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par Marie Ribeill
Ma chérie, ma fille, mon enfant. Il y longtemps que tes belles boucles brunes ont fait place aux cheveux blancs. Mais va savoir… Ce soir, je pense à toi.
Ça arrive parfois. Tu hantes mes nuits calmes comme mes silences. De temps en temps, je te vois, d’autres fois, je te sens.
Il arrive même que je me rappelle ta peur. Tes larmes. Ta honte. Ton envie de partir dans l’autre monde. Et je me rappelle tant, les soirs de solitude, à quel point tu fus ma bénédiction.
Tu t’es sacrifiée toute entière. Pour me faire Naître.
Tu as sacrifié ton innocence, ta confiance, tes plus précieuses années, pour m’apprendre, plus tard, l’Amour, la Lumière et le Pardon.
Tu t’es faite si petite, si insignifiante, si misérable, pour plus tard me faire Exister aux yeux du monde.
Tu as subi l’ignorance des adultes pour m’apprendre à garder les yeux, l’esprit et le Coeur grands ouverts.
Tu as subi la laideur des autres pour m’apprendre la Beauté intérieure.
Et quand tes yeux mouillés reflétaient l’horreur du monde, c’est pour que plus tard, mon sourire soit le phare des gens blessés.
Tu étais le chaos enfantin dans lequel brillait une étoile. Le diamant brut poli par les épreuves.
Si souvent je repense à toi. Et je te revois. L’évidence dont personne n’a jamais su prendre soin…
Oui, je te revois. Penchée sur tes livres à rêver d’une autre vie.
Je te revois au milieu de la nuit, reine d’un monde heureux et secret, bien à l’abri…
Et je te revois aussi dans tes silences, cherchant l’endroit intérieur où te cacher. Priant l’invisible de venir te sauver.
Je te revois dans ces instants suspendus, ces moments de profonde laideur, ces secondes qui détruisent.
Et je te revois le coeur drapé de noir, mettant en terre le seul ange auquel tu tenais…
Je te revois prendre ce chemin de ronces, courir, fuir ce monde vide et creux. Je te revois le corps purulent de désespoir, la chair viciée par le mensonge, l’âme devenue folle de tourments…
Je te revois chercher la Lumière au fond des yeux des gens. Je te revois n’y trouver que dégoût et confusion.
Je te revois crier, hurler et pleurer ta rage d’enfant. Et je te revois te taire. Pour ne pas déranger.
Je te revois seule, les pieds joints dans cette salle-de-bain. Je te revois tremblante, bouteille de vodka à la main.
Tu n’étais qu’enfant.
Je te revois. Le pouls sur le tranchant.
Je te revois déchirer les murs de ta colère, de ta haine et de ta peine. Je te revois ramper à terre, je te revois chercher prise sur ce petit bout d’espoir fragile.
T’accrocher si fort que tes doigts, ton coeur et tes lèvres en tremblaient de fatigue et d’émotion.
Et je te vois t’émerveiller, devant l’étincelle de vie qui timidement s’élève et te tend la main.
Je te vois enfin observer les ombres avec le regard de celle qui n’a plus peur.
Je te vois panser ton corps brisé, caresser ton reflet.
Je te vois saisir le monde dans ta si petite main. Et lui parler.
Lui dire que dorénavant, tu ne crains plus rien. Que tu seras l’épée qui se défend et le bouclier qui se protège.
Qu’à partir d’aujourd’hui, les brumes se lèveront et ne te rendront plus aveugle. Et que sur ta route, le soleil sera ton guide et qu’il ne laissera plus jamais la nuit s’approcher.
Je te vois aussi douter, faire un pas, puis reculer. Hésiter. Vais-je y arriver ?
Je te vois défier l’horizon.
Manches retroussées.
Tête et coeur relevés.
Et puis.
Et puis j’ai pris le relais.
Merci.
Merci ma chérie, ma fille, mon enfant, ce trésor que j’aimais tant.
Merci de t’être sacrifiée pour qu’en héritage de ta douleur, j’engendre le Beau et le Bon.
Aujourd’hui ma puce, ma tendre chérie, tu es partie avec le temps.
Main dans la main avec les anges que tu priais. Tu l’as tant mérité…
Tu l’as tant mérité, d’enfin te reposer.
Mais ce soir, vois-tu, le souvenir m’a prise au dépourvu. Et j’avais envie, une dernière fois, de te prendre dans mes bras… Te Regarder et t’Aimer, toi qu’on a si longtemps ignoré.
Et ne plus te cacher. Montrer au monde que quelque part, dans ma mémoire, tu existes, tu es.
Et ma fierté… Ma fierté pour tout cet héritage précieux que tu m’as laissée. Pour tout cet Amour qui chaque jour répare, soigne et panse… Et qui inonde le Coeur des autres, le guide, l’inspire et lui montre l’exemple.
Merci de m’avoir montrée la Voie.
C’est par l’enfant que naissent les espoirs du monde. Et c’est dans les épreuves que se révèlent parfois les plus grandes bénédictions.
Qui pourrait en douter ? Toi dont le courage m’a sauvée.
Je t’Aime. Pour toujours je t’Aime. Repose en Paix.
Le temps, n’est plus à se retourner. Mais à Vivre et à danser, à Rire et à chanter.
Marie Ribeill