par Bertrand Duhaime
William Edmund Butterworth III, un auteur étasunien prolifique d’œuvres de fictions (nouvelles, des histoires de détectives et d’aventures militaires, dont le célèbre The Hunting Trip) s’est permis d’émettre un truisme : «Vous ne pouvez qu’être vous.» Truisme, diront les uns; constat facile, diront les autres. N’empêche que c’est plus facile à dire qu’à faire que d’être soi-même. En tant qu’être humain, la seule manière dont un individu peut faire l’expérience de tout ce dont il est capable, c’est en étant lui-même. Pour celui qui n’accepte pas d’être lui-même, tout autre accomplissement ne peut se produire dans son expérience personnelle. Celui qui accepte de devenir ce qu’un autre veut qu’il soit perd tout lien avec qui il est vraiment et il devient la piètre caricature de l’autre. Nul ne devrait trop apprécier d’appartenir à la catégorie des gens qu’Oscar Wilde a décrits ainsi : «La majorité des gens sont quelqu’un d’autre. Leurs pensées proviennent de l’opinion d’une autre personne, d’où leur vie devient une imitation, leurs passions, une reproduction.»
Pour devenir un être humain complet, pour être totalement, pour expérimenter la plénitude, pour développer toutes ses potentialités et atteindre tous ses possibles, il faut commencer par être soi-même. Ainsi, il ne faut pas tant écouter les explications et les histoires des autres que de vivre pleinement sa propre vie et de chercher à savoir et à comprendre par soi-même. Chacun doit se dire qu’il veut ressentir la satisfaction de mener sa propre expérience et de découvrir par sa propre recherche. À quoi peut bien servir le modèle de l’autorité ou l’enseignement des maîtres s’ils n’ont aucun sens pour soi? Plus un être se pose des questions à lui-même et plus il pense par lui-même, plus il devient lui-même. Car être soi-même signifie ne pas être conditionné par les autres, ne pas être programmé par l’extérieur, ne pas devenir un prolongement du passé, du sien ou de celui des autres. Être soi revient à revendiquer sa différence qui fait son unicité, sa singularité, son originalité, sa rareté, sa préciosité.
Nul ne peut être lui-même sans développer sa propre manière de sentir et de ressentir les choses, de s’exprimer lui-même. Mais, jusque ici, nous n’avons parlé que de procédés et d’activités. Ceux-ci représentent surtout ce qui se voit d’un être, mais son expérience centrale, celle qui est vraiment pertinente pour lui, ce n’est pas d’exprimer l’Être, mais d’en faire l’expérience effective. Être soi-même revient à être, car cela revient à dire : «J’existe en tant que moi.» Cela amène à ressentir son esprit, son cœur, son corps comme des manifestations extérieures de soi et à reconnaître son Noyau intime comme l’être véritable. Cela revient à se dire qu’on est la source et le chantier de son expérience. Ce n’est qu’alors que ses pensées, ses actions et ses sentiments se teintent d’originalité. Ils n’ont plus rien à voir avec sa mère ou son père, avec ses enseignants, avec ses guides religieux ou ses Maîtres spirituels, avec toutes les figures d’autorité qui sont apparues successivement au cours de sa vie.
À vrai dire, être soi n’appelle pas à croire qu’on est la Lumière universelle et impersonnelle, mais à affirmer son expérience comme différente de celle des autres et à considérer qu’on participe de l’Océan de Lumière, d’amour, de plénitude, de béatitude et qu’on y a droit en tant qu’être, en tant que soi. Dans cette perspective, l’être qu’on est vraiment devient le point de toutes les réalités et il devient la raison d’être de la Terre. Pour chacun, sa raison de fouler le sol de la Terre consiste à être cela, car il y est venu pour se connaître parfaitement.
Et voilà où réside l’apparent mystère, à savoir que l’être vrai inclut la réalité universelle, voire la Réalité divine. La pierre d’assise de l’être vrai c’est la Substance universelle ou la Matière divine, mais son Essence, c’est celle de l’Esprit divin. Chacun est recréé à chaque instant. Cette réalité laisse entendre la possibilité d’une nouvelle naissance. Dieu appelle l’être à l’existence ou il donne la naissance à l’être, comme on choisira de le dire. Mais sans cette expérience d’exprimer sa totalité, un être ne peut que se sentir incomplet. C’est la raison de la naissance et de la croissance de l’être, de l’être personnel, de l’Essence personnelle, qu’on désigne parfois sous le nom de «perle de grand prix», qui exprime toutes les choses qui existent.
