Dans son cabinet de Gros-Réderching, en Lorraine, le docteur Albert Becker soigne les plaies de ses patients à l’aide d’un cicatrisant inhabituel : le miel. L’idée n’a rien d’excentrique. Le généraliste, président de l’Association francophone d’apithérapie(AFA), n’est pas le seul médecin à miser sur cette substance naturelle.

Dès 1984, un chirurgien digestif du CHU de Limoges, le Pr Bernard Descottes, utilise des miels de thym ou de lavande dans son service, contre les infections. Et ça fonctionne. En vingt-cinq ans, il traitera ainsi près de 3000 patients. D’autres hôpitaux ont suivi cet exemple. « À l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, des médecins en chirurgie ORL trempaient les canules de trachéotomie dans du miel pour éviter les infections chez les personnes cancéreuses immunodéprimées », explique le Dr Becker. Depuis, les pansements au miel ont été adoptés par de nombreux établissements français. Et l’engouement ne faiblit pas.

 

CICATRISANT ET ANTI-INFECTIEUX, LE MIEL EST MULTI-FONCTION

David Lechaux, spécialiste de la chirurgie digestive au centre hospitalier de Saint-Brieuc, en utilise depuis cinq ans pour traiter les plaies cavitaires très profondes, liées aux maladies digestives, ou pour apaiser les tissus lésés par une radiothérapie. Parmi les cas les plus impressionnants, celui d’un patient atteint d’une pancréatique aiguë nécrosante. Cette maladie provoque des plaies ouvertes, au niveau du ventre, du fait d’une suractivité des enzymes digestives qui attaquent les tissus alentour. « C’est un problème très complexe à traiter : les vaisseaux et les artères de ce patient étaient mis à nu. Nous avons utilisé des pansements au miel afin de reconstituer la paroi intestinale », précise-t-il.

Convaincu de l’intérêt médical du produit, le chirurgien a lancé une étude sur 60 patients. L’objectif est de comparer les effets du miel à ceux d’un cicatrisant habituel. Pour ce faire, il a pris des clichés des cicatrices de ces patients à un mois d’intervalle. Puis il a comparé les plaies traitées au miel à celles soignées à l’aide d’une pommade classique. « Les premiers résultats sont spectaculaires, tant sur la qualité de la cicatrice que sur sa taille et son aspect », s’enthousiasme le spécialiste.

David Lechaux a un projet : importer les pansements au miel dans des pays où l’accès au soin est limité, notamment en République démocratique du Congo, où il a monté une association de formation à la chirurgie. Car le miel a un atout de taille : il est environ 200 fois moins cher qu’un traitement conventionnel.

De son côté, l’infirmière Christelle Treboz a convaincu le chef du service de chirurgie gynécologique du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, où elle travaille, d’utiliser le miel en soins postopératoires. Après une mastectomie, qui consiste à retirer une partie ou l’intégralité d’un sein, elle l’applique directement sur la plaie : en baume, en tube ou en compresse. S’il s’agit d’une plaie cavitaire profonde, elle injecte le miel dans l’orifice. « Chez les patientes, la méthode suscite beaucoup d’interrogations, en général vite dissipées car elle leur rappelle leurs grands-parents ! », plaisante l’infirmière.

 

DES PRINCIPES ACTIFS, MIS AU JOUR PAR LA SCIENCE

Comment expliquer les incroyables pouvoirs du miel ? Le docteur Albert Becker a compilé toutes les études récentes sur la substance naturelle pour trouver la réponse. L’efficacité du miel est d’abord liée à ses propriétés physico-chimiques, qui constituent un environnement défavorable aux bactéries : sa viscosité crée un effet barrière sur la plaie ; sa richesse en sucres lui confère une grande capacité d’absorption de l’eau : à son contact, les bactéries se déshydratent ; le pH acide du miel, compris entre 3,2 et 4,5, limite leur développement. Mieux, le miel contient des antiseptiques naturels : la défensine-1, une protéine sécrétée par la jeune abeille ouvrière, des inhibines, des enzymes qui proviennent de ses sécrétions glandulaires et le méthylglyoxal (MGO).

Le pouvoir cicatrisant du miel varie en fonction du nectar butiné par les abeilles. Une étude menée par le Centre suisse de recherche apicole, en 2001, montre que le miel de colza est le meilleur cicatrisant. Lorsqu’il a été récolté il y a moins de six semaines, le miel frais contient, en plus, des bactéries lactiques non pathogènes qui créent un biofilm. Cette flore entre en concurrence avec d’autres bactéries susceptibles d’entraîner des infections.

 

À UTILISER AVEC PRÉCAUTION

Attention : tous les types de miel ne se valent pas. Même si d’autres miels sont parfois utilisés, c’est surtout celui d’Apis mellifera, l’abeille européenne, et celui de Apis mellifera sculleta (une sous-espèce de Tanzanie) qui sont connus pour être de bons cicatrisants. Certains sont trop liquides : au-delà de 18 % d’eau, le miel fermente et devient impropre à l’usage médical. Le miel néo-zélandais de manuka, par exemple, est un excellent antiseptique et cicatrisant car il contient une forte concentration de methylglyoxal, mais qui, absorbé en excès, pourrait devenir cancérigène.

L’utilisation du miel doit également respecter un protocole drastique. Comme le produit est acide, il faut l’appliquer en fine couche sans déborder de la plaie, pour ne pas déshydrater les tissus périphériques. On peut retrouver dans le miel frais, de manière très exceptionnelle, des spores tétaniques, des toxines botuliques et un champignon nommé l’ascosphérose.

Pour éviter tout risque de contamination humaine des plaies, les miels dits médicaux sont stérilisés aux rayons gamma avant d’être utilisés. Rien ne sert de sortir un miel trop vieux de son placard pour se soigner. Ses propriétés cicatrisantes s’altèrent avec le temps et la chaleur. Il se conserve un an maximum (entre 10 à 12 °C) et perd toutes ses propriétés quand il est chauffé au delà de 43 °C. Comme toute substance naturelle, les pouvoirs guérisseurs du miel restent donc fragiles.