par Bertrand Duhaime
L’absence de désirs, telle qu’elle est préconisée par le Bouddhisme et d’autres spiritualités, parce que, apparemment, le désir lie à la Roue des réincarnations, pourrait, à l’extrême amener à développer une conception un peu fumiste ou illuminée du sens de l’existence. La Hiérarchie spirituelle opine que nombre d’Orientaux devront se réincarner parce que, dans leur rejet des désirs légitimes de l’existence concrète, ils ne parviennent qu’à fuir dans l’Esprit au lieu de réussir la Fusion du Ciel et de la Terre, ce qui est le destin de l’être humain. En outre, dans leur mode de vie ascétique ou frugale, ils portent inconsciemment un verdict de désaveu de la Création divine telle qu’elle est. Dans la nécessité de vouer toute leur vie au recueillement et à la méditation, inconsciemment, devant vivre au crochet de la société qui l’entoure, ils en viennent à développer une impression de supériorité spirituelle qui confine à l’orgueil spirituel, ce qui représente une inflation de l’ego qu’ils prétendent vouloir dissoudre.
À proprement parler, si le principe de l’absence de désirs tient, on devrait probablement le définir comme l’état d’être ou de conscience de celui qui se centre entièrement sur l’Être suprême, détaché de toute attente de récompense et de résultat, dans le silence mental (ou l’immobilité psychique) et le vide des sens. Il amène à accomplir toute œuvre avec le sacrifice ou le renoncement pour objet dans une intention purificatrice pour l’amour de Dieu.
En fait, dans l’ordre évolutif, la hiérarchie des désirs, source de plaisir, lorsqu’ils sont assouvis, comporte cinq degrés : la première est celles des désirs élémentaires: les désirs corporels d’air, de nourriture, de santé, d’un toit, de sexe et de famille (les désirs nécessaires à la survie); la seconde étape est celle des désirs de richesse (à cette étape l’homme pense que l’argent lui assure une existence heureuse); la troisième est la course aux honneurs et la puissance (le désir de contrôler les autres, ainsi que soi-même, devient la première source de satisfaction de l’individu); à la quatrième étape apparaît le désir de la connaissance (alors que savoir et comprendre deviennent le sommet du plaisir de l’être incarné). Ce n’est qu’à la cinquième étape, après bien des désillusions, qu’apparait la dernière forme de désir, le désir de l’accomplissement spirituel : l’être humain est alors attiré par quelque chose d’inconnu, qui reste vague, mais qui se situe au-dessus de lui. Dès lors, il ressent que le fait de parvenir à se lier à cette «chose» inconnue peu lui apporter de plus grandes joies, des joies plus durables, d’où il recherche les moyens de parvenir à ce lien. Dans cette perspective, la spiritualité elle-même peut se définir comme le désir de connaître Ce qui est par la connaissance de soi.
La justification de l’absence de désirs découle du fait que, lorsque la raison erre comme un chien de rues ou l’imagination comme la folle du logis, l’intuition ne peut être captée. De même, lorsque le sentiment s’exprime, il stimule le désir et la curiosité qui deviennent rapidement insatiables. Alors, ensemble, ils entraînent dans un cercle vicieux d’élucubrations psychiques qui engendrent les voiles de l’illusion et retiennent dans les sphères de la densité. Toutefois, nous ne pouvons admettre que cette qualité fournisse, à elle seule, le moyen de se libérer des contingences du monde.
De toute évidence, celui qui veut explorer ses dimensions intérieures ne peut que gagner à écarter ses désirs afin d’éviter de devenir le jouet de ses propres illusions. En revanche, dans le cours de la vie quotidienne, le rôle de l’être humain ne consiste pas à se perdre dans un néant hypothétique, mais à entrer dans la plénitude créatrice, en expérimentant à tous les niveaux du corps et de l’âme pour renseigner l’Esprit sur sa propre Réalité divine. Nul ne peut rester sans désirer, puisque le désir est la bougie d’allumage de la motivation, fût-ce celle de fusionner en Dieu. Sauf que, tant que le désir n’a pas atteint son véritable bien, qui n’est autre que l’absolu, il est tenaillé par l’inquiétude, déséquilibré, sans repos, et donc relancé dans sa quête.
