Dans une société qui véhicule des valeurs principalement individualistes et qui prône encore souvent une séparation physique précoce des bébés et de leurs parents, qui enjoint ces derniers à les laisser pleurer à distance et à ne pas « trop » les prendre dans les bras, l’idée de porter son bébé contre soi au quotidien paraît incongrue à certains.
Pourtant, le besoin de contact physique du bébé est primordial, particulièrement dans les premiers mois : son sentiment d’exister passe d’abord par son corps, par le toucher et les soins qu’on lui prodigue. Il n’a pas encore conscience de lui en tant qu’individu et cette naissance psychique n’aura lieu qu’aux alentours de ses 9 mois. Le bébé a besoin de se sentir en sécurité, un besoin dicté par son instinct animal pour assurer sa survie ; cela passe principalement par une proximité corporelle avec l’adulte qu’il va rechercher fréquemment. « Le portage peut être conçu comme un formidable média qui favorise le passage du Moi corporel au Moi psychique, avènement de la construction de la personnalité de l’enfant » comme l’écrit Agnès Vigouroux, psychologue.
Le portage contribue également à créer et renforcer le lien d’attachement, ce qui permettra à l’enfant de mieux se séparer plus tard et de prendre son autonomie. En attendant, il a besoin que nous lui « prêtions » notre corps pour répondre à ses besoins de base, pour prendre confiance en lui et en les autres, pour commencer à découvrir le monde. Le portage apparaît ainsi comme une solution qui apporte des bénéfices mutuels, puisqu’il permet de répondre aussi aux besoins de l’adulte. Il libère l’attention et les mains du porteur et l’enfant, sécurisé et en mouvement, peut « faire sa vie » sans excès de stimulation ; paradoxalement, à travers ce rapprochement physique, on induit déjà une forme de séparation douce à travers l’autonomie de chacun. C’est une solution finalement simple et solidaire pour mieux vivre le quotidien ensemble et c’est probablement la raison pour laquelle cette pratique de maternage est utilisée depuis toujours par tous les peuples de la Terre.
Partager, apprendre et transmettre L’enfant porté est au cœur de l’activité de l’adulte et de son entourage ; il participe aux relations et observe ce qui se passe autour de lui. Il apprend à son rythme, dans une forme d’éveil doux et qui semble passif. Il peut choisir de regarder autour de lui, de satisfaire sa curiosité, ou, au contraire, de se blottir et s’endormir, notamment si les stimulations sont trop importantes pour lui.
Nous pouvons évoquer ce que Maria Montessori nomme « l’esprit absorbant de l’enfant » : de manière inconsciente et sans effort, durant les trois premières années de sa vie (puis de manière plus consciente jusque vers 6 ans), l’enfant va absorber ce qu’il voit et ce qui se passe alentour (les gestes, les attitudes, les paroles, les objets, les émotions, les ressentis, les sensations). Tout ce qu’il absorbera restera imprimé quelque part en lui et l’aidera à se construire. Ce processus passe principalement par ses cinq sens ; le portage permet justement une stimulation sensorielle globale et douce. Il aide également l’enfant à prendre conscience de son corps, à travers le toucher et le mouvement qu’il procure.
Un bébé perché sur le dos de sa mère ou de son père en train de cuisiner, de dessiner, de jardiner ou de taper sur son clavier d’ordinateur, de discuter avec quelqu’un ou de jouer avec des enfants, va observer et absorber la scène de manière globale, avec tout son corps et ses sens ; il pourra alors plus tard imiter et reproduire ce qu’il a vu. Cela nous semble alors positif et intéressant pour l’enfant, de même quand il observe ses parents dans leurs relations et que tout va bien.
Mais que se passe-t-il pour lui quand, par exemple, il observe sa maman se fâcher et avoir peut-être un geste brusque, voire violent envers sa grande sœur ?
Quand son papa, fatigué et énervé par une journée de travail éprouvante, le porte contre lui au risque de lui communiquer son stress ? Il est bien difficile d’éviter de transmettre nos propres tensions à notre enfant, mais si nous essayons de prendre conscience de notre état émotionnel et que nous le verbalisons, le bébé, même s’il ne comprend pas encore les mots, pourra capter l’intention et l’énergie que nous mettons dans nos paroles. Il est bénéfique pour lui d’apprendre à verbaliser ses émotions et, si nous le faisons nous-mêmes, il le fera plus naturellement par la suite quand il sera en âge de parler.
Nous pouvons garder en tête que nous servons d’exemple à notre enfant. Quand nous prenons conscience de cela, nous pouvons alors être plus attentifs à nos comportements réactifs, à notre façon d’être en relation aux autres et à nous-mêmes, à notre manière d’être, d’écouter et de communiquer. Cela demande souvent un travail sur soi, surtout si notre propre éducation est éloignée de ce que nous souhaitons mettre en place, et ce n’est pas toujours facile. Nous pouvons alors aussi nous excuser auprès de notre enfant et lui expliquer que nous faisons de notre mieux, le plus important étant de mettre des mots sur nos humeurs, d’expliquer la situation simplement et de dégager l’enfant de ce qui ne lui appartient pas.
Extrait du magazine Grandir Autrement n° 48 ◆ Septembre – Octobre 2014
Trouvé sur : http://channelconscience.unblog.fr/
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