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par Bertrand Duhaime

La croyance, c’est ce qu’un être accepte sans vérification parce que cela fait son affaire, parce que tout le monde autour de lui le répète comme une vérité, parce qu’un être qui a de l’ascendant sur lui le lui présente comme un fait.  Dans l’ordre politique autant que dans l’ordre religieux, on constate à quoi cela mène, soit à l’opposition et à la confrontation, même à la violence des sectaires ou au zèle des illuminés.  Plusieurs personnes ont beau regarder la même chose ou vers un même point, chacun y voit quelque chose de différent selon les interprétations de son point de vue, de sa formation, de ses préjugés, de ses prérequis mentaux, sentimentaux, émotionnels, viscéraux.  Toute croyance limite car elle contient sa part d’illusion, par une difficulté à dépasser les apparences, à déchirer le voile des préférences et des préjugés.

Les croyances représentent un assentiment tacite qui repose sur un espoir ou une hypothèse sans fondement, mais qui est véhiculé dans le grand public ou dans certains milieux plus étroits.  Ils témoignent le plus souvent d’une volonté faible, d’un préjugé tenace, d’un sentiment d’appartenance, d’une préférence marquée plus que d’une croyancesconviction profonde.  Par définition, la croyance ne repose sur aucune certitude, mais sur un entêtement inconscient, l’ignorance crasse, le manque de culture ou une habitude erratique, du fait qu’elle n’a pas été vérifiée dans l’expérience même de celui qui la professe.  Croire sans voir peut parfois comporter bien des dangers.  En tout cas, c’est une façon bien curieuse d’intégrer la maxime qui invite à agir avec la sagesse du serpent et la prudence de la colombe.  Il convient de vérifier tout ce qu’on apprend, sans quoi on entretient stérilement son ignorance.

À la v
érité, chacun ressent davantage ses croyances qu’il n’y croit.  Ce qu’un être ne maîtrise pas parfaitement peut éveiller la crainte.  Il devrait raisonner ses croyances et les passer au crible de son intuition pour modifier son expérience.  Car ce qu’il accepte de croire, il en fait nécessairement un savoir, sans quoi il serait aberrant de continuer d’y croire.  Enfant, chacun a hérité de son milieu nombre d’idées, de notions, une conception générale de la vie, une vision générale du monde.  Dans la majorité des cas, cette transmission d’idées et de sentiments s’est produite de façon insidieuse, peu explicite et attentive, sans qu’un sujet reçoive trop d’explications sur l’authenticité de leurs fondements.  Voilà comment tous conservent de certains aspects du monde et des faits une idée bien candide, naïve, irréaliste, le résultat d’un amalgame d’idées infantiles.  Chacun a été dressé à saisir les réalités d’une façon particulière, d’où il les interprète difficilement uniquement à partir de ses données d’adulte.

Dans son enfance, un être ne pensait même pas à mettre en doute les affirmations mécaniques des adultes, souvent péremptoires, impérieuses, autoritaires, peu nuancées, d’où il pensait encore moins d’en vérifier la validité ou la vérité.  Il croyait spontanément ce qu’il entendait puisqu’il faisait confiance, loin de se douter qu’il pouvait être trompé, surtout par des êtres chers.  Dans un monde idéal, une telle attitude peut apporter des dividendes bénéfiques, mais dans un monde déséquilibré, facilement porté à la névrose, chacun gagne à se méfier de ce qu’il entend dire et répéter.

