par Pierre Barthélémy
A sa manière, Raymond Devos avait eu l’intuition de la nature ambiguë du vide, en expliquant dans un sketch que « rien … ce n’est pas rien. La preuve c’est qu’on peut le soustraire. Exemple : Rien moins rien = moins que rien ! Si l’on peut trouver moins que rien, c’est que rien vaut déjà quelque chose ! On peut acheter quelque chose avec rien ! En le multipliant. Une fois rien … c’est rien. Deux fois rien… c’est pas beaucoup ! Mais trois fois rien ! … Pour trois fois rien on peut déjà acheter quelque chose ! » Le vide est comme le rien de Devos, pas si vide que cela en réalité, car de ce néant peut surgir quelque chose. En effet, la physique quantique décrit le vide comme un espace à énergie non nulle, où surgissent constamment des paires particules/antiparticules qui s’annihilent à peine apparues, restituant ainsi au vide l’énergie qu’elles lui avaient brièvement empruntée pour naître.
On pourrait considérer ce bestiaire subatomique comme virtuel s’il n’avait pas des conséquences observables sur les objets réels du monde. Ainsi, en 1948, le physicien néerlandais Hendrik Casimir prédit que deux plaques métalliques placées très près l’une de l’autre (un écart de l’ordre du millième de millimètre) s’attireraient sous l’effet des fluctuations quantiques du vide. Comme les plaques sont extrêmement rapprochées, entre elles, les particules associées à une certaine longueur d’onde ne peuvent apparaître et il y a donc un déséquilibre entre l’énergie du vide à l’extérieur des plaques et celle présente à l’intérieur. D’où une pression qui pousse les plaques à se rapprocher, un phénomène vérifié expérimentalement pour la première fois en 1958 et qui porte désormais le nom d’effet Casimir.
Il existe une variante plus « dynamique » de cet effet, prédite en 1970 par le physicien américain Gerald Moore. Ce dernier a en effet imaginé un dispositif destiné à arracher les particules issues des fluctuations du vide à leur état « virtuel », à les empêcher de retourner au néant en quelque sorte. L’idée consiste à faire se déplacer un miroir dans le vide. Tant que le miroir ne va pas trop vite, il ne peut empêcher les paires particules/antiparticules, qui filent à la vitesse de la lumière, de s’annihiler. Mais, dès lors qu’il se promène à une vitesse proche de celle de la lumière, il arrive à séparer des photons de leurs partenaires et à les ancrer dans le monde réel. Conséquence : le miroir émet de la lumière.
L’expérience est très belle sur le papier, mais elle présente un inconvénient majeur : nous ne savons pas accélérer un miroir à une vitesse dite « relativiste », c’est-à-dire à une vitesse représentant une fraction non négligeable de la vitesse de la lumière. Cela dit, le sac des physiciens n’est pas vide, lui non plus, et contient plus d’un tour. Une équipe internationale est donc parvenue à contourner l’obstacle et, si la nouvelle circulait depuis plusieurs mois, leurs travaux n’ont été publiés que le 17 novembre dans la revue Nature. Ces physiciens ont fait vibrer très vite, et sur une courte distance, un miroir virtuel électromagnétique, à 25 % de la vitesse de la lumière. Au cours de l’expérience, celui-ci transmettait une partie de son énergie aux photons, ce qui les a aidés à se matérialiser.
Dans le commentaire, publié par Nature, qu’il fait de cette expérience, Diego Dalvit, spécialiste d’optique atomique et quantique au Los Alamos National Laboratory, souligne que cette « démonstration de l’effet Casimir dynamique, ajoutée aux actuels efforts expérimentaux et théoriques, aura un fort impact sur la physique fondamentale. Cela permettra, entre autres, de faire des démonstrations en laboratoire de création de particules dans un Univers en expansion et d’évaporation de trou noir. » En effet, il se peut que les trous noirs, généralement présentés comme des ogres à l’appétit infini, du ventre desquels rien, pas même la lumière, ne peut ressortir, aient en réalité une petite fuite, connue sous le nom de rayonnement de Hawking, car elle a été prédite par le célèbre physicien britannique Stephen Hawking. Dans quelques milliards de milliards de milliards d’années (voire plus…), quand il ne restera plus de notre Univers qu’une population de trous noirs errant dans un espace très froid et que ces monstres cosmiques n’auront plus rien à se mettre sous la dent, ils perdront très lentement de l’énergie en raison des fluctuations du vide. Si lentement qu’il faudra probablement 10100 ans (un 1 suivi de 100 zéros) pour que tous les trous noirs du cosmos se… vident.
Pierre Barthélémy