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par Bertrand Duhaime – les Chroniques de la Presse Galactique

La dépendance s’exprime par le besoin régressif de trouver un maître, un soutien, un support, quelqu’un sur qui on pourra compter pour trouver subsistance, survivance, approvisionnement, protection, refuge, sécurité, chaleur, affection, soins.  Elle prend nombre de formes.

La dépendance, c’est la tentative d’un être faible de trouver hors de lui une autorité ou une raison d’être.  Celui qui en suit un autre reconnaît inconsciemment qu’il a une personnalité trop pauvre et trop peu d’idéal pour s’accomplir lui-même.  Il vit sans se poser de questions profondes, craignant ce genre d’interrogations.  Il se préoccupe généralement davantage du confort matériel et de l’épate que de l’essentiel, mais par les moyens d’un autre.  Mais il ne ressent aucune estime personnelle, et incapable de découvrir ses propres valeurs, de se mettre correctement en référence avec l’extérieur.  Il ne sait pas se diriger et s’orienter.  Hypersensible, imbu d’amour-propre et de susceptibilité, il recherche sans cesse l’appui des autres pour retarder le moment où il devra agir de lui-même, faisant ainsi dévier sa frustration de n’avoir aucun dynamisme personnel.

Du fait que les codes sociaux briment continuellement l’individu, le forçant à entrer dans des cadres rigides, il n’est pas toujours capable d’exprimer son potentiel.  Lorsqu’une impulsion allant à l’encontre de ces schèmes monte en lui, il canalise parfois son énergie dans des activités qui abaissent sa vitalité.  C’est une compensation négative.  Il mange trop, dort trop, boit de l’alcool, consomme de la drogue, fume de façon compulsive, parie son argent, fait ses abus sexuels, etc.  À la longue, le corps s’habitue à ces réactions et la recherche automatiquement, en faisant une habitude, une dépendance.  Chaque fois que son énergie monte de façon anormale, il la rabaisse en répondant par la même action.  Il devient compulsif.  Il gagnerait à apprendre à canaliser autrement pour ne pas développer une maladie de l’âme.

Quant à la personne dépendante, pour être bien, elle fait tout pour rendre tout le monde heureux.  Lorsque les autres ne le sont pas, parce qu’ils sont tristes, négatifs, coléreux, elle sombre dans la confusion, croyant qu’elle a fait quelque chose de travers.  À son avis, ceux qu’elle aime devraient toujours être heureux, positifs, souriants, puisqu’elle fait tout pour qu’ils le soient.  Elle oublie qu’ils ont une vie personnelle.  Alors, ces situations lui causent de la déception, du désappointement, la mettant en rogne, déclenchant ses émotions.  Elle ne parvient pas à comprendre ses attentes parce qu’elle ne les a pas clarifiées.  Elle agit avec elle-même comme elle agit avec les autres, mais elle n’agit que pour les autres.  Si elle agit ainsi, c’est parce qu’elle idéalise les autres, trouvant son bonheur à les servir.  Elle ne sait pas qu’ils ont des limites et qu’ils n’ont pas à croire aux mêmes choses qu’elle.  Dans la dépendance affective, la personne s’oublie continuellement, ce qui l’amène à construire sa vie autour de l’être aimé, parce qu’elle éprouve un grand vide intérieur.  Dès que cet être s’écarte ou se retire, son monde s’écroule et elle perd le goût de vivre.  Alors, elle ne cherche plus qu’à s’étourdir ou à disparaître.

Mais, est-on libre à vivre dans l’attachement, la sujétion, la servilité, l’imitation, l’adulation?  On ne doit jamais laisser l’extérieur guider ses décisions, ses humeurs, ses états d’être et sa conduite.  Il faut devenir autonome et indépendant, se démarquer des autres, rester soi-même, se dégager de l’instinct grégaire pour incarner sa rareté, son unicité, son originalité.  Nul n’a besoin de l’appui ni de l’assentiment des autres pour vivre.  Il ne sert à rien de vivre comme les autres si on n’est pas en accord avec soi.  Il existe mille façons d’être subtilement dépendant au point de ne pas s’en rendre compte.  On peut changer de personnalité selon les circonstances qu’on vit ou selon les gens qu’on rencontre, au lieu de rester égal à soi-même.  On peut recourir à la flatterie, le plus grand des mensonges, la pire hypocrisie.  On peut laisser les autres faire ses erreurs, comme pour s’en disculper plus facilement.  On peut vivre dans le rêve en fuyant la réalité.  On peut admettre que les autres peuvent nous faire du bien, oubliant qu’on doit admettre en même temps qu’ils peuvent nous faire du tort ou nous fourvoyer.  Ce que font les autres doit nous rester indifférent.

À son paroxysme, on reconnaît la dépendance notamment dans le petit couple qui porte des vêtements identiques ou ne peuvent se présenter en public sans se tenir la main, comme pour marquer leur degré d’apparente fusion, leur territoire ou leur droit de possession.  L’un parle pour l’autre ou répond à sa place sans réaliser l’incongruité d’un tel choix trop spontané qui empêche toute possibilité de dissension de l’autre, qui devient un béni oui-oui.

Est-il libre celui qui s’accroche aux autres dans un complet abandon de lui-même, éclabousse les autres de ses états émotifs et vit à leurs crochets?  Est-il libre celui qui se laisse déranger par les autres et se soucie constamment de leur regard?  Est-il libre celui qui refuse de s’affirmer parce qu’il craint toujours de blesser ou de déranger?  Est-il libre celui qui ne sait dire non bien qu’il s’épuise à servir, à donner toute sa substance à ses êtres chers?  Est-il libre celui qui a peur des réactions que peut susciter son mode de vie?  Est-il libre celui qui s’immisce dans les affaires des autres?  Est-il libre et responsable celui qui attend de voir l’effet d’une expérience dans la vie d’un autre avant de passer lui-même à l’action?  Nous ne sommes responsables de personne à part nous-mêmes: nous sommes tous solidaires, mais nous ne devons accepter aucune part dans la vie des autres.  C’est en travaillant sur nous et pour nous que nous sommes utiles à l’humanité.  Car, après avoir acquis sa maîtrise, on brillera de façon d’autant plus subtile et pénétrante sans avoir à intervenir autrement.

Celui qui ne sait pas s’assumer dans son indépendance ou son autonomie ne doit pas s’étonner que les expériences de sa vie lui lancent des ultimatums d’apprendre à se prendre en main et de puiser en lui-même ses ressources.

 

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