Voilà la clef qui résout tous les mystères et qui permet de célébrer toutes les créatures dans leur diversité. En fait, être soi-même revient à s’accepter comme la synthèse de tout ce qui existe en tant que soi. Chacun est le fruit de l’Univers. On est trop facilement porté à penser que si on obtient ce qu’on veut, au niveau de sa personnalité, on peut se considérer comme comblé. Mais, ultimement, la plénitude réside dans l’absence de désirs. Alors il faut comprendre qu’être soi-même, être son Essence, libéré des désirs de la personnalité, c’est cela qui s’appelle la plénitude. Car l’être ne se mesure pas à l’avoir, au faire, au paraître, au pouvoir, au jouir. Être ne consiste pas à tenter de s’approprier son Essence à seule fin de retirer de sa possession des bienfaits. Être signifie vibrer à plein cintre dans sa totalité. Dire que ce principe est absolu, et il l’est au sens ou une loi physique peut être absolue, ne revient à dire rien d’autre, et cela n’a rien à voir avec l’opinion ou les préférences personnelles. Ainsi est la réalité qu’elle est la vérité. Kierkegaard a dit : «L’ennui est la racine de tous les maux — le refus désespérant d’être soi.» La finalité de chacun, ce n’est pas d’être le meilleur ou le plus grand, mais d’être lui-même.
L’aspiration à être soi-même, donc à s’exprimer de manière à communiquer finalement ou ultimement ce qu’on porte en soi correctement et complètement au monde extérieur, représente une voie facilement comprise et reconnue. Elle est même assez généralement appréciée du fait que tous ressentent ce désir ou ce besoin à divers degrés. Peu parviennent à atteindre cette réalité, et c’est ce qui représente le plus grand drame, parce que chacun détient une manière unique de percevoir. Et cette perception, qui participe du tout, n’est ni moins importante ni plus importante qu’une autre, mais elle se fait de manière différente. Or chaque point de vue est valable.
De ce fait, la perte de n’importe quel être ne représente pas uniquement la perte d’un individu, mais la perte d’un plus grand tout, celle d’un être humain avec sa compréhension, son apport personnel et son potentiel de croissance. Cela n’empêche pas que peu d’êtres humains s’occupent d’exprimer véritablement leur être simplement parce qu’ils ne savent pas comment y parvenir. Pour commencer, ils ne reconnaissent pas en eux ce désir d’expression complète. Ceux qui le reconnaissent ignorent comment s’y prendre. Et, souvent, ceux qui découvrent comment s’y prendre ne redoutent rien plus que de devoir se présenter au monde dans leur unicité, par peur du rejet. Mais, pour ceux qui veulent devenir ou redevenir eux-mêmes, le premier pas consiste s’appliquer à être soi ou à ne pas être du tout. Ensuite, ils doivent chercher à savoir vraiment qui ils sont et se permettre d’exprimer ce qu’ils sont au plus profond d’eux. En dernier lieu, ils doivent demander l’inspiration pour bien conceptualiser ce qu’ils sont et pour comprendre le but de sa vie de manière à exprimer toute leur vraie nature.
Dans la quête évolutive, rien ne compte plus que de se connaître soi-même, de savoir qui on est vraiment. La question à cette réponse, c’est qu’on est à la fois le chercheur et la quête, à savoir que la quête commence et finit avec soi. Le secret de la réalisation personnelle réside dans cette divulgation. C’est cela que tout être humain a toujours cherché tout au long de ses vies. Quand on parvient à le comprendre, on réalise qu’il n’y a rien à obtenir, que tout ce qu’il y a à faire, c’est d’être et d’être soi. Juste cela, rien que cela et rien d’autre. Voilà par quoi commence la réalisation de soi.