De ce fait, l’invitation à dissoudre ses désirs doit éviter de confiner à l’ascétisme, bien qu’elle implique naturellement la maîtrise des pensées et des émotions et la formation du discernement. Tant qu’un être humain vit sur Terre, il ne peut complètement renoncer à tous ses désirs sous prétexte que ce feu, qui stimule l’ardeur, peut consumer sa plus belle construction, sa réalisation spirituelle, qui doit être interne et intime.
Du reste, c’est le désir qui meut et renforce la volonté qui ne détient aucun pouvoir en elle-même. Agir par coup de tête, sans motivation, ne conduit nulle part. Plutôt, il convient de discerner entre les désirs évolutifs, licites et légitimes, et les désirs involutifs, purement fantaisistes, passionnels et futiles. Le problème de tels désirs, c’est qu’ils peuvent facilement entraîner dans une ronde infernale de satisfaction arbitraire.
N’empêche que nul ne peut remplir une urne pleine, il doit commencer par la vider. Nul ne peut se remplir de l’Absolu s’il est plein de lui-même, à savoir plein de sa personnalité avec ses désirs et ses planifications. C’est cet état de vacuité intérieure qu’implique l’absence de désirs. Il permet de se vider des illusions pour se remplir de la Réalité unique.
L’«absence de désirs» est une expression très prisée de la spiritualité orientale. Dans ces pays du monde, où on prône constamment le détachement ou le renoncement comme moyen de s’extraire de la Roue des réincarnations, l’idéal suprême du chercheur spirituel, on sait mener, sans questionnement, une vie de simplicité et de modestie. On comprend la différence entre le mode de vie des Occidentaux et des Orientaux notamment dans le fait que, là où un Occidental possède dix vêtements qu’il peut porter dans la semaine, un Oriental peut n’avoir qu’une tenue à porter pendant dix ans. Il faut dire que, en Occident, après une longue hégémonie religieuse, c’est jusqu’à la pensée du sacrifice, fût-il supposément rédempteur, qui pue au nez des gens. Alors, habitués à une vie d’abondance, où le plus pauvre des Occidentaux apparaît comme un riche pour certains citoyens des autres pays du monde, et vivant dans un contexte de grande consommation, les appeler à faire en eux le vide de désirs leur apparaît d’emblée comme une aberration.
N’empêche que, autant pour les Orientaux que pour les Occidentaux, les désirs représentent la force d’évolution qui pousse l’être incarné à devenir un peu plus épanoui, jour après jour, d’où leu répression de démontrerait contre nature. Le désir permet de passer toujours à plus et à conquérir plus d’être. Il faut donc comprendre qu’il faut éviter de devenir l’esclave de ses désirs au point de les multiplier, sans but autre que de jouir et de combler son vide intérieur pour oublier les difficultés de la vie. Il faut encore s’assurer que les désirs n’occupent pas la place que l’Absolu doit occuper dans son quotidien.
On devrait probablement définir l’absence de désirs comme l’état d’être ou de conscience de celui qui se centre entièrement sur l’Être suprême, détaché de toute attente de récompense et de résultat, dans le silence mental (ou l’immobilité psychique) et le vide sensible. Il amène à accomplir toute œuvre avec le sacrifice ou le renoncement pour objet dans une intention purificatrice pour l’amour de Dieu. Cette notion chère aux Asiatiques découle du fait que, lorsque la raison erre comme un chien de rues ou l’imagination comme la folle du logis, la conscience ne peut s’élever, comme l’intuition ne peut être captée. Maharishi Mahesh Yogi a dit : «Le désir n’est pas l’esclavage, c’est l’incapacité à maintenir la conscience du Soi au milieu de tous les désirs qui nous réduit en esclavage.»
Lorsque l’appétence s’exprime, elle devient facilement un sentiment qui stimule le désir et la curiosité, des aspects de l’être qui deviennent rapidement insatiables. Alors, ensemble, ils entraînent dans un cercle vicieux d’élucubrations psychiques qui engendrent les voiles de l’illusion et retiennent dans les sphères de la densité. Nul ne gagne à trop réprimer ses désirs qui pourraient agir comme le feu chauffant une bouilloire remplie d’eau, amenant un être à imploser ou à exploser.
