durant la transformation, le stockage et le transport. »
Le gaspillage alimentaire se réfère aux aliments parfaitement comestibles jetés intentionnellement, principalement par les commerçants et les consommateurs.
1,3 milliard de tonnes de nourriture comestible perdue
Dès 2011, la FAO lançait l’alerte : un tiers des aliments produits chaque année dans le monde pour la consommation humaine, soit environ 1,3 milliard de tonnes (soit 186 kg / an / hab), est perdu ou gaspillé ! Dans l’UE27 (Union Européenne des 27) en 2006, le gaspillage alimentaire représentait 89 millions de tonnes par an, c’est à dire 243 000 tonnes par jour.
Si ces indicateurs effarants sont de plus en plus exposés au grand public, aucune étude n’avait encore analysé les conséquences des des pertes et gaspillages alimentaires à l’échelle mondiale d’un point de vue écologique, en se penchant sur ses impacts pour le climat, les utilisations de l’eau et de la terre, et la biodiversité. C’est l’objet du nouveau rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation : Food Wastage Footprint: Impacts on Natural Resources
« Nous ne pouvons tout simplement pas permettre qu’un tiers de toute la nourriture que nous produisons soit gaspillée ou perdue à cause de pratiques inadéquates lorsque 870 millions d’êtres humains sont affamés chaque jour », a déclaré le Directeur général de la FAO José Graziano da Silva.
A quels moments se produisent les pertes et gaspillages alimentaires ?
Selon l’étude de la FAO, le gaspillage alimentaire à l’échelle mondiale a lieu, pour 54 pour cent, « en amont », c’est-à-dire durant les phases de production et de manutention et stockage après-récolte, et pour 46 pour cent « en aval », soit aux stades de la transformation, de la distribution et de la consommation.
En règle générale, les pays en développement sont plus touchés par les pertes alimentaires durant la production agricole ; en revanche, les régions à revenus moyens et élevés connaissent davantage de gaspillage au niveau de la vente au détail et des consommateurs (où il représente 31-39 pour cent des pertes et gaspillages totaux) que les régions à faible revenu (4-16 pour cent).
Plus la perte d’un aliment se produit tard dans la chaîne, plus l’impact environnemental est élevé, fait remarquer le rapport de la FAO, car les coûts environnementaux occasionnés durant la transformation, le transport, le stockage et la préparation doivent être ajoutés aux coûts initiaux de production.
Une empreinte écologique conséquente
Chaque année, la nourriture produite sans être consommée :
• équivaut à trois fois le volume du Lac Léman (250 km3)
• est responsable du rejet dans l’atmosphère de 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre (près de 80% des émissions annuelles de CO2 de la Chine).
• monopolise 1,4 milliard d’hectares de terres – soit 28 pour cent des superficies agricoles du monde, la plupart du temps avec une production intensive et donc polluante.
Or, seul un faible pourcentage de tous les gaspillages et pertes alimentaires est transformé en compost : une grande partie finit donc dans les décharges et représente une bonne part des déchets solides municipaux. Les émissions de méthane des décharges représentent une des premières sources d’émissions de gaz à effet de serre de tout le secteur.
Outre ses impacts environnementaux, ses conséquences économiques directes pour les producteurs (à l’exclusion du poisson et des fruits de mer) sont de l’ordre de 750 milliards de dollars par an, estime le rapport de la FAO.
Les disparités géographiques dans le gaspillage alimentaire
Les pertes de céréales en Asie sont un sérieux problème qui a de lourds impacts sur les émissions de carbone et sur l’utilisation de l’eau et des terres. Le cas du riz est emblématique, compte tenu de ses émissions de méthane (un puissant gaz à effet de serre) élevées et d’un haut niveau de pertes.
Si les volumes de pertes de viande dans toutes les régions du monde est comparativement faible, le secteur de la viande a de gros impacts sur l’environnement en termes d’occupation des terres et d’empreinte carbone, en particulier dans les pays à revenus élevés et en Amérique latine, qui, ensemble, représentent 80 pour cent de tous les gaspillages et pertes de viande. Les régions à revenus élevés (sauf Amérique latine) sont responsables d’environ 67 pour cent de toutes les pertes de viande.