Le dévoilement du grand secret de la libération est facile : celui qui cesse de chercher la destination l’atteint. Tant qu’un être cherche quelque chose, ce qu’il cherche lui court après, mais ne le troue jamais à la bonne adresse. Après tout, nul n’a vraiment quitté la Réalité à aucun moment, il ne l’a qu’oubliée. Il importe de se connaître soi-même. Et cette quête commence la connaissance de son soi naturel, toujours présent, de la vie quotidienne. Parce que, quand on se connaît parfaitement, on connaît la Vérité, qui libère, d’où on entre dans la liberté. Mais pour cela, il faut vraiment être soi-même, non la copie ou la caricature d’un autre.
À la vérité, chacun peut dire : «Je Suis Ce Que Je Suis.» Chacun est ce qu’il est. Alors, quel étrange paradoxe, pour se connaître, soi, il faut connaître le Soi. Devenir un adulte capable de relations empreintes de maturité présuppose qu’on a été capable d’être soi dans son enfance. Cela implique qu’on a pu exprimer ses désirs, ses besoins, ses sentiments, ses peurs, sans récriminations de la part des autres. Toutefois, nombre des êtres humains ont grandi dans des familles où le fait d’être soi-même ne représentait rien d’autre que la perte de l’amour à sa disposition. Car la majorité ne pouvaient l’obtenir qu’en se conformant, dans leur agir et dans leur ressenti, aux attentes de leur famille d’origine.
Tenter de vivre en accord avec les souhaits et les besoins des autres, c’est comme être un jeune cygne et devoir agir en caneton parce qu’on vit dans une mare aux canards. Le conformiste développe un faux-moi alors qu’il est secrètement un héritier royal. Dans cette perspective, il se pourrait que, pour beaucoup, l’appel à devenir un adulte sain au niveau psychologique requière l’abdication de leur propre noblesse.
Un être développe l’aptitude à maintenir son identité en maintenant son opinion, ses points de vue et ses besoins en dépit des protestations extérieures C’est nécessaire du fait que chacun éprouve des besoins différents. Celui qui opte toujours la solution facile, parce qu’il tient à tout prix à conserver son bien-être, révèle sa grande vulnérabilité : il atteste d’une grande sensibilité aux désaccords, ce qui peut le porter à les éviter pour s’épargner le rejet. Mais, ce faisant, il s’expose à perdre son identité propre.
Apprendre à reconnaître ses besoins et à les affirmer en dépit de tout, envers et contre tous, voilà qui fait partie de la maturation du jeune être qui veut devenir un adulte. Une maturité que ne peut atteindre celui qui passe son temps à opiner du bonnet, pour se conformer aux attentes des autres, en reniant ses besoins. Il est plus porté à se conformer à l’idéal des autres qu’au sien. Or bien des hauts et des bas de la vie peuvent s’expliquer par une angoisse fondamentale résultant qu’on ne se conforme pas à sa réalité. En pareil cas, par un mécanisme compensatoire, on peut aller jusqu’à camoufler sa peur en une sensation agréable, mais celle-ci ne représente qu’un pic émotif dont on se sert pour masquer l’erreur de nier ses besoins ou sa réalité.
Certains expliquent la culpabilité et la souffrance comme des manifestations du fait de ne pas être complètement soi-même, ce qui devrait impliquer qu’on n’obéit qu’à ses propres règles. Pour compenser, relâcher la tension émotive, on peut sombrer dans l’anorexie ou la boulimie, devenir compulsif ou obsédé, connaître des phobies, être pris de panique. Il existe nombre de moyens symptomatiques qui ne traduisent rien d’autre que son incapacité de comprendre le mal qu’on s’inflige. Pire, on peut en comprendre une part, mais pas suffisamment pour exercer une maîtrise suffisante de soi-même.
Dans la gamme des symptômes de cette nature, on peut ranger la distorsion des besoins ou la déformation des sentiments qui engendrent des peurs sourdes et inexplicables. Bien sûr, nul n’est appelé à se rebeller ou à se révolter pour prouver qu’il est capable d’être lui-même. Il apparaîtrait plus utilement de s’habituer à encaisser la contradiction sans flancher et sans s’émouvoir au point de se faire mal avec ce que les autres disent et de vivre misérablement. Dans la vie, personne ne peut prétendre atteindre la perfection, mais cela ne justifie en rien qu’on ressente des symptômes importants sans chercher à comprendre ce qu’ils cachent au niveau inconscient. Cet état révèle souvent le fait qu’on se laisse contrôler par ses émotions au lieu de les diriger et de les canaliser. Dans la même veine, le passé ne passe vraiment derrière soi que lorsqu’il cesse d’influer outre mesure sur son présent et sur son avenir.
