J-ai-honte

par Bertrand Duhaime

La honte traduit le sentiment pénible de son infériorité, de son indignité ou de son humiliation devant autrui, de son abaissement dans l’opinion des autres.  Elle comporte le sentiment de déshonneur et de culpabilité qui résulte d’une faute commise.  Elle n’est pas tellement liée à la conscience d’avoir mal agi, comme dans la culpabilité, mais dans un sentiment d’être indigne en regard d’un autre être, ce qui remet en question son droit à l’existence ou son droit d’occuper telle position.  Car, alors que la culpabilité peut se vivre même dans la solitude ou l’isolement, la honte exige la présence d’un autre être intelligent, capable d’exprimer un jugement, qui peut être une personne humaine ou le regard de la mère qui accompagne depuis sa tendre enfance et qui se voile derrière tout autre membre de sa communauté ou de la société.  C’est pourquoi on l’appelle parfois la culpabilité sociale.

En effet, si la honte se vit dans un moment d’isolement, c’est que par, procuration, l’œil de sa conscience, en tant que juge de ses actes, a pris, par procuration, la même consistance que détiendrait un réel témoin.  Ou c’est la mère qui, par attachement au passé et par manque d’adaptation au présent du sujet, s’exprime encore inconsciemment, comme si elle était toujours présente.  Le sujet gère mal ses émotions parce qu’il n’a pas appris à le faire et qu’il accorde une grande importance au regard d’autrui.  De ce fait, la honte est d’autant plus intense que le témoin est significatif pour le fauteur ou le gaffeur.  Et le motif de la honte varie selon les cultures conformément à ce qui est communément admis come bien ou mal.  La honte résulte du fait qu’un être a été placé dans un état de vulnérabilité, d’infériorité ou d’insécurité : il redoute l’humiliation, la réprobation, la condamnation, une sanction violente, le rejet, l’exclusion.  Il redoute de se retrouver dans la nécessité de devoir renier une partie de lui-même, ce qui lui serait imposé par une personne significative, une autorité, un membre de son groupe d’appartenance, la société à laquelle il appartient elle-même.  Elle signale ce que le sujet ressent comme la limite à éviter de dépasser selon ce qui est socialement ou moralement admis.

Shame

La honte ponctuelle peut s’exprimer dans la soumission ou dans la réaction ou la défensive.  Dans le premier cas, elle se traduit par un court-circuit émotionnel de plus ou moindre grande intensité qui peut aller jusqu’à donner l’impression que le monde se dérobe sous ses pieds.  Il se retrouve soudain dans un moment de fragilité qui le fait vaciller dans le verdict d’autrui.  En pareil cas, le sujet peut, dans un sentiment d’impuissance, s’inhiber : il peut rougir de gêne, baisser les yeux, incliner la tête, s’immobiliser ou figer dans une colère retenue ou dans un désespoir triste.  Dans le deuxième cas, elle peut se traduire par une explosion d’agressivité qui peut impliquer la violence ou l’exubérance jusqu’à l’exhibitionnisme.  Dans les deux cas, associée à l’image de soi, elle traduit une blessure d’amour-propre ou une réaction narcissique à  une atteinte profonde.

Dans tout sentiment de honte, le sujet confronte un aspect de lui-même qu’il accepte de juger négativement.  D’où peut se développer la honte habituelle, s’il souffre de névrose.  Après plusieurs épisodes de vécu honteux, à force de s’enrichir de sentiments et de jugements négatifs, un être peut développer de fausses croyances sur lui-même et les autres et il peut en venir à se critiquer et à se dévaloriser pour renforcer inconsciemment sa perception d’être mauvais, nul, différent, inférieur ou supérieur.  La honte peut aboutir à un complexe de saleté, de laideur, de monstruosité, de difformité, d’anormalité, de marginalité.  En pareil cas, avec le temps, stimulé par la rumination intérieure, le comportement peut dériver en acte d’extrême barbarie ou dans une conduite suicidaire.

Chez un être, la honte habituelle, située au paroxysme du remords, représente la croyance que, quelle que soit la nature de ses actes (bons ou mauvais), il détient une piètre valeur personnelle.   Quand il atteint ce seuil, la culpabilité devient pratiquement insoluble, ne laissant d’autre choix que de s’excuser de continuer d’exister.  La plupart des êtres connaissent de brefs moments de honte plus ou moins sérieux.  Mais il y en a qui vivent dans un climat toxique de honte.  Cela s’explique par le fait que le degré de culpabilité fluctue d’un sujet à l’autre selon ce qu’il inclut dans son code moral personnel au fur et à mesure qu’il forme ses valeurs personnelles.

Dans une situation extrême, quand un être entre dans la ronde de la honte, il en vient à tout se reprocher et à tout se mettre sur le dos.  Il se dit tour à tour : «Je n’aurais pas dû faire ce que j’ai fait!»  «Je n’avais pas le droit de faire ce que j’ai fait!» «J’aurais dû parler à cette personne autrement, je n’avais pas le droit de la blesser!»  «J’aurais dû garder mon calme, me la fermer.»  «Je n’avais aucun droit d’agir ainsi!»

Ainsi, quand un être ne respecte pas les lois qu’il a édictées ou les critères de perfection qu’il s’est imposés, il a l’impression d’avoir transgressé l’une des valeurs de son code moral.  Car la culpabilité, autant dans le regret, dans le remords que dans la honte, reste cette petite voix qui amène un être à toujours se juger en termes de bien ou en mal et qui le tire sans arrêt par la manche pour éviter qu’il s’envole en toute aise vers sa destinée.  Alors, la torture morale s’installe, finissant par maintenir dans un sens du devoir étouffant.

La honte démontre qu’un être réprime ses sentiments et qu’il ne s’accorde pas le droit à l’erreur, qui n’est jamais qu’apparente.   Sri Aurobindo Ghose invitait à réfléchir quand il a dit: «La honte a des résultats admirables et nous ne saurions guère nous en passer tant en morale qu’en esthétique: ceci dit, elle n’en est pas moins un signe de faiblesse et une preuve d’ignorance.»  En effet, suite à une erreur, il n’est jamais sage de se culpabiliser: un être a simplement agi du mieux qu’il a pu, selon son degré de conscience du moment.  Ce qui compte pour lui, ce n’est pas de se torturer pour un acte passé, mais de s’amender pour mieux agir dans l’avenir.

La honte peut avoir cela de bon qu’elle invite à mieux se connaître, se comprendre et s’accepter tel qu’on est.  À travers elle, un être peut reconnaître diversement : qu’il n’assume pas ses actes;  que le regard d’autrui garde une préséance dans son vécu;  qu’il a de la difficulté à prendre sa place dans sa collectivité;  qu’il détient un piètre sens de sa dignité et un maigre estime de lui-même; qu’il ne parvient pas à s’imposer;  qu’il peine à reconnaitre son identité ou qu’il ne s’accepte pas comme il est;  qu’il détient une faible degré de justesse relationnelle; qu’il manque d’adaptation au présent;  qu’il doute de son droit à l’existence;  qu’il se perd dans le conformisme.

Quoi qu’il arrive, nul ne devrait exprimer de honte qui est une forme de mépris de soi.  Un être manque de confiance en lui-même : il  croit avoir failli à son devoir;   être évalué pour ce qu’il fait plutôt que pour ce qu’il est;   toujours devoir faire comme les autres ou leur devoir quelque chose.  La honte, qui paralyse et dévalorise, n’aide pas à grandir et à prendre de la force, bien au contraire.  Il est parfaitement inutile de l’entretenir.

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