par Bertrand Duhaime
L’attachement au passé est aussi stérile et sclérosant que la projection dans le futur, puisque ni l’un ni l’autre n’ont de réalité. Ils ont le défaut d’extraire du présent créateur. En effet, le passé n’est plus et n’appartient à personne, le futur n’est pas encore, alors, que reste-t-il pour vivre pleinement, si ce n’est le moment présent? Cette propension révèle qu’on ne sait pas s’actualiser dans l’immédiat et qu’on commence à vieillir. Il s’agit d’un genre astucieux de fuite dans l’irréel, hors du moment où on peut passer à l’action et tout changer. Il empêche de saisir vraiment ce qui est nouveau, avec ses avantages, et de le réaliser. Personne n’est irrévocablement lié à son passé, quand seuls le remords ou la déception peuvent y retenir. C’est un choix aussi vain qu’inutile parce qu’on ne peut rien en ressusciter. Il arrive qu’on se dise : «Si j’avais su», «Comme j’aimerais recommencer ma vie», «Avec tout ce que je sais maintenant, comme j’aimerais reprendre tel ou tel épisode».
Mais comme cela est faux! Dans la manière qu’on s’y est pris, on a répondu aux injonctions d’un moi inférieur inconséquent. On manquait de maturité, ce qui ne s’achète pas, mais se gagne par l’expérience, à travers les réussites et les échecs. Le passé est passé, on ne peut y revenir, alors il vaut mieux passer outre à ce qu’on y a fait ou négligé de faire. Si on s’y est mal servi des principes de la Loi divine, c’est dans le présent qu’on peut en annuler les effets, les conséquences fâcheuses, en s’engendrant promptement, et avec résolution, de nouvelles idées-semences de nature à se préparer un nouveau destin.
La Source divine ne tient pas compte du passé, un temps dépassé, concevant tout dans l’Instant éternel. Elle ne punit jamais parce qu’elle ne juge jamais. Elle laisse les principes qu’on a mis en mouvement agir. Mais chacun peut, à tout moment, rétablir le cours de sa vie. Dans ce contexte, la Création représente comme l’immense bobine d’un film infini que chaque entité incarnée aborde à sa manière, image par image, du point de vue de son parcours évolutif, selon ce sur quoi il centre sa conscience.
Ainsi, dans la Grande Vie, il n’y a jamais rien à regretter ni à refaire. Tout arrive pour une raison. Alors, tout était parfait, voire nécessaire, pour augmenter le savoir et le potentiel d’être. La preuve en est qu’on n’a pas agi autrement. Si on avait su mieux, c’est ce qu’on aurait fait sans se forcer. Alors, il faut croire qu’on n’était pas encore convaincu du savoir qu’on avait acquis par l’expérience. Il faut admettre qu’on ne savait pas vraiment. Il faut bien expérimenter quand, par l’oubli qui se produit au moment de l’incarnation, on est forcé d’avancer à tâtons pour rouvrir sa conscience.
C’est aujourd’hui, ici et maintenant, qu’il est temps d’agir ou de recommencer, avec ce que l’on sait. Tout de suite, au présent, dans l’immédiat. Jusque là, on n’a que consolidé ses fondations. C’est maintenant qu’elles sont plus solides qu’on peut pousser plus loin la construction de l’édifice de sa vie.
Jorge Luis Borges, un écrivain argentin du dernier siècle a dit avec pertinence : «Le présent est indéfini, le futur n’a de réalité qu’en tant qu’espoir présent, le passé n’a de réalité qu’en tant que souvenir présent.» Effectivement, le passé réfère au temps révolu, à ce qui est devenu stérile, désuet, anachronique. Ainsi, la connaissance du passé peut éclairer le présent et aider à orienter l’avenir, mais on ne peut le ressusciter. Même que ceux qui rejettent leur passé sont portés à répéter leurs erreurs. Mais, il est inutile de s’y projeter inutilement pour s’y complaire, ce qui dénote qu’on ne sait plus s’ajuster au temps présent et qu’on prend du recul au niveau de l’actualisation. Celui qui vit davantage dans son passé que dans son présent, s’y accroche, ne peut que s’étioler et mourir, à défaut de se situer dans l’élan spontané et créatif du moment présent.