C’est la raison pour laquelle, pour notre part, nous ne pouvons admettre que cette qualité, soit l’absence de désirs, fournisse à un être, à elle seule, le moyen de se libérer des contingences du monde. De toute évidence, celui qui veut explorer ses dimensions intérieures ne peut que gagner à écarter ses désirs afin d’éviter de devenir le jouet de ses propres illusions. En revanche, dans le cours de la vie quotidienne, le rôle de l’être humain ne consiste pas à se perdre dans un néant hypothétique, mais à entrer dans la plénitude créatrice, en expérimentant à tous les niveaux du corps et de l’âme pour renseigner l’Esprit sur sa propre Réalité divine. Pour cette raison, l’invitation à dissoudre ses désirs doit éviter de confiner à l’ascétisme, bien qu’elle implique naturellement la maîtrise des pensées et des émotions et la formation du discernement.
Tant qu’un être humain vit sur Terre, il ne peut complètement renoncer à tous ses désirs sous prétexte que ce feu, qui stimule l’ardeur, peut consumer sa plus belle construction, sa réalisation spirituelle, qui doit être interne et intime. Du reste, c’est le désir qui meut et renforce la volonté qui ne détient aucun pouvoir en elle-même. Agir par coup de tête, sans motivation, ne conduit nulle part. Plutôt, il convient de discerner entre les désirs évolutifs, licites et légitimes, et les désirs involutifs, purement fantaisistes, passionnels et futiles. Le problème de tels désirs, c’est qu’ils peuvent facilement entraîner dans une ronde infernale de satisfaction arbitraire qui fait privilégier les moyens au détriment de la fin.
Comme il a été dit plus haut, beaucoup de mystiques orientaux enseignent qu’il faut se libérer de tout désir pour conquérir le Royaume spirituel, en se fondant dans l’Impersonnalité, ce qui fait le désespoir des chercheurs spirituels occidentaux, de plus en plus entichés de la spiritualité orientale. Le principe de l’absence de désirs se fonde sur une vérité, mais il faut savoir l’appliquer à son heure, après l’avoir bien compris. Ce qu’il faut d’abord entendre, c’est que l’absence de désirs doit coïncider avec la maîtrise du désir. Car il n’y a qu’un être qui s’est élevé dans l’état de Plénitude, un palier où il ne connaît plus le besoin, pour vivre sans le moindre désir. Or c’est un état que nul n’a à rechercher, puisqu’il se produit de lui-même comme une grâce, quand un être a maîtrisé la dynamique des Désirs.
En d’autres termes, on peut dire que l’aptitude à vivre sans désir représente une promotion spirituelle qui suit le fait d’avoir gravi les divers degrés de réalisation des désirs et d’avoir appris à les remplir par le biais d’une pensée et d’une conduite justes dans la conquête de tous les succès en recourant aux moyens appropriés. Tant qu’un être n’a pas été promu à ce niveau de conscience, le plus qu’il puisse faire, c’est de reconnaître que, par sa nature innée, l’Esprit de Vie œuvre à l’expansion de sa conscience individuelle autant qu’à celle de la Conscience cosmique. Alors, il peut se reposer en lui dans une confiance absolue, pour assurer son abondance et sa sécurité, assuré que celui-ci prendra les initiatives intelligentes, adaptées à sa personnalité, pour produire des résultats beaucoup plus merveilleux que ceux qu’il pourrait prévoir du point de vue de sa connaissance limitée.
Il faut savoir que, tant qu’un être tient à dicter la forme particulière d’action que le Pouvoir divin devrait prendre en lui, il le limite et l’entrave, lui fermant des voies d’expression que, en temps normal, celui-ci pourrait facilement ouvrir. Du reste, dans cette attitude, il se met au service de son ego plus que de son Individualité spirituelle. Pour échapper à ce piège, le chercheur spirituel doit concevoir l’Esprit divin comme une force d’exécution apte à suivre un plan préétabli, mais aussi apte à esquisser et à élaborer des plans complets et parfaits pour son évolution, judicieusement harmonisés entre eux.
En vérité, l’Esprit de Vie contient l’Idéal de la forme et il détient un Pouvoir infaillible. Cela permet de dire que, loin de se réfugier dans l’apathie, pour s’écarter des désirs, ce qui éteindrait son enthousiasme, l’être particulier doit identifier son besoin et formuler son désir sans choisir le moyen de l’obtenir, sachant que, s’il vit en harmonie avec la Source divine, son projet sera accéléré et parfaitement manifesté, ce qui le comblera de bonheur. Comme on l’a déjà dit ailleurs, dans une étude du principe de l’Abondance, c’est la seule manière qu’un être évoluant peut se reconnaître comme un canal, un dispensateur et un ouvrier associé au Pouvoir divin, plutôt que comme ce Pouvoir lui-même.