A la maturité, trop peu de gens ont pas pensé à remettre en question nombre des affirmations acceptées inconsciemment dans un lointain passé, ce qui les amène parfois à proférer des énormités ou des débilités, pour le moins étranges dans la bouche d’un adulte sensé, supposément renseigné, généralement très au fait de l’actualité et des dernières découvertes.  Aussi, lorsque quelqu’un les reformule en public, sans prendre le temps de réfléchir, il paie généralement par une blessure d’amour-propre, ce qu’il n’a pas confirmé par paresse ou par manque d’intérêt et qu’il laisse sortir par audace ou dans la spontanéité du moment.  Qui en sait plus long que lui s’empresse de souligner sa bêtise, la tournant au ridicule, ce qui augmente généralement sa courte honte et sa confusion.  Il a beau essayer de se racheter ou de s’expliquer, rien n’y fait.  Car il se peut que Gros Jean ait essayé d’en remontrer à son curé.  Chacun aime tellement signaler sa science et sa compétence, se prononcer sur tout, d’où, parlant trop vite, certains sont parfois ramenés brusquement à la réalité de leurs limites, appelé à se faire plus modeste et circonspect.

La vie de tout un chacun s’appuie souvent sur une foule d’inepties et d’inadéquations.  Et cet être se surprend ensuite de vivre dans l’illusion, voire dans la confusion.  Ce qu’une personne croit au sujet des choses et du monde reflète ce qu’elle est elle-même, à moins qu’elle aime parler à tort ou à travers ou tente d’éprouver ses interlocuteurs.  Ses croyances agissent comme un filtre qui limite le niveau de perception qu’elle a d’elle-même et du monde qui l’entoure.  Voilà pourquoi toute croyance doit être transformée en certitude, car elle reste bien menaçante pour sa réputation et insécurisante en regard de son destin. Celui qui dit vraiment connaître ne doit pas se limiter à croire quelque chose, ce qui peut conduire à des choix préjudiciables, mais tourner en savoir ce qui s’accepte sans trop de vérification.

À bien y penser, il est trop facile d’adopter une croyance, cela est à la portée de tout le monde, mais cela ne fera pas nécessairement son profit.  La croyance n’est jamais qu’un emprunt qu’un être fait aux autres sans le passer au crible de son discernement ou d’une compétence avérée.  Quant à la connaissance, puisqu’elle se fonde par définition sur une confirmation d’expérience, elle contient l’idée de certitude pour avoir puisé, d’une façon ou d’une autre, dans ses ressources intérieures.  Ceci ne signifie pas qu’il ne faille jamais accepter de croyances, du moins temporairement.  Chacun véhicule ses propres croyances, et peu de gens échappent à la règle.  Sauf qu’il faut prendre ces croyances pour ce qu’elles sont : des hypothèses plausibles, mais des hypothèses à confirmer.

Certains actes de foi se présentent comme rationnels.  Par exemple, c’est le cas dans le fait de croire qu’un pont supportera sa voiture au moment de l’emprunter pour traverser une rivière, puisqu’il a été précisément construit de façon solide pour servir à cette fin.  Mais il existe des croyances plus troublantes parce qu’elles peuvent représenter un genre de défi lancé à l’aveuglette.  Par exemple, on pense ici à ces croyances à partir desquelles on se prépare à faire un choix capital, par rapport à son destin, et qui laissent une moindre marge de manœuvre.  Comme on dit, la vérité de l’un ne convient pas toujours à l’autre.  Par exemple, la majorité des gens aiment le miel qui fournit beaucoup d’énergie sous forme d’un sucre plus naturel et plus digeste que la saccharine.  Pourtant, le miel devient un produit fort dangereux pour celui qui est allergique au pollen d’abeille.

Dans certains cas, si l’être humain ne pouvait vivre d’espoir, il stagnerait, puis il régresserait rapidement, incapable de faire le moindre choix.  Qu’arriverait-il s’il devait toujours mener un examen préalable de ce qui lui est transmis avant de s’en servir?  Il devrait constamment retarder ses décisions à défaut d’en avoir déterminé par lui-même la pertinence et la validité.  Ainsi, il tournerait en rond, autour de lui-même, toujours occupé à supputer les faits et à spéculer sur leur portée.  Mais l’espoir, tout motivant qu’il soit, ne doit pas amener à nier la prudence et la circonspection.

