par Bertrand Duhaime
L’interprétation consiste à tenter d’expliquer ou de donner une signification claire, cohérente ou objective à une réalité obscure, parce que plus ou moins connue. Ce peut-être la tentative de chercher à rendre compréhensible, à traduire ou à donner un sens à une réalité ou l’action de chercher à rendre compréhensible, à traduire, à donner un sens à un texte ou à un propos. Il existe de nombreuses interprétations de la réalité entre lesquelles on peut choisir. Mais il importe alors de reconnaître que si on interprète, on cherche à savoir, mais on ne sait pas. De ce fait, on s’expose à émettre des hypothèses et à les prendre pour la vérité. Croire n’est pas savoir puisque les croyances n’impliquent pas de certitude. Hélas! quand un être ne sait pas, son mental, impatient de connaître, s’active furieusement, se mettant à inventer, oubliant qu’inventer, ce n’est pas émettre la vérité, mais des hypothèses.
Pour tout dire, il y a interprétation à chaque fois qu’un sens n’est pas clair. Il y a toute une différence entre l’approximation et la réalité, comme on doit le reconnaître dans la nuance de sens qui relève des mots «calomnie» et «médisance», l’un consistant à dire de quelqu’un du mal sans fondement, l’autre, à répéter le mal qu’on sait de quelqu’un, les deux n’en représentant pas moins une transgression aux lois de l’Amour et de l’innocuité. Mais, dans les deux cas, les affirmations relèvent d’un jugement personnel toujours tendancieux. En effet, la nécessité de l’interprétation tient à ce qu’il n’y a pas de saisie ou de réception immédiate du sens du fait qu’il ne va pas de soi. Il est rare que la signification d’un propos ou d’une conduite soit immédiatement perceptible. Par ailleurs le langage permet de dire autre chose et même, parfois, le contraire de ce qu’il dit en apparence. Mais ce n’est pas une raison pour en venir à trahir celui qui a dit quelque chose, qui a écrit un texte ou qui a posé un acte.
Celui qui interprète une réalité cherche à restituer fidèlement le sens de l’objet de son interprétation, sauf qu’il lui échappe toujours plus ou moins, parce que son entendement est limité, d’une part, et qu’il reste subjectif et partial, d’autre part. De là le risque permanent de commettre une erreur d’interprétation, une mauvaise interprétation ou une interprétation abusive. Dans un contexte précis, qu’est-ce qui justifie telle interprétation plutôt que telle autre? Fondamentalement, qu’est-ce qu’un contresens ou un préjugé? Quels sont les critères de la bonne interprétation? Quant au but d’une interprétation, vise-t-il véritablement à accéder à l’évidence, à passer de l’implicite à l’explicite? Quelqu’un peut-il comprendre l’autre mieux et davantage que celui-ci peut se comprendre? Voilà autant de questions qui confirment la difficulté d’accéder au sens réel d’un propos, d’un texte ou d’un geste à laquelle se heurte toute interprétation. Car, celui qui interprète risque de réduire un sens et de le fixer ou de l’arrêter bien qu’il ne corresponde nullement à la pensée ou à l’intention de son auteur.
De toute évidence, il existe de nombreuses interprétations de la réalité entre lesquelles chacun peut choisir. Mais, alors, il importe de reconnaître que si on interprète, c’est qu’on cherche à savoir, mais qu’on ne sait pas. De ce fait, on s’expose à émettre des hypothèses plus ou moins justes qu’on peut prendre pour la vérité. La coryance et la certitude ne sont pas la même chose: croire n’est pas savoir puisque les croyances n’impliquent pas de certitude. L’interprétation procède d’une analyse mentale approximative à partir des apparences ou des phénomènes, tandis que la certitude découle d’une compréhenson intérieure née de l’expérience personnelle répétée.
Un être sérieux doit viser à connaître et à comprendre plutôt qu’à interpréter. Interpréter, cela revient à donner aux choses et aux événements le sens que l’on veut ou que l’on croit comprendre plutôt que leur sens réel, soit le sens qu’elles ont vraiment. Il y a toute la différence du monde entre comprendre et interpréter: on interprète en recourant à son imagination et à sa subjectivité, toujours arbitraires, alors qu’on comprend en approfondissant l’expérience vraie de façon objective et impartiale. On ne comprend bien que ce qu’on expérimente soi-même. Pour comprendre, donnons un exemple: on peut rencontrer une personne souffrante et se méprendre sur son état de santé si elle sait se contenir. Et même si elle verbalisait sa souffrance, on pourrait se méprendre sur le degré de sa souffrance du fait qu’on ne connaît pas son seuil de tolérance à la douleur, son degré de vitalité personnel, sa résistance physique, son émotivité. Si on comprend bien, la souffrance s’exprime à travers l’autre, non à travers soi, ce qui la rend difficile à évaluer.