Mais, pour bien comprendre ce qui précède, peut-être conviendrait-il préciser la notion de désir avec ses implications courantes. On peut définir le désir comme un mouvement de la sensibilité qui aspire à sa satisfaction pleine et entière. Il traduit une hâte des sens à saisir leurs objets et à en jouir. Il résulte de l’affect qui naît du jeu des aspects compatibles et complémentaires de la polarité (électromagnétisme), qui engendre l’appétit ou la pulsion. Il est régi par la constellation du Taureau, la source du mouvement de l’activité de la Substance vive.
Quelqu’un a osé dire : «La lumière est désir. Mais le désir élève le sage, brise le faible et tue le fou.» C’est certain, le désir renvoie au commun principe de l’action. De ce fait, aucune action n’est complètement désintéressée. Alors, il importe moins d’éliminer les désirs que d’en élargir la portée dans une perspective plus impersonnelle. Mais, le désir essentiel, reste l’élan évolutif. Tout désir ne représente qu’une aspiration vers une plus grande lumière, bien que, au niveau du psychisme, il puisse être détourné par l’ego pour lancer dans la fantaisie, le caprice et la passion. Voilà pourquoi certains le définissent, à son état pur, comme la volonté de Dieu qui pousse à explorer un aspect de la vie et à mieux s’accomplir, si étrange qu’il puisse paraître. Car le mal ne réside jamais dans la chose, mais dans la façon abusive ou extrémiste de s’en servir, soit dans le choix conscient ou inconscient d’y recourir hors des normes du juste milieu. En ce sens, le désir représente le fondement de la créativité et le support de l’expérience. Qu’on se le dise, tôt ou tard, tout désir sera comblé ou réalisé.
Si on ne cherche pas à se leurrer, on devra admettre que le désir, qui s’exprime par le besoin, représente un mouvement de la sensibilité parfaitement naturel. La conscience ne peut grandir que par la force de l’affect qui devient appétence, sensibilité et désir. Mais, comme le disait Sri Aurobindo Ghose: «Le désir est tout à la fois le mobile de nos actes, le levier de notre accomplissement et le fléau de notre existence.» Et il ajoutait: «C’est seulement en renonçant parfaitement au désir ou en le satisfaisant parfaitement que Dieu peut venir nous embrasser absolument, car, dans les deux cas, la condition première est remplie: le désir meurt.»
En vérité, ce ne sont pas les désirs eux-mêmes, mais leur nature, qui entravent l’homme. Ce sont ses désirs faux, qui renforcent la densification et qui le ralentissent sur le Sentier évolutif. Rien ne peut s’opposer à la manifestation d’un désir né d’un besoin naturel. La Vie n’est-elle pas une suite de désirs assouvis ou frustrés? C’est l’Esprit de Vie lui-même qui suscite les désirs à travers chacun pour le mettre à l’œuvre, l’amener à accéder à de plus hauts degrés de réalisation par la conscience qu’il y forme.
On a souvent entendu dire qu’il n’était pas bien de se livrer au désir, surtout de désirer des réalités sensuelles ou des biens matériels. À d’autres époques, ces conseils pouvaient rendre service à celui qui désirait évoluer sereinement, à cause de la densité du plan terrestre et du niveau inférieur de la conscience collective. Aujourd’hui, il faut faire comprendre que les désirs d’un être lui enseignent beaucoup de choses sur lui-même et sur la nature de la réalité. Si ses désirs engendrent en lui de la souffrance, il apprend au moins à ne désirer que les réalités qui lui procurent de la joie.
Même la réalisation des désirs sensuels et matériels aident à évoluer du fait qu’ils aident à affirmer sa maîtrise au niveau de la créativité. En augmentant sa maîtrise sur ces réalités concrètes, il parvient à comprendre que la possession des objets, les jeux de pouvoir, l’attachement, le prestige ont bien peu de valeur s’ils ne servent pas ses objectifs les plus élevés, car, alors, ils ne rendent jamais pleinement heureux. Mais comment un sujet peut-il le découvrir sans l’expérimenter à travers lui-même?
