L’espace-temps est-il un fluide ? Ou plus exactement un superfluide, c’est-à-dire un fluide qui n’oppose aucune résistance lorsqu’il s’écoule ? Telle est l’hypothèse développée par les physiciens Stefano Liberati (International School for Advanced Studies à Trieste, Italie) et Luca Maccione (Institut Max Planck pour la physique de Munich, Allemagne) dans un article publié dans la revue Physical Review Letters.
Au préalable, rappelons ce qu’est l’espace-temps. Grosso-modo, il peut être défini en s’appuyant sur l’approche d’Albert Einstein, qui définit l’Univers doté de quatre dimensions combinant les trois dimensions spatiales que nous connaissons, et celle du temps : c’est l’espace-temps.
Ceci étant posé, voyons maintenant comment ces deux physiciens en sont parvenus à suggérer que l’espace-temps pourrait être considéré comme un fluide. Pour comprendre, il faut d’abord faire un détour du côté des outils utilisés par les physiciens pour décrire le fonctionnement de l’Univers. Deux outils à cet effet sont actuellement à la disposition des scientifiques. Tout d’abord, il y a la mécanique quantique, qui explique le fonctionnement du cosmos à très petite échelle (celle des particules) : la mécanique quantique est capable d’expliquer trois des quatre forces fondamentales qui régissent l’univers : l’électromagnétisme, l’interaction faible et l’interaction forte. Et d’autre part, il y a la théorie de la Relativité Générale : cette dernière explique le fonctionnement du cosmos à grande échelle, et elle prend en compte la gravité, la quatrième force fondamentale de l’Univers.
Problème : les physiciens tentent depuis longtemps de réconcilier la mécanique quantique et la Relativité Générale au sein d’une théorie unifiée… en vain.
Or, parmi les différentes pistes théoriques pour y parvenir qui ont été jusqu’ici proposées au cours de ces dernières décennies, l’une d’entre elles avance précisément l’hypothèse selon laquelle l’espace-temps pourrait être considéré comme un fluide.
Une hypothèse qui repose en fait sur une analogie. En effet, il se trouve que d’une certaine manière, les fluides ressemblent à l’espace-temps : de la même manière que la Relativité Générale décrit le fonctionnement de l’Univers (donc de l’espace-temps) à grande échelle sans expliquer les autres forces qui se jouent à très petite échelle (celle des particules), la mécanique des fluides explique le comportement des fluides à un niveau macroscopique, sans jamais dire quoi que ce soit sur les atomes qui composent ces fluides.
Et si donc, pour mieux comprendre l’espace-temps, il fallait le comparer à un fluide ? Telle est l’intuition que quelques physiciens développent depuis plusieurs années, dont les deux physiciens Stefano Liberati et Luca Maccione qui, dans leur article publié dans la revue Physical Review Letters, poussent jusqu’au bout l’analogie entre le comportement des fluides et celui de l’espace-temps.
Selon leurs travaux, si l’espace-temps est un fluide, alors c’est un superfluide, c’est-à-dire que sa viscosité est extrêmement faible (la viscosité est la résistance à l’écoulement qui se produit dans un liquide : plus la viscosité augmente, et plus la capacité du fluide à s’écouler diminue). Une hypothèse d’autant plus intéressante… qu’elle pourrait être testée empiriquement, via des observations astronomiques.
Pourquoi l’espace-temps, s’il est un fluide, ne peut-il être qu’un superfluide ? Parce que si l’espace-temps était un fluide doté d’une viscosité conséquente (donc s’il n’était pas un superfluide), alors il dissiperait rapidement l’énergie des photons et des autres particules qui se déplacent dans l’Univers. Or, ce n’est pas le cas : les astronomes savent bien que les photons sont capables de traverser l’espace pour venir jusqu’à nous après des périples de millions d’années-lumière. Par conséquent, si l’espace-temps est un fluide, alors sa viscosité est forcément très faible : il ne peut donc qu’être un superfluide.
Et ce n’est pas tout. Car selon Stefano Liberati et Luca Maccione, l’hypothèse selon laquelle l’espace-temps serait superfluide (donc un fluide doté d’une viscosité très proche de zéro) pourrait très bien être testée empiriquement, par exemple via l’analyse des rayons gamma et les neutrinos à haute énergie : s’il s’avérait que de très petites quantités d’énergie étaient dissipées au cours du déplacement de ces particules, alors cela pourrait renforcer l’hypothèse selon laquelle l’espace-temps serait un superfluide : en effet, cette très faible dissipation d’énergie pourrait être précisément interprétée comme la conséquence de cette très faible viscosité, typique du superfluide.
Les travaux de Stefano Liberati et Luca Maccione ont été publiés le 14 avril 2014 dans la revue Physical Review Letters sous le titre « Astrophysical Constraints on Planck Scale Dissipative Phenomena »
Source: http://www.journaldelascience.fr/