La réalité ne réside pas dans son passé, mais dans l’expérience du moment présent. Personne n’est son passé, ce qu’il a fait, dit, pensé, ressenti hier ou plus avant. Celui qui s’identifie à son passé s’empêche de découvrir de nouveaux aspects de lui-même et d’offrir une nouvelle version ou un nouveau prototype de lui-même. Le passé s’enregistre dans l’esprit tandis que le corps vit le présent et que l’âme prévoit le futur. Mais c’est dans le présent qu’un être peut se renouveler en s’appuyant sur ses expériences passées et en s’ouvrant au futur. Nul n’est invité à oublier son passé, mais à changer son avenir. Le pire qui puisse arriver, c’est d’oublier les leçons des phases antérieures de sa vie et d’agir comme si elles n’avaient pas d’importance.
Chacun change en évitant de répéter certains comportements involutifs, éclairé par ses expériences antérieures. Mais lorsqu’il décide de ne plus répéter certains comportements du passé, il faut cultiver le lâcher prise. Laisser aller ne signifie pas oublier son passé, mais y renoncer, cesser de s’accrocher à lui, ce qui amène à la noyade. Chacun gagne à arrêter d’avoir recours à son passé pour rester à flot dans les idées qu’il se fait de qui il est. Rien n’arrête plus sûrement sa croissance spirituelle que de se désoler de son passé ou de se complaire en lui, de s’asseoir sur ses lauriers.
Un être est porté à se projeter dans son passé par manque de discipline émotionnelle, aimant repasser les événements heureux ou malheureux qu’il a vécus parce qu’il n’est pas pleinement satisfait dans le présent par manque de créativité. Mais c’est une perte de temps et un risque. C’est une perte de temps parce que le passé ne peut renaître et que le temps qu’on y pense, on perd l’essentiel de l’instant présent dans des circonstances dépassées qu’on retient de façon malencontreuse dans son psychisme. C’est ainsi qu’on développe une personnalité stagnante ou aigrie, devenant un désemparé émotionnel. À trop penser à son passé, on se crée des joies factices et désuètes, on se déphase et on se fait inutilement du mal à soi-même.
Certains développent même une paranoïa parce qu’ils en viennent à craindre que le passé ne se reproduise. Qui ne connaît pas de ces gens âgés qui, pour avoir vécu des faits troublants ou pour avoir trop écouté les nouvelles des médias, deviennent très suspicieux, ressassant des nouvelles de vol, de viol, d’escroquerie et de meurtre et se barricadent chez eux. Ils amènent leurs croyances à se renforcer que la plupart des gens ne sont pas dignes de confiance et viennent chez eux pour les espionner et prépare des plans menaçants. À trop creuser son passé, on en vient à se souvenir plus du mal que du bien et on perd son sens de l’invention.
Puisque la pensée créée, on doit choisir soigneusement les événements dont on veut se souvenir et ceux que l’on veut écarter. Repasser les erreurs du passé n’y changera rien. Et quand on parle du passé, on inclut le passé récent. Continuer à penser à son passé, même récent, peut interférer dans le présent. Et si on laisse le passé interférer dans le présent, il interférera dans le futur. Un bonjour, il faut décider de ce qu’on veut garder vivant dans sa mémoire. En oubliant les faits pénibles du passé. On se prépare à mieux affronter les autres épreuves qui peuvent toujours surgir si on manque de conscience. En les entretenant, on se forme une mentalité défaitiste, fataliste et on se désespère.