En fait, plus un être est frustré dans ses attentes, plus il stimule son aspiration à fusionner avec son Grand Soi pour atteindre un bonheur permanent plutôt que des petits bonheurs partiels et contingents. Pour certains, cette fusion se produit en réalisant tous leurs désirs, ce qui leur permet de déterminer lesquels sont vraiment utiles et évolutifs de ceux qui ne le sont pas. Certaines personnes pensent que pour évoluer spirituellement, il faut abandonner tous les désirs et renoncer à ce qu’elles aiment faire. Au contraire, plus on s’aime, plus on est réconcilié avec ses désirs, plus on devient paisible et joyeux.
Cet état d’être stable et sécurisant permet de mieux entrer en contact avec cette partie de son être parfaitement sereine, stable et équilibrée. Ainsi, en faisant ce qu’on aime, en réalisant ses désirs, on accomplit ses objectifs les plus essentiels avec un sentiment de profonde satisfaction intérieure. Qu’on comprenne que, parvenu à un haut niveau d’évolution, les désirs disparaissent d’eux-mêmes pour permettre d’être tout simplement. À ce niveau, il est naturel de ne pas désirer, de ne plus vouloir rien, de ne plus se demander ce qu’on veut avoir ou ne pas avoir. Mais, tant qu’on n’a pas atteint ce niveau, il faut prendre les désirs pour les outils qu’ils sont. Derrière tout désir, on cherche, par l’expérience, à désirer d’abord et avant tout d’évoluer spirituellement pour mieux fusionner avec son Grand Soi.
Le problème de l’être humain, c’est qu’il ne tarde pas à confondre la nature de ses désirs, en venant à les croire tous du même ordre évolutif, et qu’il s’enlise avec eux entrant dans des habitudes et des routines délétères. Pour un désir né d’un besoin naturel, il en naît mille, en lui, par contagion, et il les entretient dans la seule intention d’assouvir sa sensualité. Chacun peut appeler la réalisation d’un désir, s’il le juge licite et digne de soi, même s’il échappe à la norme générale et à la commune mesure: ce que l’un peut se permettre, l’autre doit farouchement l’éviter; ce qui est bon pour l’un peut être fort préjudiciable à l’autre. Tout être peut satisfaire les désirs qui ne l’écartent pas de son but et respectent la Loi du Juste milieu. Mais un désir refoulé, même mauvais, devient souvent une cause de conflit, conséquemment un germe de putréfaction intérieure. Aussi, ne faut-il renoncer à un désir que si on est certain de garder l’équilibre. Autrement, il vaut mieux l’épuiser.
Le problème du désir, c’est qu’à force d’en susciter d’autres, il entraîne dans la multiplicité, disperse et épuise les meilleures énergies de l’être. Il fait naître la suprématie de l’exigence des sens, de la convoitise, et rattache à l’existence, à la matérialité. En soi, le désir n’en reste pas moins une force évolutive, émanant de la nature de la Forme. Il exprime le souhait de posséder un bien ou de combler un besoin. C’est un état sensible, affectif, provoqué par l’actualisation d’une tendance sous l’action du besoin ou d’une représentation mentale. Toutefois, lorsque le mental s’attarde sur les objets des sens, mû par un intérêt croissant, il forme un attachement à ces objets qu’il veut conserver, défendre et protéger, entraînant dans la peur de le perdre et le souhait, parfois violent, de les garder. De l’attachement naît le désir, et, du désir, la frustration. L’être conçoit alors la vanité des choses ou commence à désirer une plus grande possession. L’être entre bientôt dans un état d’agressivité, qui dégénère en colère, menant à l’égarement. Pour sa part, l’égarement conduit à la dispersion et à l’affaiblissement de la vision claire, d’où l’intelligence est détruite. Et, en détruisant son intelligence, l’être se détruit lui-même progressivement.
Le désir détruit parce qu’il amène, de façon contraignante, à prendre sans rien donner. Il accroît la densité des enveloppes inférieures et il lie l’âme à la suite générative, l’empêchant de s’élever, de s’accomplir. Ainsi: «La quête de la divinité passe nécessairement par l’épuisement et la domination des forces basses.» À ce propos, Sakyamuni a dit : «Du désir naît le chagrin, du désir naît aussi la crainte. Pour celui qui est délivré du désir, il n’est plus de chagrin ni de crainte.»