À notre époque, bien des gens osent émettre leurs opinions sur ce qu’être soi représente parce qu’ils réalisent à quel point c’est important de vivre ainsi. Cela ne veut pas dire qu’ils ont tous raison, loin de là. Mais ils ont au moins le mérite d’attirer l’attention, de façon récurrente, sur un principe fondamental de l’accomplissement personnel. Parmi les propos qu’ils tiennent, ils y reconnaissent notamment un moyen d’améliorer sa santé.
Tout être suffisamment sûr de lui saisira dans cette affirmation que chacun gagne à ne devenir rien d’autre que lui-même, car autrement il passe à côté de lui-même. Celui qui n’est pas lui-même ne peut que vivre dans la contrainte et l’ennui. Il vaudrait probablement mieux disparaître que de vivre par personne interposée. Mais qui vit dans la sujétion, parce qu’il est fortement conditionné ou programmé, ne se rangera pas forcément à cet avis. Alors, pour être plus juste, on pourrait plutôt affirmer que cela rendrait la vie plus agréable parce que plus enrichissante et intéressante. On vivrait une vie qui rapprocherait de ses objectifs et de son but ultime.
La psychologie contemporaine appelle souvent les gens à vivre dans un état de transparence qui confine au dénudement psychique. La nudité complète, qu’elle soit physique ou psychique, laisse peu de place à l’imagination. Pour rire de cet excès, on pourrait penser que, au Jardin d’Éden, Adam aurait peut-être éprouvé plus rapidement de l’attrait sexuel pour sa compagne si, au lieu de se promener toute nue, elle avait accordé plus d’attention à sa garde-robe. Car elle a dû se résoudre à lui faire manger une pomme pour parvenir à l’émoustiller. Elle-même occupée à meubler sa penderie, elle aurait peut-être plus facilement repoussé les séductions du Serpent, ce qui aurait changé tout le destin de l’Humanité.
Depuis le début, nous nous appliquons à laisser entendre que ce n’est pas tellement ce qu’est un être qui compte, mais ce qu’il ose faire de ce qu’il est. Il gagne toujours à faire un bond dans l’inconnu plutôt que de se cantonner dans ses routines et dans ses fausses certitudes. Il gagne surtout à se dévoiler ses propres potentiels, ses aptitudes personnelles, ses capacités individuelles, dût-il provoquer un peu de confusion. On évolue plus facilement en essayant quelque chose qu’à ne rien faire par peur du ridicule, de l’erreur ou de l’échec.
Chacun devrait savoir que, lorsqu’on désire faire du renouveau, au moment d’introduire un mode de vie différent, un être passe par un moment d’inquiétude qui peut aller jusqu’à la paralysie. Mais il doit savoir dépasser cette peur, qui couve un sentiment de menace à son intégrité, s’il veut explorer l’inconnu et ouvrir sa conscience. Ce moment correspond à celui où il se demande qui il est vraiment, à savoir s’il n’est que ce qu’il a été jusque là ou s’il est aussi ce qu’il s’apprête à expérimenter. Pour revenir à notre histoire de la Genèse, Adam a dû connaître des moments d’inertie semblables, et peut-être qu’il aurait dû en vivre davantage pour exprimer plus de sagesse, ce qui aurait faire l’affaire de sa progéniture prise dans les problèmes qu’il a engendrés.
Nul ne peut prétendre connaître les autres, s’il ne se connaît lui-même parfaitement, même quand il dit les connaître comme s’il les avait tricotés. Car la véritable connaissance résulte d’une communication intérieure, un contact d’âme à âme, non d’une observation des apparences phénoménales. La connaissance commence quand un être peut-dire «nous» tout en disant «je». Chacun gagne à réfléchir sur le fait qu’il est unique et il doit se donner le droit de se sentir intéressant en tant qu’être individualisé. Tous le sont à leur manière. Mais, autant il importe d’être soi-même, autant il s’impose d’éviter la prétention, cet état de l’être imbu de lui-même, et de s’exprimer dans l’arrogance et la suffisance.
