« Les EMI, c’est un phénomène physiologique qui existe et est bien réel. Les gens qui racontent cela l’ont vraiment ressenti. »
Ces 9 et 10 mars, médecins, psychiatres, anesthésistes venus du monde entier se réuniront à Marseille autour d’un sujet a priori peu scientifique : les expériences de mort imminente. Ces EMI furent popularisées par le Dr Moody et son ouvrage « La vie après la vie ». Il avait recueilli les témoignages de patients qui, pendant un coma, avaient eu la sensation de quitter leur corps et d’avoir découvert, en quelque sorte, un « au-delà ».
Pour l’organisatrice de ces « Rencontres », Sonia Barkallah, une réalisatrice et éditrice de divers ouvrages sur les EMI, la science est en train de plus en plus de s’intéresser à ce thème. Tous les scientifiques, dont certains sont controversés, sont loin d’avoir la même vision de ces EMI.
En Belgique, depuis 2009, l’ULg s’intéresse aux EMI. Ces très sérieuses recherches sont menées par le Coma Science Group, soutenu par le FNRS. Pour le Pr Steven Laureys, qui dirige le CSG, la science « doit » se saisir des EMI. « Sinon, n’importe qui peut raconter n’importe quoi. Même si ça permet de vendre des livres! Mais il y a encore trop peu d’études scientifiques sur les EMI. Le livre de Moody n’est pas ‘scientifique’. Il n’a pas été publié dans une revue spécialisée, relu par un comité de pairs qui a vérifié la méthodologie… Sinon, c’est juste des ‘histoires extraordinaires’. Et ça ne suffit pas ».
Le CSG ne remet pas en cause le vécu des « expérienceurs ». « Les EMI, c’est un phénomène physiologique qui existe et est bien réel. Les gens qui racontent cela l’ont vraiment ressenti. Sinon, il faudrait supposer qu’ils mentent. Or, il y a des milliers de témoignages! » Pour le CSG, c’est le cerveau, en dysfonctionnement vu le traumatisme ou le coma, qui produit cette expérience.
La sortie du corps
« Je me trouvais en clinique pour une thérapie lourde, raconte Georges Daenen, un policier liégeois qui se déclare athée et a été interrogé dans le cadre des recherches sur les EMI à l’ULg. On m’avait injecté de très fortes doses d’antibiotiques qui m’avaient fait sombrer dans un semi-coma. Jusqu’au moment où j’ai vraiment eu l’impression que je voyais les médecins de haut, que j’étais collé au plafond ». Un des aspects d’une EMI le plus étudié est l’OBE, l’impression de quitter son corps. « Le Dr Olaf Blank, alors qu’il stimulait différentes régions du cerveau d’une patiente avant une opération, a pu provoquer cette OBE, explique le Pr Laureys. Cette expérience a pu être reproduite, et les résultats ont été publiés dans « Nature ». Il s’agit de la région temporo-pariétale droite.
Le tunnel et la lumière
« J’ai vu un long tunnel noir, et au bout et une lumière très brillante, qui m’attirait », poursuit Georges Daenen. Cette vision, Steven Laureys l’explique par le fait que certains câblages cérébraux peuvent être endommagés par l’arrêt cardiaque. Les patients sont alors dotés d’une vision périphérique. « Tout ce que vous pensez est le résultat, est égal, à l’activité cérébrale, affirme Steven Laureys. Vous êtes votre cerveau et ce cerveau peut fonctionner différemment. Quand le fonctionnement du cerveau change (épilepsie, anesthésie, rêve ), la perception change. L’EMI, c’est le produit d’une activité cérébrale spécifique. » Steven Laureys pense que l’EMI pourrait être un « état global » du cerveau, à l’instar d’autres états déjà connus, comme le rêve.
Les « présences »
« J’ai emprunté ce tunnel et je suis arrivé dans un très beau jardin. J’y ai rencontré des parents décédés. » Les expérienceurs comme Georges Daenen font souvent état de « présences ». L’activation de la région temporo-pariétale gauche en serait responsable. M. Daenen, pour comprendre, se dit prêt à passer au scanner. Les recherches liégeoises impliquent en effet la neuroimagerie médicale. Elles sont en cours et il est donc trop tôt pour tirer des conclusions, note le Pr Steven Laureys. Mais le but est d’associer une composante de l’EMI avec des corrélats (correspondances) neuronaux. Le souhait est de dégager un fonctionnement cérébral différent chez l’expérienceur. L’idée est aussi d’essayer de trouver des séquelles, des « cicatrices » dans le cerveau.
Le bien-être
« Une voix au-dessus de moi a dit ‘il est trop tôt pour toi’, se rappelle ensuite Georges Daenen . Ça a été comme une gifle car je m’y trouvais très bien, dans cet endroit. J’ai fait demi-tour et j’ai repris le tunnel à l’envers, et je me suis réveillé sur mon lit, avec l’impression d’avoir fait un rêve . » Le sentiment de bien-être serait à relier à l’activité du cortex cingulaire antérieur, selon l’hypothèse du CSG. « Il s’agit un peu d’une région maître d’orchestre qui modifie le bien-être et la perception de la douleur. » Les conditions d’une EMI sont variables, mais le plus souvent, constate le Pr Steven Laureys, il y a un coma, une atteinte cérébrale, et une perte de conscience. Pour le CSG, les différentes régions du cerveau peuvent être activées lors de l’EMI, et produire cette expérience.
Témoignages
Son témoignage, Georges Daenen l’a apporté à l’équipe du CSG. Celle-ci se veut « très ouverte » et souhaite en comprendre davantage. Elle a donc besoin de témoignages, et assure les recueillir « dans le respect absolu du vécu des personnes ». » On a besoin de beaucoup de cerveaux pour tirer des conclusions, explique Vanessa Charland-Verville, neuropsychologue au CSG. Les réponses à un questionnaire détaillé feront l’objet d’analyses statistiques et sémantiques. « Il s’agira aussi de savoir si les conditions influencent le contenu de l’expérience. Comme causes, il peut y avoir la noyade, l’anoxie, le traumatisme crânien . Il peut aussi y avoir des expériences spontanées. Et certains ont aussi cette EMI lorsqu’ils se croient en train de mourir. »
Stimulation
Le CSG stimule aussi des régions du cerveau pour tenter de reproduire les EMI. Il utilise la stimulation magnétique transcranienne stéréotaxique, pour exercer des décharges électriques sur des zones du cerveau. Les analyses techniques sont en cours et ne permettent donc pas encore de conclusions. A noter que, plutôt que de « régions » impliquées et provoquant ces sensations, il faudrait parler de « réseau ». « Il s’agit d’un réseau de neurones qui rentrent en fonctionnement, avec des zones du cerveau plus concernées ». Et il n’y a pas une explication simple pour chaque phénomène. « Le manque d’apport du sang, les œdèmes, la fièvre, les médicaments Cela joue aussi. ». Désormais, le CSG demande aux patients sortant du coma s’ils ont vécu ou pas une EMI. Un sur dix, en cas d’arrêt du cœur, répond oui.