Il apert qu’on ne peut désirer ce qu’on détient déjà dans l’invisible, c’est une partie de soi. Ce sont les choses sensibles et matérielles que l’on convoite. Il faut rappeler que, en soi, le désir est un appel de l’être vers une réalisation évolutive. Mais les désirs assouvis trop aisément ne peuvent être d’aucune aide durable. Comment se ferait-il alors que l’homme sombre dans l’angoisse et la dépression dans la même mesure qu’il accroît son confort et que sa science augmente? Parce qu’il cherche davantage à assouvir ses sens extérieurs qu’à connaître la satisfaction intérieure.
L’être humain est toujours avide de posséder et de connaître davantage au lieu d’apprendre à être. Il ne fait plus la distinction entre ce qui est utile et inutile, entre ce qui est essentiel et accessoire, entre ce qui est légitime et fantaisiste. Les désirs légitimes ne sont pas ceux qui flattent la vanité ou comblent les caprices. Ce sont ceux qui aident à s’accomplir, à prendre sans cesse de l’expansion, comme la volonté de progresser, de venir en aide au prochain, de sortir de l’égoïsme, de fusionner avec la Totalité, dans le service amoureux.
Quelqu’un a dit: «Le désir moule dans l’argile ce que la vie sculpte dans le marbre.» En effet, le désir n’est qu’une modalité, non l’essence, du mental sensible. C’est le combustible qui doit alimenter le feu, soit la pensée évolutive. En supprimant le combustible, on éteint le feu. En soi, l’Esprit divin peut alors prendre son envol vers le Royaume du Créateur. Le désir commence avec la curiosité. Et Dieu sait combien l’homme cultive de curiosités vaines! La curiosité devient désir dans le mental. Donc, l’intérêt et le sentiment, soit l’affect ou l’appétence, précèdent le désir. L’espoir et l’attente le nourrissent et l’engraissent. Le désir excite le mental et exacerbe les sens. Lorsqu’il s’accomplit, dans la jouissance de l’objet qu’il a appelé, il éprouve un contentement temporaire.
Où il y a désir, il y a plaisir ou frustration. Seul le désir de retourner au Royaume peut apporter la satisfaction permanente entendue dans le mot «félicité», avec la sérénité ou paix d’esprit. En passant, on peut dissoudre les désirs inutiles ou stériles en répétant régulièrement la syllabe mystique OM (AUM). Ce son dissout les passions, les désirs violents, ennemis de la paix et de la connaissance vraie.
Comme il a déjà été dit, le désir, que l’on peut encore appeler appétit, engendre l’état dynamique, la mise en mouvement de la volonté. Il cherche à se manifester et à se satisfaire, éveillant le pouvoir moteur d’action de la volonté, qui peut cependant accepter de le satisfaire ou de l’inhiber. Mais le désir force souvent le mouvement de la volonté. Croissant en intensité, il déclenche la détermination, stimulant la volonté, à raison ou à tort, la faisant entrer en action, capable de l’entraîner dans la revendication et la violence.
Le désir force à suivre le mouvement ou à entreprendre l’action qui produira le plaisir et l’intégration, supprimant la souffrance et la désintégration. Ainsi, il arrive très souvent que le désir, le choix de ce que l’on veut faire, entre en conflit avec la détermination personnelle. C’est alors que peut agir le pouvoir de volonté, pour l’inhiber, pour autant on l’a développé. Ce n’est pas le désir qui doit devenir le maître du mental, mais la volonté, qui, elle, peut s’appuyer sur le plus grand bien de l’être, en cas de conflit. La volonté a pour fonction d’empêcher, de réprimer ou de supprimer ce qui peut entraver l’évolution de l’être, est dangereux pour la personnalité ou n’a que bien peu d’utilité.
Quelqu’un a dit que le désir est né de la Pauvreté et de l’Expédient. Il est toujours insatisfait, restant en quête de son objet, plein de ruses pour parvenir à ses fins. La possibilité éveille de désir qui mène au devenir. Par son intensité, il amène au dépassement de soi. Il se passe d’intermédiaire et il ne peut se cacher, souvent irrépressible et irresponsable. Il est probable que ce qu’il amène à convoiter, si cela ne se manifeste pas, on n’en a pas besoin.