Chacun doit prendre soin d’échapper aux pressions de ses pairs pour éviter d’agir comme eux simplement pour être accepté. Nous oublions malheureusement qui a dit : «Voici qu’arrivent ceux qu’on dit des fous, des rebelles, des fauteurs de trouble ou des pions ronds dans des loges carrées parce qu’ils perçoivent la réalité différemment, qu’ils ne prisent pas trop les règlements et qu’ils ne respectent pas le statu quo. Vous pouvez les pointer du doigt, dire votre désaccord, les glorifier ou les vilipender. Mais vous ne pouvez pas les ignorer parce qu’ils forcent les choses à changer. Ils poussent la race humaine vers l’avant. Et alors que vous les appelez des fous, nous les appelons des génies. Parce que ceux qui sont assez fous pour croire pouvoir changer le monde y parviennent.»
Pour maintenir son goût de vivre, chacun doit se trouver une raison d’exister. Et le goût de vivre grandit d’autant que cette raison varie de celle du voisin et qu’elle est plus complexe à comprendre ou à réaliser. Pour un petit moment, imaginons que la variété et la diversité disparaissent du monde. Probablement que tous en éprouveraient, à prime abord, un mouvement de stupeur, la peur de ne pas exister. Cela n’amène-t-il pas à penser que ce qui fait toute la beauté du monde, c’est la variété des créatures et les différences qui séparent les individus d’une même espèce? En tout cas, cela rend nécessaire l’existence de tout être.
À travers ses créatures, Dieu a voulu valider tous ses concepts et connaître concrètement tous les aspects de lui-même, si extrêmes et mauvais qu’ils puissent paraître. Y a-t-il rien de plus nécessaire que de se sentir indispensable, ce qui fusionne dans le besoin de se sentir utile ou important? Si tous les gens étaient pareils, à quoi servirait son existence? Quel besoin d’autrui pourrait-il combler? Si on comprend bien, le besoin d’unicité a donné naissance au besoin de se regrouper en société. Le fait d’être unique confère à chacun sa valeur, le rendant indispensable ou irremplaçable. Et il éveille la motivation d’atteindre une position plus élevée dans un groupe, d’être choisi parmi les autres, d’accéder à un plus grand pouvoir, à tous égards, même s’il devait s’agir d’un pouvoir indirect.
Du fait qu’il résulte de deux patrimoines génétiques et de leur interaction avec le milieu et l’environnement, chaque individu représente un trésor exceptionnel. Il est probable qu’à un niveau ou l’autre de leur conscience, c’est cette unicité que tout être réclame dans son désir d’être connu, reconnu et accepté. Mais certains s’y prennent à l’envers, procédant par la négation d’eux-mêmes, oubliant qu’alors ils s’effacent, se fondant dans la multitude, jusqu’à devenir difficilement perceptibles.
Mais ce n’est pas tout, celui qui veut aller de l’avant doit imposer la reconnaissance de son unicité, en réclamant son droit à la différence, mais il doit encore apprendre à respecter l’unicité des autres, qui s’exprime par sa différence. Cela devient facile quand on comprend que tout être est unique; qu’on reconnaît sa propre unicité; qu’on accepte sa différence; qu’on se respecte comme on est et qu’on impose l’acceptation inconditionnelle de son être. À ce propos, Robert H. Schuller, un pasteur, télé-évangéliste, conférencier, motivateur et auteur étasunien, décédé que récemment (2015), a fait savoir : «Au fur et à mesure que nous nous développons comme une personne unique, nous apprenons à respecter l’unicité des autres.»
Si déformé qu’il soit, chacun a déjà suivi la trace de son unicité dans la formation de ses pensées et de ses sentiments, dans sa compréhension de lui-même et dans ses relations avec les autres. Même quand on imite ou émule, on le fait à sa manière. Il ne reste qu’à approfondir cette démarche pour obtenir une vision plus globale de son être, ce qui ne s’obtient que par le jeu de contraste des réalités compatibles et complémentaires, souvent d’apparence opposée. Chacun détient sa part d’unicité et c’est en tenant compte de cette unicité et de celle des autres, qu’il peut comprendre comment maintenir dans l’harmonie ses diverses relations avec les autres.
