Bertrand Duhaime
Trop de textes supposément inspirés parlent de la nécessité d’exprimer de la compassion envers les autres créatures, voire envers toutes les créatures. Pourtant, le temps de la compassion est révolu, il a fait place à l’Âge de l’Amour et de l’Éveil, autant individuel que collectif. En elle-même, dans la nouvelle compréhension, la compassion exprime la vertu ou la faculté de l’être amoureux qui souhaite le meilleur pour tous les êtres sans exception et qui se détermine à toujours faire aux autres ce qui sert leur ouverture de conscience ou leur compréhension de l’Amour, du moins à les traiter avec respect, comme il aimerait lui-même qu’on lui fasse.
Peut-être devrait-on plutôt dire que la compassion exprime l’exercice désintéressé de la charité auprès de tous les êtres, à commencer par les plus faibles et les plus démunis. Il ne s’agit pas de l’empathie à l’endroit des autres, ni de l’apitoiement sur leur sort, ni de la prise en charge, pour la transmuter, d’une part de leur poids karmique. Elle représente plutôt le détachement qui permet d’appliquer la Loi unique, qui implique notamment l’innocuité et la non-intervention, dans la compréhension que tout ce qui arrive à un être, c’est lui qui l’attire, par ce qu’il vibres, dans l’addition de ce qu’il pense, ressent, dit et fait, consciemment ou inconsciemment, et qu’il lui appartient la responsabilité de régir son univers conformément aux lois naturelles et aux principes cosmiques, une compréhension qui, précisément, justifie son incarnation. Ainsi, la compassion représente d’abord une confiance dans le Plan divin et dans la Lumière toute-puissante et omniprésente : elle est lien authentique à la Source des Sources en soi-même. La compassion invite à se relier à l’Un pour être avec tous et se donner entièrement au service de l’accomplissement de la Volonté de l’Absolu.
En fait, la véritable compassion fournit l’occasion de voir et d’aimer les autres créatures comme l’Univers voit et aime chacun, sans condition, sans concession, sans favoritisme, sans attente, sans jugement. Elle amène à s’aimer et à aimer les autres à partir de la connaissance intérieure qui provient de l’Espace sacré du cœur, qui révèle que chaque être est divin, spirituel, universel, total et complet, de sorte qu’il n’a jamais été blessé, lésé ou abandonné d’aucune façon, à part que par lui-même. De ce fait, il lui revient la responsabilité entière de se retrouver et de se reconnaître dans sa fonction cosmique. Un être n’abandonne jamais personne et il ne tourne le dos à personne en choisissant de se relier à sa propre Lumière intérieure plutôt que de s’occuper des problèmes d’autrui. Au contraire, en choisissant de se donner à sa propre Lumière, pour qu’elle réalise son œuvre propre, il évite de se laisser entraîner sur une voie où il ne serait pas juste d’aller et où il risque de s’égarer, une voie d’illusion : illusion d’aider, de sauver, d’exercer une mission, d’être utile, de faire quelque chose, de remédier à une situation, même d’aider l’Absolu dans son entreprise de rédemption du monde.
En passant, l’’aide d’autrui, telle qu’elle s’exerce par les œuvres caritatives, sociales et humanitaires, ne sert à rien si elle ne s’accompagne pas de moyens pour ouvrir la conscience des gens, pour les éveiller à la Réalité de l’expérience humaine qu’ils mènent dans la densité et la dualité. Peut-être est-il licite de donner du pain à celui qui a faim, puisque ventre affamé n’a pas d’oreilles, mais il vaut mieux apprendre à un être à pêcher qu’à pêcher pour lui, ce qui ajoute à son fardeau dans ses activités quotidiennes sans faire progresser l’autre dans la compréhension de ses responsabilités fondamentales.
Déjà, la compréhension de l’Amour invite à garder ainsi le cœur ouvert, car, par une connaissance intime du prochain, chacun peut l’aider de façon efficace et désintéressée, surtout par l’exemple silencieux et secret, dans la mesure de ses compétences, de ses connaissances, de ses moyens, de son degré d’amour. Cependant, le cœur ne peut rester pleinement ouvert que s’il échappe à la confusion qui pousse à sacrifier sa Lumière pour aller porter de l’aide à une situation particulière qui, certes, peut en avoir besoin, mais où ce n’est pas à soi de choisir ce qu’il faut faire. Dans l’ancien cycle, la compassion consistait à prendre une partie de l’obscurité d’autrui, s’il s’en démontrait digne, afin d’accélérer l’illumination de la planète et de l’Humanité. Mais cette prise en charge d’une part de l’obscurité de l’autre ne peut s’effectuer que par le rayonnement silencieux de sa Lumière interne, qui est un baume et un facteur de transmutation en elle-même.