Le désir démesuré pour un objet considéré comme merveilleux, faute d’être capable de surmonter les épreuves nécessaires à son acquisition, amène à mourir par dépit de ne pouvoir le satisfaire. Car on ne peut atteindre l’objet d’un grand désir par le subterfuge dispensant des efforts réels. On ne peut aboutir qu’à réduire son idéal, à le dégrader, ne visant plus l’objet premier, ce qui ne répond pas à son attente première. À trop désirer ou à désirer trop de choses, de frustration en frustration, on s’épuise, on se déprécie, on se décourage, on perd l’espoir.
Pour dissoudre les préoccupations terre-à-terre du désir, il faut se former une image concrète toujours tournée vers la notion d’Infini. Pour sortir de l’illusion, dans laquelle le désir entraîne, il faut appeler puissamment la Réalité à se révéler en soi. La Loi du Désir veut que, dès que Dieu est devenu une réalité objective dans sa pensée, l’être peut lui présenter le moule de son désir, assuré qu’il sera immédiatement rempli. Chacun détient même le pouvoir de fixer la date d’exécution de son désir et de prononcer la parole d’autorité.
Toutefois, pour que Dieu collabore, de sorte que le désir ne se retourne pas contre le sujet qui l’a exprimé, il faut d’abord exprimer le désir des désirs qui consiste à faire premièrement la Volonté du Père et à chercher d’abord le Royaume des Cieux avant le surcroît. Chaque être doit sublimer ses désirs. Les Hermétistes appellent cette alchimie spirituelle les Noces de sang. Il s’agit, dans leur imagerie symbolique, de l’immolation du Taureau de Mithra. Le héros (ou l’aspirant) se laisse emporter par la bête furieuse, la laisse s’épuiser, puis la terrasse.
En d’autres termes, le sujet laisse agir l’énergie inférieure, dans l’indifférence, sans s’opposer à elle (car il ne faut pas résister au mal), pour qu’elle se stabilise d’elle-même, puis se fixe. C’est alors que le Lion, la Force solaire, s’attaque aux enveloppes grossières du sujet, avec la force astringente de la rouille, pour provoquer l’oxydation progressive de l’être (phases du Lion vert et du Lion rouge) et éveiller l’aspiration vers le Vrai Royaume éternel. Ces derniers mots révèlent la clef de la transmutation qui précède la transfiguration et l’Illumination suprême.
Sous un autre rapport, il faut faire la différence entre ses désirs et ceux des autres. Un être ne suit pas la voie de ses désirs lorsqu’il sent en lui de la lourdeur ou de la résistance. En pareil cas, il est probable que les autres attendent quelque chose de lui, se disent déçus de ce qu’il fait, l’accusent de ne pas répondre à leur attente. La sagesse consiste notamment à discerner entre ce qui vient de soi et ce qui vient d’autrui.
Chacun gagne à vivre selon les principes et les valeurs qui sont siens, à retenir ce qui lui convient et à abandonner le reste. Seul l’être particulier peut savoir ce qui lui convient vraiment. Chacun possède tout ce qu’il faut pour manifester ce qu’il désire et est capable de désirer. Quand et comment il parviendra à le réaliser dépend du degré de son désir, de sa volonté et des actions qu’il posera. Mais, à trop désirer, il peut se lasser de désirer, surtout s’il n’affirme pas ses désirs et s’il on ne choisit pas de les manifester. C’est précisément à ce moment que l’application du principe de l’«absence de désir» peut se faire secourable.
S’il est rempli de son ego, avec ses illusions et ses faux besoins, un être incarné ne peut s’attendre à être saisi par l’Esprit de Vie pour fusionner dans l’Absolu. Il doit devenir rien pour pouvoir devenir le Tout.
© 1986-2016, Bertrand Duhaime (Dourganandâ). Tous droits réservés. Toute reproduction strictement interdite pour tous les pays du monde. Publié sur : www.larchedegloire.com. Merci de nous visiter sur : https://www.facebook.com/bertrand.duhaime.
Retrouvez les Chroniques de Bertrand Duhaime sur la Presse Galactique
[widgets_on_pages id= »COPYRIGHT »]