par Françoise Salaün
Le voyage astral que j’ai fait cette nuit ne fut pas désagréable.
Je me suis retrouvée cette fois de l’autre côté du miroir entourée d’entités diverses évoluant dans l’astral moyen. C’est dans ces sphères variées que viennent se promener, se divertir, se reposer, aider ou apprendre l’une ou l’autre leçon de vie de nombreuses personnes dédoublées pendant leur sommeil. Mais bien sûr, la plupart ne se souviendront pas nécessairement de leurs aventures astrales à leur réveil.
Une haute bâtisse qui ressemblait fort à une gare ferroviaire moderne accueillit mes pas légers. Parmi les personnes qui déambulaient avec nonchalance dans la salle d’accueil principale, un homme un peu bizarre captura mon attention. Mal rasé, mal fagoté, vêtu de guenilles trop larges pour lui, son piètre accoutrement détonnait parmi la foule anonyme. C’était l’image d’Epinal parfaite du clochard qui erre sous les ponts de Paris… D’emblée, il me parut pourtant sympathique, allez donc savoir pourquoi. Peut-être est-ce parce qu’il dégageait malgré tout un rayonnement positif. Nous fûmes donc attirés naturellement l’un vers l’autre et je n’hésitai pas à me diriger vers lui pour lui demander ce qu’il faisait dans la vie sur terre.
Sa situation n’était pas brillante. Il vivait même des moments pénibles suite à la perte de son emploi et à l’abandon subséquent de tous ses proches. Selon ses propres termes, il avait perdu tout son pognon et par extension jusqu’au goût de vivre. Il souhaitait désormais ne plus retourner sur cette terre maudite qui l’avait mené droit à la déchéance physique et morale.
Malheureux, sans l’espoir d’un avenir meilleur, il voulait en finir au plus vite. Sa position dégradante actuelle, par rapport à la grande vie qu’il avait mené auparavant, lui étant devenue insupportable. Il s’était pourtant beaucoup investi tout au long de sa vie professionnelle mais la confiance naïve qui l’avait toujours guidé lui avait joué des tours et avait fini par le ruiner. Son univers cossu et tranquille, bâti à coup d’efforts et de sueur, s’était donc effondré. Et cela, il ne l’avait pas prévu…
De fil en aiguille, j’appris qu’il connaissait assez bien l’informatique. Je lui demandai dès lors pourquoi ne pas essayer de retrouver un emploi dans ce domaine. Ca lui permettrait de relever la tête et même s’il devait repartir à zéro, c’était toujours mieux ça que la vie de vagabond qu’il menait à présent. Mais il n’en avait plus ni la force ni l’envie. Il était las de sa vie d’avant, de la bureaucratie et de tout ce qui tourne autour. Son ultime désir eût été de se rendre utile aux autres. Mais qui accepterait l’aide d’un pauvre clochard comme lui ?
Une idée aussi lumineuse que soudaine me vint à l’esprit. Je lui en fis part.
– Si vous maîtrisez si bien l’ordinateur, pourquoi ne pas associer ce savoir à l’aide que vous pourriez apporter aux autres? lui fis-je.
Il me toisa un instant, songeur et perplexe.
– A quoi pensez-vous ? me demanda-t-il encore incertain quant à sa réponse.
– J’ai une idée, lui dis-je.
Cette idée m’était venue car je le sentais fort réceptif avec son aura qui tirait vers le haut comme les vrais médiums.
– Pourquoi ne pas utiliser vos dons naturels pour aider les gens, lui dis-je. Je pense par exemple à l’astrologie. Vous pourriez vous procurer un logiciel astrologique et, avec l’aide des astres les conseiller et les aider à trouver leur voie. Votre intuition et vos dons de perception, qui me semblent évidents, pourraient certainement vous servir .
Son visage s’illumina enfin quelque peu. Le tilt était fait. Mon idée lui plaisait. Nous continuâmes à la développer.
Je pris un bout de papier qui traînait dans ma poche et lui écrivis mon adresse e-mail. On ne sait jamais, me disais-je. Si d’aventure il désirait me retrouver ici-bas, il saurait où me joindre.
– Mais que voulez-vous que j’en fasse? me lança-t-il un peu étonné. Je ne vais tout de même pas emporter ce papier avec moi lorsque je retournerai à ma vie d’en bas ! Je ne me souviendrai peut-être même plus de notre conversation. Du reste, j’ai un peu trop forcé sur la bouteille ce soir et je n’ai pas toute ma tête à moi …
Je n’avais pas pensé à cela.
– Ecoutez dis-je, concentrons-nous fortement. Ainsi, au réveil, même si vous ne vous souvenez plus de rien, subsistera peut-être au moins le désir inconscient de réaliser ce projet. Je demanderai à mes Guides de vous aider. Je suis sûre qu’ils vous soutiendront. Ils sont tout amour vous savez …
Il acquiesça.
Une dame avait rejoint notre conversation. Elle était, elle aussi, très rayonnante et semblait curieuse de nous connaître.
Nous discutâmes donc tous les trois un bon moment avant qu’elle ne se dirige vers un escalator qui menait au premier étage de la gare.
– C’est étrange tout de même de voir des escalators dans l’Astral, ne trouvez-vous pas? fis-je à la dame.
– Oh, vous savez on voit tellement de choses étranges par ici. On retrouve un peu partout le double des choses. Même parfois des choses très anciennes, oubliées du monde des vivants. Les gens aiment tellement conserver leurs habitudes. Mais il existe aussi des mondes plus abstraits. Y avez-vous déjà été?
– Non, lui dis-je.
– Si vous voulez, je vais vous y emmener. Vous verrez, c’est fort différent d’ici.
J’aurais bien suivi la gentille dame mais je sentais que l’énergie commençait à me manquer et que j’allais devoir bientôt « redescendre », tout comme mon ami de passage le clochard.
Nous dûmes donc nous séparer. Ce ne fut pas facile : je me rendais compte à quel point cet homme pouvait être facilement récupéré et ça m’ennuyait de devoir le perdre de vue. Il suffisait d’un petit coup de pouce du destin pour le remettre sur le droit chemin, j’en étais sûre. J’aurais voulu dialoguer encore avec lui, le pousser à agir, connaître la suite de son histoire. Au fond, c’était un pauvre bougre pas méchant pour un sou. Il était même sensible et attachant…
Cette rencontre fortuite avait été bien chaleureuse. Dommage que notre au revoir ait le goût un peu amer d’un adieu définitif.
Je me dirigeai vers un jeune couple qui devait faire partie de mes amis astraux. Je les pris chacun par un bras et les embrassai amicalement. Que d’amour ressenti dans nos effusions, que d’amour… c’était sublime. J’embrassai une dernière fois mon ami. Il ne dégageait aucune odeur désagréable. Au contraire, il sentait plutôt bon. Je me souvenais qu’aux urgences des l’hôpitaux où j’avais travaillé j’évitais toujours les clochards. Leurs odeurs m’incommodaient réellement car j’ai le nez sensible. Mais ici, tout est différent : il y a d’autres parfums, d’autres couleurs, d’autres sons même.
Je me réveillai les membres un peu engourdis.
Au matin, mon mari m’enjoignit à prendre note de cette aventure sympathique vécue pendant mon sommeil…