S’est-on enlisé dans des ornières? Tourne-t-on dans un cercle vicieux? C’est ce qui arrive quand un être vit dans la routine comme s’il évoluait en mode automatique. C’est que vous êtes tombés dans le piège de la facilité qui cherche à éviter les surprises, mais qui confine à la monotonie et à l’ennui. L’être vit ainsi parce que c’est ce qu’il fait depuis fort longtemps. Dans cet état, il est très facile de perdre la notion d’une direction à suivre, de la raison de la suivre et de la destination à atteindre. Quand on a perdu la notion de son but ultime, on n’a plus qu’à porter attention à sa façon d’avancer dans l’immédiat, ce qui engendre rapidement une attitude figée et rigide et qui induit dans un comportement robotique. On finit même par oublier qui on est, si on n’oublie pas ses besoins. Ici, écoutons un sage parler : «N’allez pas où porte le sentier. Passez plutôt là où il n’y a pas de sentier et laissez une trace.» (Ralph Waldo Emerson)
Chacun peut décider d’en changer pour découvrir, au-delà de son unicité contingente, son Unicité transcendantale. Il ne s’expose qu’à gagner en estime de lui-même et en confiance en lui. La découverte et la célébration de son Unicité amènent à découvrir des clés qui permettent de déverrouiller son être réel et de transformer radicalement sa vie. Mais on ne peut pas avoir la motivation de connaître son Unicité quand on méprise son unicité terrestre et humaine. De là, il importe d’autant d’apprendre à s’aimer comme on est et à se présenter au monde tel qu’on est. Le Dr Seuss a dit : «Aujourd’hui, vous êtes Vous, ce qui est plus vrai que vrai. Nul être vivant n’est plus vous que vous. Et ailleurs, il ajoutait : «Vous pouvez être qui vous êtes et dire ce que vous ressentez parce que ceux qui le remarquent s’en fichent et que ceux qui y portent attention s’en balancent.»
Ces propos confirment une remarque de la psychologie à savoir que, dans la société contemporaine, fort individualiste, tout être se contemple tellement le nombril, qu’il ne remarque pas vraiment ce que l’autre fait, à moins d’être très handicapé lui-même et d’en ressentir un grand complexe d’infériorité, ce qui l’amène à se valoriser en jugeant ou en critiquant autrui pour faire oublier l’image qu’il donne.
Dans leur enfance, tous les êtres humains éprouvent cette grande liberté d’être eux-mêmes. Mais avec le temps, ce qui se produit plus tôt à notre époque, cette liberté échappe à l’enfant, qui découvre les dernières ficelles de la vie d’adulte. Il en vient à tellement se soucier des normes sociales qu’il finit de se déformer. Il porte de plus en plus attention au comportement de ses pairs — qui ne se comptent pas qu’au rang des autres adolescents qui, à l’âge fou, exercent sur lui leur pression — et à la manière qu’ils le perçoivent. Et, s’il n’y prend garde, il pourrait bien opter pour une carrière dont d’autres ont décidé ou que d’autres ont désiré pour lui, et se prendre dans un emploi dont il ne peut se permettre de perdre le revenu, lancé dans un mode de vie semblable à celui des voisins, de grands consommateurs. Et plus il avancera en âge, plus il craindra de protester contre sa situation par peur de passer pour un fou, de se faire traiter d’inconséquent, d’ingrat ou de s’entendre dire qu’il doit subir les assauts du démon du midi.
Pourtant, chacun est manifestement différent et distinctement lui-même, même quand il émule, imite, concurrence ou copie. Sauf qu’au lieu de présenter de l’intérêt pour autrui, il se perd dans l’anonymat de la foule. La conjonction de la date de naissance assigne à chacun une individualité inaliénable. Même s’ils paraissent identiques, deux nouveau-nés offrent déjà des différences notables. Et les parents ou les tueurs attestent de cette singularité en apposant un nom différent sur son certificat de naissance ou dans les registres civils de l’État.
Pour tout dire, il ne peut en être autrement puisque l’individualité représente toute une gamme de propriétés qui comprend l’origine, l’apparence, le nom, la religion, la couleur, la caste, les crédos et les dogmes, la formation, l’orientation sexuelle et, par-dessus tout, la nature des sentiments et des pensées. Car c’est surtout à travers ses sentiments et ses pensées qu’un être forme son état d’adulte. En général, dans le monde matériel, tout peut être contaminé, mais pas les pensées personnelles.