En vérité, la planète Terre appartient à tous, mais peu s’élisent à la tâche de la guérir et de la faire évoluer. Or, certains niveaux de conscience seront interdits tant que le plus retardataire n’aura pas franchi les Portails de l’Illumination. Chacun garde donc un intérêt, à un certain stade de son évolution, au moment permis par les Maîtres, mais pas avant, à revenir en arrière pour aider les plus obscurcis qui cheminent sur le même Sentier évolutif que lui. Dans le contexte de l’Unité de l’espèce humaine et de la Conscience christique, il ne peut dépasser certains plans d’élévation sans amener les autres avec lui. En cela, la compassion se distingue de la pitié en ce sens qu’elle ne s’apitoie en rien sur le sort des autres et n’en juge pas et de la commisération en ce qu’elle n’amène pas à prendre à sa charge le destin des autres ou à souffrir, avec eux, de ce qu’il leur arrive.
Dès lors, s’il faut en quelque domaine exercer de la compassion, celle-ci doit découler de la compréhension profonde du sens de la souffrance qui permet de percevoir les difficultés des autres dans leur véritable valeur, soit dans leur fonction exemplaire, voire initiatique. Ainsi, comme il a été dit, elle confine au non jugement, à l’innocuité et à la non-intervention, soit au refus de les supprimer tant qu’elles jouent un rôle évolutif dans la vie d’un sujet, ce qui constituerait un geste tout aussi arbitraire qu’un préjugé subjectif. De ce fait, la compassion n’invite pas à verser des larmes sur l’état du monde ou des autres, même s’ils sont en pleine détresse morale ou spirituelle, hurlent à l’injustice, mais à leur donner les moyens et la force de changer dans un sens évolutif. On y parvient en se centrant et en se maintenant hors du drame qui est vécu, pour mieux observer la situation et ressentir la peur, la douleur, le désarroi ou la colère qu’elle contient, mais sans leur répondre dans la même gamme vibratoire. Ainsi, on évite de la nourrir et de lui accorder de l’énergie, par sa pensée ou son ressenti, de sorte qu’elle puisse d’épuiser et disparaître à tout jamais. Car il importe que celui qui est affligé puisse comprendre, dans sa situation problématique, qu’il fait preuve de manque de mémoire par rapport à l’origine de ses difficultés.
La Bhagavad-Gitâ, un livre sacré de la Tradition hindoue, proclame que le premier exercice de charité consiste à appuyer les Guides spirituels incarnés dans leurs projets visant à faire rayonner la Lumière divine, un appui qui doit prendre la forme d’une offrande proportionnée à ses moyens. Elle ajoute que la charité peut parfois s’adresser aux pauvres, si on sait le faire avec discernement et détachement, sans jugement et sans désir de valorisation. Mais si ces pauvres ne savent pas se prendre en main ou ne veulent pas le faire, témoignant par là de leur indignité à recevoir, quelqu’un ne recevrait aucun bienfait spirituel à les aider. En outre, tout geste charitable rien qu’en apparence, parce qu’il est posé avec effort ou par obligation y est dit relever de la passion, plus précisément de la possessivité. Enfin, elle précise que toute charité qui encourage la sensualité relève de l’ignorance, presque de la perversion. Quoiqu’il en soit, l’être compatissant ne juge personne, concevant toute expérience humaine digne d’être vécue, si différente qu’elle paraisse de la sienne et si marginale que prenne sa forme d’expression.
Bien comprise, la compassion implique un élan d’amour irrésistible qui demande à servir l’Unité de la Grande Cause. Autrement dit, elle se fonde sur un amour infini né de la conscience de l’unité de tout ce qui vit qui amène à se sentir un avec tout et avec le Tout. Voilà pourquoi elle comporte toujours une prise de conscience de tous les éléments qui sont en jeu dans une situation donnée et la possibilité que ses perceptions s’élargissent de manière à embrasser la totalité du tableau par rapport à ce qui se passe vraiment. Invitant à dépasser les apparences et les illusions, elle invite à contempler la perfection du jeu de la Lumière et de l’Obscurité. Elle permet de comprendre l’Énergie cosmique dans son mouvement créatif telle qu’elle s’exprime dans la Réalité, soit au-delà de ce qui est perçu par les sensations et les sentiments.
C’est bien cela, l’Amour, mieux que la compassion, permet de percevoir le Plan cosmique et de transcender les méandres de la pensée et des sentiments limités afin de parvenir à s’élever dans une harmonie supérieure, au niveau du ressenti et de la respiration, afin de capter le rythme universel. La meilleure façon qu’un être peut aider un autre, c’est de l’entourer d’Amour et de s’harmoniser lui-même, ce qui oblige l’autre à s’harmoniser lui-même, sinon, il doit s’écarter, ce qui invite alors à purement et simplement l’abandonner à son sort, qui ne peut être malheureux, puisqu’il est, en cela, comme tous les humains, guidé par son propre Centre divin.
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