Le problème de l’’interprétation, c’est qu’elle peut mener à bien des égarements. Dans certains cas, elle a arbitrairement brisé des réputations, amené à de fausses accusations et rompu des relations. Car elle favorise la distorsion des idées et des faits, contribuant à lancer des rumeurs ou à cultiver des préjugés. Si on cesse de se duper, on acceptera que chacun entend ce qu’il veut bien entendre, fait dire ce qu’il veut bien entendre dire et voit ce qu’il veut bien voir. À l’extrême, ces procédés permettent d’échapper à ses responsabilités et de retarder sa prise de conscience.
En réalité, l’être humain sait bien peu de choses, sur lui comme sur la vie, et il en sait encore moins sur les autres: il croit plutôt savoir, d’où il interprète. Il ne se sert que d’environ dix pour cent de ses potentialités et il n’est vraiment conscient que d’environ cinq pour cent de ce qui se passe en lui et à l’extérieur de lui. Cela est déjà significatif dans des expressions comme «Mon Dieu!» (comme si Dieu était sa propriété ou s’il y avait un Dieu pour chacun); «Bon Dieu» (comme s’il pouvait y en avoir un méchant) ; «Doux Jésus» (comme si le Fils de Dieu n’était pas la douceur incarnée).
L’être humain joue toujours sur les mots au lieu de chercher à comprendre la réalité qu’ils veulent circonscrire. Il emploie souvent des mots équivoques (à plusieurs sens), des mots mal définis (dont il n’a jamais cherché la signification profonde, claire, nette, précise). Prenons un exemple. On nous demande: «Comment va la santé?» On s’empresse de répondre «Très bien!» Par là, on oublie une carie occasionnellement douloureuse, des maux de tête occasionnels, des phases de mauvaise digestion, des courbatures au moindre effort, une prédisposition à l’insomnie, etc. Si c’est cela la santé, pas étonnant qu’on ne puisse dépasser ces malaises et se rétablir dans la santé radieuse. Car on a beau proclamer une réalité dans des mots positifs, c’est ce qui vibre le plus puissamment dans le conscient et l’inconscient d’un sujet qui lui revient comme démonstration. Par exemple, c’est ce qui fait que si on ne croit pas à la réalisation d’un fait dans sa vie, il ne peut pas s’y accomplir, quoi qu’on affirme et quoi qu’on fasse.
Bien qu’on ne connaisse que par la surface, l’extérieur des choses, on dit savoir. Pourtant, savoir, c’est avoir expérimenté et senti, s’être fait un avec une chose, l’avoir étudiée sous tous ses angles, en dedans comme en dehors. Autrement dit, c’est être «né avec elle». Le reste n’est qu’approximation. En cela, l’interprétation mène à l’à-peu-près, jamais plus loin, si, en l’occurrence, on n’est pas favorisé par un jet de dé avantageux.
L’interprétation n’est justifiable que si elle tente de rendre clair ce qui ne l’est pas en s’efforçant de rendre fidèlement un texte, un propos, une intention, un contexte et d’en transmettre la teneur sans modification. Ce qui n’est pas facile, car, dès que le mental ne sait pas, il commence à broder, donc à inventer. Ce faisant, il devient souvent un ennemi pour soi et un traître pour autrui.
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L’interprétation acquise rappelle que, par l’accoutumance ou l’habitude, l’être humain prend, pour ainsi dire, inconsciemment conscience d’un phénomène, d’une manière inexplicable, ce qui s’appelle l’interprétation acquise. Par exemple, les images arrivent inversées dans l’œil, mais elles sont remises spontanément à l’endroit dans le cerveau. Chaque être humain a acquis des interprétations, qui n’influencent ou n’affectent pas ses sens, mais qui modifient cependant réellement ses perceptions et ses prises de conscience. La prise de conscience, parce qu’elle est personnelle, ne peut être affectée que par l’interprétation. L’interprétation tendancieuse évoque le mode d’expression qui révèle un parti pris, une idéologie intime préalable, une tendance intellectuelle toute faite dans le propos.
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