Le gaspillage des fruits est responsable de gaspillages d’eau en Asie, en Amérique latine, et en Europe. De même, de gros volumes de légumes perdus et gaspillés dans les régions industrialisées d’Europe et d’Asie du Sud et du Sud-Est se traduisent par une empreinte carbone importante pour le secteur.
Comment réduire les pertes et le gaspillage alimentaires ?
Selon la FAO, le comportement des consommateurs, associé à un manque de communication dans la chaîne d’approvisionnement, serait à l’origine des niveaux élevés de gaspillage alimentaire dans les sociétés dites avancées. Les consommateurs ne planifient pas leurs courses, ils achètent trop ou sont trop influencés par les « dates limite de consommation » et les dates limites d’utilisation optimale (DLUO)[1], qui relèvent trop souvent d’une manipulation commerciale. De surcroît, les normes de qualité et les critères esthétiques portent les commerçants à se débarrasser et à détruire volontairement de grandes quantités d’aliments parfaitement comestibles.
Dans les pays en développement, des pertes importantes après la récolte tout au début de la chaîne d’approvisionnement sont un problème capital, qui s’explique par des limitations financières et structurelles dans les techniques de récolte et les infrastructures de stockage et de transport, auxquelles viennent s’ajouter les conditions climatiques favorisant la détérioration des aliments.
Selon la FAO, il faut accorder la priorité absolue à la prévention des pertes et gaspillages alimentaires. Outre l’amélioration des pertes de récolte à la ferme dues à de mauvaises pratiques, une meilleure adéquation de la production et de la demande permettrait de ne pas utiliser les ressources naturelles pour produire des quantités de nourriture non nécessaires.
Dans l’éventualité d’excédents alimentaires, la meilleure solution consiste à les réutiliser au sein de la chaîne alimentaire – c’est-à-dire trouver des débouchés secondaires ou faire don des surplus aux personnes les plus démunies. Si la nourriture n’est pas adaptée à la consommation humaine, l’autre solution consiste à l’utiliser pour l’alimentation animale, ce qui permet de conserver des ressources qui, sinon, serviraient à produire des fourrages commerciaux.
Lorsqu’il s’avère impossible de réutiliser, il faut opter pour le recyclage et la récupération: recyclage des sous-produits, digestion anaérobie, compostage, et incinération avec récupération d’énergie permettent de récupérer l’énergie et les nutriments, ce qui constitue un avantage de taille par rapport à leur mise en décharge. La nourriture non consommée qui pourrit dans les décharges est un gros producteur de méthane.
Enfin notons que le gaspillage alimentaire est un bon argument pour ceux qui estiment que les OGM et les pesticides sont les seules solutions pour nourrir une population mondiale croissante. Comme pour l’énergie et les déchets, pensons avant tout, à ne plus gâcher.
En savoir plus
• En complément de cette nouvelle étude, la FAO a également publié un guide contenant des recommandations sur comment réduire les pertes et gaspillages alimentaires à toutes les étapes de la filière. Le guide présente un certain nombre de projets qui montrent la façon dont les gouvernements nationaux et locaux, les agriculteurs, les entreprises, et les consommateurs individuels peuvent agir face à ce problème.
• Le PNUE et la FAO sont des partenaires fondateurs de la campagne Pensez. Mangez. Préservez – Réduisez votre empreinte qui a été lancée cette année et a pour but d’aider à coordonner les efforts mondiaux de réduction des pertes et gaspillages alimentaires.
Notes
1.Certains produits stérilisés ou présentant une faible teneur en eau comportent une DLUO, indiquée par la formule « À consommer de préférence avant … ». C’est le cas des gâteaux secs, ou encore des boites de conserve. Une fois la date passée, la denrée ne présente pas de danger mais peut en revanche avoir perdu tout ou partie de ses qualités : goût, texture… Le dépassement de la DLUO ne rend pas l’aliment dangereux : l’aliment peut donc encore être commercialisé et consommé. Il n’est pas nécessaire de jeter les produits concernés quand la DLUO est dépassée, sauf en cas d’altérations du produit (Les bons gestes anti-gaspi – Ministère de l’agriculture).
Auteur
Christophe Magdelaine / notre-planete.info – Tous droits réservés
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