Il n’est pas facile de laisser aller le passé, surtout ses aspects sombres, mais, une fois qu’on a changé cette habitude délétère de trop regarder en arrière, on dirige mieux sa vie, on avance dans une plus grande sérénité, on se crée un meilleur avenir. De toute manière, il est vain et ridicule de se désoler de son passé, d’y penser comme si on pouvait le reprendre, de s’en plaindre en croyant qu’on aurait pu faire mieux. Ce qui est fait et fait et il faut vivre avec. Quoi qu’on eût tenté de faire, les choses n’auraient pas tourné mieux pour soi, car il y avait quelque chose à apprendre qu’on ne connaissait pas, qu’on a dû apprendre, qui a fait ce qu’on est devenu. On a exercé de nouveaux potentiels ou on a pu reconnaitre certaines de ses faiblesses.
Le passé ne peut aider que si on se rappelle ses moments de succès pour éveiller sa mémoire, sa faculté créative et évolutive. On doit bien se garder de se culpabiliser de ne pas être devenu autre chose que ce qu’on est, car c’est se déprécier et se ralentir dans l’étape suivante qu’il faudra franchir. Alors, on se désole de ce qu’on n’est pas encore devenu mais qu’on peut devenir. Le bagage des expériences qu’on a menées jusqu’à ce jour représente l’enseignement pour lequel on avait choisi de naître. Qu’on le qualifie de bon ou de mauvais, il compose son être et il a servi à dévoiler son but. Si on repense à son passé pour s’en rappeler les échecs, on projette ses limitations antérieures dans ses relations présentes. Alors, si on désire revenir sur son passé, que ce soit pour penser aux moments où on était heureux, créatif, plein d’amour, débordant de puissance, vibrant de force.
Une des raisons de l’échec personnel, c’est la propension à s’intéresser davantage à ce qu’on a vécu dans son passé qu’à ce qui est devant et à ce qu’on peut en faire. Évidemment, une grande partie de l’expérience passée peut servir à quelqu’un, mais, s’il pouvait s’appliquer jour après jour aux tâches qu’il doit assumer, il réussirait mieux sa vie, développant une plus grande satisfaction qu’à attendre des occasions qui peuvent ne pas se présenter. Ceux qui oublient complètement leur passé peuvent répéter leurs erreurs, mais ceux qui s’y projettent constamment s’enterrent de leur vivant. Plus on estime et apprécie son passé pour ce qu’il est, plus on s’ouvre à l’intuition dans le présent et mieux on prépare son futur. Mais il y a une marge entre se souvenir de son passé et s’y complaire. L’un éclaire tandis que l’autre enlise.
Toutefois, au lieu de se désoler de son passé ou de le déplorer, on gagne à le situer dans une nouvelle perspective et à l’imprégner de vibrations d’amour. On y parvient en l’acceptant tel qu’il s’est déroulé, en reconnaissant les qualités d’âme qu’on a développées ou les potentiels qu’on a activés dans les moments pénibles, en reconnaissant qu’on a agi au mieux de ses connaissances et de ses moyens d’alors. C’est par son passé qu’on est devenu ce qu’on est présentement. Et si on n’est pas satisfait de ce qu’on est devenu, on peut commencer à se changer dès maintenant afin de devenir ce qu’on veut devenir. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Hélas, beaucoup aiment ramener le passé comme excuse ou comme modèle de ce qui pourrait survenir dans l’avenir. Et c’est ainsi qu’ils régressent au lieu de progresser.
Dans la Thora, devenue la Bible, on parle de la femme de Loth qui, se retournant pour voir la ville de Sodome brûler, que les foudres du ciel venaient de frapper, devient une statue de pierre. En spiritualité, le fait de regarder en arrière évoque l’habitude de faire un retour sur son passé, un comportement qui amène à se scléroser, à se fossiliser, en amenant à vieillir de façon prématurée. Quand on pense que son passé apportait plus que le présent n’offre, c’est qu’on ne comprend rien à la vie qui se transforme sans cesse, pour le mieux, projetant vers l’avant, non vers l’arrière, forçant à s’ouvrir au changement et à la nouveauté!
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