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Le blog de Pierre Rabhi | Pierre Rabhi

Chronique de Pierre Rabhi tirée du magazine Kaizen n°5

Je suis né dans le désert, dans cette immensité aride où seule l’eau peut donner la vie. La rareté de l’eau lui donne une immense valeur. Les deux tiers de notre physiologie en sont composés. Sans cet élément substantiel, seule la désolation pourrait prospérer. Aussi doit-on la considérer avec le respect dû au Sacré. Ce cristal liquide porte en lui toute la mémoire de notre magnifique planète, mais sommes-nous vraiment conscients de tout cela ?

Dans les pays où elle coule en abondance, l’eau est banalisée, désacralisée. Elle élimine nos déchets, purifie notre corps et évacue ses rejets. Elle est versée, déversée et gaspillée litre après litre dans nos éviers, nos chasses d’eau, et profanée de bien d’autres façons encore… L’être humain est ainsi fait : il néglige les éléments dont il dispose à loisir et ne reconnaît leurs véritables vertus que lorsqu’ils viennent à manquer. On pourrait dire cela de la nourriture surabondante dans les pays dits prospères, au PNB triomphant, et on oublie qu’elle manque cruellement aux perdants du pseudo-progrès.

Même si l’on tente aujourd’hui de sensibiliser les plus jeunes au respect des biens vitaux, cette éducation des consciences peut-elle porter ses fruits quand la terre nourricière, elle-même ignorée, dégradée de mille manières, a perdu sa valeur nourricière aux yeux des hommes qui en sont les intendants à travers toute la planète ? L’humain fait preuve d’une grande ignorance en ne percevant plus l’importance de ce qui entretient et maintient son existence, sa réalité tangible. Il ne sait plus se satisfaire de ce qui est simple et essentiel. Noyé dans le superflu, il est triste, consomme des antidépresseurs à outrance. Peut-être l’une des origines de notre tristesse serait-elle due à notre incapacité à reconnaître la valeur immense des richesses naturelles qui nous sont offertes.

Lorsque j’étais enfant, le moindre morceau de pain était précieux et on ne pouvait boire de l’eau sans éprouver un profond sentiment de gratitude. Et de cette gratitude, de notre sensation que c’était là un don de la Terre, naissait notre joie. Aujourd’hui le superflu nous submerge, banalise l’indispensable et donne aux futilités une importance extravagante. Il paraît que l’industrie du luxe n’est pas en crise ! Nous sommes étouffés par l’invasion d’objets inutiles, vecteurs d’une satisfaction éphémère. Notre faculté d’émerveillement s’érode. Nous la recherchons à travers la possession, le divertissement standardisé, source de profit sans limite. Ces considérations n’ont aucune intention désobligeante ou culpabilisante, elles sont et rien de plus, laissant à chacun son libre arbitre.

Le modèle actuel, dit dominant, a été engendré par l’Europe depuis plus de deux siècles. Je prétends que l’Europe a été la première victime de la modernité, par l’uniformisation qu’elle s’est imposée. Elle a estompé les différentes formes de créativité des communautés qui la composaient au profit de la standardisation de l’ensemble. Elle est devenue puissante en confisquant des territoires et en drainant les ressources qui faisaient leur richesse.

Il est maintenant essentiel de nous réjouir de ce qui est donné par la nature pour retrouver la valeur de la sobriété libératrice et la jubilation tranquille qui en découle.

Pierre Rabhi

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Cette chronique est parue dans le Kaizen n°5.

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