L’individualité représente encore la somme de ce qu’un être aime ou déteste et de ce qui le laisse indifférent. Il est la somme de ses goûts, de ses penchants, de ses élans, de ses pulsions et des inclinations qu’il a formés surtout au cours de son enfance. Ces éléments exercent une profonde influence tout au long de la vie. Il arrive souvent à la société d’analyser les nuances de l’individualité comme on pourrait étudier les diverses teintes dans un canevas aux multiples couleurs. Si les teintes sont harmonieuses, on trouve le canevas fort beau. Mais, on trouera le tissu social moins beau si l’opinion personnelle ne sert qu’à refléter un caractère obstiné et rigide. La personne qui a du caractère se fait traiter de «tête dure» ou de «tête de cochon» par les êtres superficiels ou influençables, qui déguisent souvent par ces propos leur désir de dominer. Et, dans son milieu, elle est perçue comme une excroissance, comme une nuisance ou comme un «empêcheur de tourner en rond».
En pareil cas, un être doit développer assez de flexibilité ou de souplesse pour admettre des commentaires du genre : «Aujourd’hui, tu t’y es pris en fou» ou «tu t’es comporté en idiot». «Tu ne sais pas t’habiller.» «Tu ne connais pas tes couleurs.» «Tu sais, ta coiffure, ce n’est pas une réussite.» «Pauvre de toi, tu aurais dû savoir à quoi t’attendre en t’y prenant comme ça.» Autant de commentaires qui laissent entendre que son milieu social s’attend à ce qu’on respecte des règles et, de préférence, celles du clan, de la meute, de la tribu… Tellement qu’on en vient à se conformer largement à ses attentes pour se faciliter la vie, se disant que c’est la meilleure manière d’agir en société. Mais on ne devrait pas s’y méprendre, la collectivité ourdit ainsi complot subtil, formé d’un arsenal de phrases toutes faites, pour justifier sa logique et pour amener le faible à céder, à rentrer dans les rangs.
Quand on témoigne d’un tel degré de souplesse, qui ne révèle pas que de l’adaptation, on devrait s’examiner et se remettre en question. On devrait aller se placer devant un miroir, dans lequel on pourrait apercevoir une réplique inversée de son individualité, pour regarder attentivement ce modèle ou ce prototype auquel on s’est familiarisé avec les ans, mais que les autres perçoivent bien différemment de soi, du fait qu’on le perçoit plus largement par l’intérieur que ceux qui le voient entièrement de l’extérieur. Alors, on devra admettre qu’on est bien cet être qui se reflète devant soi, dans toute sa prétention maligne et dans toute sa quête d’amour, de reconnaissance et d’admiration. Reste à voir si on peut se dire qu’on s’aime soi-même quand on observe cette image troublante, souvent décevante.
Peu de gens savent s’aimer comme ils sont. Chose certaine, un être ne peut reconnaître cette image uniquement comme la construction qu’il a étayée, de son propre chef, de droits et de devoirs, parce que nul autre n’aurait vraiment pu les charger sur son dos. Mais cet exercice, s’il est accompagné d’une saine réflexion, pourrait amener à reconnaître les traits de sa personnalité qui sont vrais par rapport à ceux qui sont faux. Car c’est la personnalité de chacun qui, ajoutée à celle des autres, forme la mentalité d’une communauté, d’un pays, d’une nation, d’un continent, de la planète. Les individus vivant dans une société doivent permettre qu’un certain degré de synchronisation se produise entre eux, s’ils comptent vivre en paix et en harmonie. De là, ils doivent accepter les responsabilités qui leur incombent. Mais ils ne doivent jamais se laisser déformer au point de devenir la caricature de leurs voisins ou l’automate de leurs gouvernements. Chacun devrait retenir qu’il a élaboré des propriétés, des affinités et des caractéristiques différentes au sein de la Nature ou du monde formel et que s’il ne les respecte pas, il ne peut que s’engager dans une impasse de vie, en tant qu’individu. Il doit découvrir en quoi il est distinctement lui-même et exprimer avec fierté et dignité cette différence.
Pour les amateurs de citations, pourquoi ne pas conclure avec celle de Daniel Herrero, un ancien joueur de rugby français, devenu entraîneur, qui a dit ou écrit : «Reste toi-même, car c’est dans l’authenticité que l’on puise ses forces.» Qui pourrait dire mieux ou plus vrai?
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