En d’autres termes, il y a des croyances raisonnablement acceptables qui fournissent des raccourcis d’expérience, favorisant son évolution, mais il y a des croyances déraisonnables qui prolongent une expérience, parce qu’il faut prendre le temps de les vérifier, mais qui écartent de grands dangers.  Ceci est particulièrement pertinent pour ce qui concerne ses croyances spirituelles et philosophiques.  Les religions ont fourni des réponses toutes faites, fort dogmatiques, mais d’origine très ancienne, comme pistes de réflexion ou comme prescriptions, pour les questions existentielles que se pose l’être humain, reléguant tout ce à quoi elles ne pouvaient répondre dans l’incompréhensibilité du mystère.

Mais, de nos jours, un être ouvert doit penser à se demander s’il est possible que Dieu L’ait créé conscient et intelligent pour lui faire autant de mystères?  Celui qui accepte un credo religieux sans discussion doit savoir qu’il achète une croyance, pas forcément une certitude.  Est-il si sécuritaire qu’il le pense de s’en servir comme fondement de sa spiritualité, qui implique tout de même son destin éternel, à ce qu’en disent les ministres du culte?

En adoptant trop facilement les opinions des autres, fussent-elles religieuses, et surtout si elles sont religieuses, un être ne s’expose-t-il pas à jouer le crédule qui établit une grande limite à son avancement?  En adoptant des principes philosophiques sans discernement, il risque d’entraver son évolution.  Mais il y a des gens capables de cultiver l’illusion du bonheur au lieu de chercher à faire leur bonheur à leur manière, ce qui relève de la faiblesse d’esprit!

Aujourd’hui encore, des millions de gens ont souscrit à un système de croyances qui entrave l’évolution de l’Humanité, sans se poser la moindre question.  N’est-ce pas se laisser laver le cerveau ou laisser d’autres décider à sa place?  Par exemple, comment un être sensé peut-il croire qu’il existe un Ciel, un purgatoire et un enfer, si Dieu est Amour?  Comment peut-il croire posséder un corps qui retournera à la poussière pour ressusciter un jour?  Comment pourrait-il penser qu’il ne peut se sauver que par une décision arbitraire de l’Éternel?  Mais, à une autre époque, les autorités religieuses obligeaient bien leurs ouailles à croire que la Terre était plate et que le soleil tournait autour d’elle, alors de telles prescriptions peuvent se comprendre.

Il n’en reste pas moins que la plus grande preuve d’intelligence, sans sombrer dans le scepticisme, consiste à avoir recours au doute rationnel pour se prémunir contre les impostures.  Il est plus facile de croire sans voir que de vérifier ses croyances par le biais de l’expérience personnelle.  Peut-être certains sont-ils bien paresseux, naïfs ou apathiques?  Mais il n’est pas mieux d’entretenir le doute systématique qui maintient dans l’indécision et la tergiversation.  Il est trop facile de feindre mettre tout en doute pour s’éviter la nécessité de vérifier des faits dans le concret!  Nul ne peut indéfiniment écarter le risque calculé d’explorer une réalité qui reste présentement mystérieuse dans sa vie.  S’il plonge dans le mystère, ce qui importe, c’est d’éviter de se précipiter, de témoigner d’audace, mais jamais de témérité, sous prétexte qu’il espère avoir trouvé un raccourci évolutif.

Quelqu’un a dit : «On évolue en changeant ses croyances en certitudes par l’expérience personnelle.  Et on cesse d’être mis à l’épreuve le jour où on abandonne enfin toutes ses croyances.  Les croyances sont des béquilles dont on peut un jour se passer.  Il faut savoir faire le saut dans l’inconnu sans filet.  Les croyances limitent sa liberté.  Il faut devenir un laboratoire vivant, non en croyant les choses, mais en les vivant.»

Chacun croit connaître le chemin qui mène au vrai bonheur, ce qui l’amène à tenter de le montrer aux autres, voire de le leur imposer.  Pourtant, d’après leur conduite, peu d’êtres humains, surtout de la classe religieuse, semblent l’avoir vraiment trouvé.

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