BENGALE

La première fois que je  l’ai rencontré, c’était sur le sentier de l’espace vert des Coteaux à Argenteuil.

J’effectuais ma petite promenade « désintox », comme je l’appelle, et suis tombée sur une horde de chats qu’une gentille dame nourrissait.

La colline de Sannois regorge de chats sauvages, laissés à l’abandon. Mais n’allez pas croire qu’ils sont  malheureux. Annie prend bien soin d’eux. Elle leur donne régulièrement à boire et à manger, propose une séance de câlins, en fait stériliser certains par un organisme pour ensuite inviter les gens qui le souhaitent à en adopter un. Elle leur a même donné à chacun un petit nom.

Bref, ils sont pris en charge quotidiennement et bénéficient de tout l’espace vert et boisé alentour. Merci à vous, Annie, pour votre acte de générosité !

Bien sûr, ils ne sont pas à l’abri de quelques déréglés du cerveau (et du coeur, surtout !), mais en règle générale, ils semblent bien adaptés à cette vie mi-sauvage mi-domestique.

J’avançais donc sur ce sentier sableux au moment même où Annie sonnait l’heure du repas. Les gamelles de croquettes, de pâté et de lait étaient réparties sur le côté de l’allée et des miaulements timides fusaient de tous côtés. Les jambes de leur bienfaitrice étaient régulièrement frôlées, cajolées, assaillies de « miaou ! » affamés et reconnaissants. Les gamelles se vidaient à vue d’oeil.

Attirée par tout ce déploiement félin, je me suis approchée pour tenter d’en caresser un ou deux mais très vite, les petits fauves s’esquivaient gentiment de ma trajectoire.

Jusqu’à ce que…

L’un d’eux fut sensible à mes avances. Tout doux, tout ronronnant, tout câlin, il se tourna vers moi pour me renvoyer mes caresses avant de replonger son museau dans sa gamelle gourmande !

Le repas une fois terminé (Annie était déjà repartie), ce chat tigré, mince et haut sur pattes, s’avança vers moi. Des pattes de fauve, épaisses et veloutées. Il ronronna, miaula en tendant vers moi un regard à désarmer une escouade de soldats, puis un réel échange d’affection s’installa entre nous.

J’étais sous le charme, touchée par la tendresse de cet animal laissé à l’abandon, pourtant capable de manifester tant d’amour et d’attention.

Bengale est resté avec moi, blotti sur mes genoux durant trois heures. Je m’étais posée sur un banc, bien décidée à passer du temps avec lui, et chaque fois que je me repositionnais, dérangée par une crampe ou des fourmillements dans mes jambes, il revenait docilement replonger sa tête dans mon giron pour se reposer.

J’en avais les larmes aux yeux. Son comportement était si bienveillant, si doux. Chaque fois une patte venait se poser affectueusement sur mon bras ou ma poitrine, son museau frôler mon visage avec attention…

J’ai ressenti profondément que ce chat n’était pas comme les autres. Il dégageait quelque chose de trop humain pour un animal abandonné. Pourtant il l’était. Annie me l’avait confirmé. Alors j’ai compris qu’en un instant de pure dévotion, ce chat m’avait rencontrée pour m’offrir un peu d’amour, pour partager un moment unique qui manquait tant à ma vie.

C’est comme s’il l’avait senti.

Bengale m’a offert trois heures de son temps sans bouger de mes cuisses, sage comme une image, confiant et ronronnant d’une douce quiétude. Il semblait… me protéger, veiller sur moi. J’ai alors senti la présence d’un Guide…

Les animaux peuvent être des Guides pour les humains. Les Amérindiens en expliquent d’ailleurs toute la symbolique à travers leurs fameux totems ou animaux de pouvoir. Et ce lien qui m’unissait à Bengale, ce jour-là, était unique. Je le sais. Je l’ai senti. Notre échange était singulier, familier, comme si nous nous connaissions depuis toujours.

Lorsque mon regard s’est ensuite machinalement posé sur le sol, alors que je contemplais béatement le parc dans le réconfort de ce doux moment, mes yeux ont été surpris de découvrir, là, juste à la droite de mon pied, un trèfle à quatre feuilles !

Je n’avais plus de doute. Bengale m’avait été envoyé !

Puis la question s’est posée dans mon esprit : dois-je l’adopter, le garder près de moi ? J’en avais tellement envie. Mais allait-il être heureux dans mon petit appartement où je vis seule, enfermé entre quatre murs, sans jardin, ni terrasse, ni balcon ?

Mon coeur a commencé à pleurer doucement. Ce petit être si plein d’amour et d’attention se sentait visiblement bien avec moi, c’était évident, j’avais l’impression d’avoir quelque chose en commun avec lui. Tout semblait nous réunir, vibrer entre nous. Mais mon coeur, mon coeur douloureux d’imaginer un instant ce pauvre animal tourner en rond seul dans mon appartement ne parvenait à trouver une entente, à formuler une décision.

Alors j’ai posé la question à Bengale. Je lui ai demandé s’il souhaitait vivre dorénavant avec moi. Je ne voulais pas le forcer, je ne voulais pas faire le choix à sa place.

Tandis qu’il me regardait de ses yeux d’amour, je me levais et me dirigeais hors de l’espace vert, le chat blotti dans mes bras. Puis soudain il a sauté parterre.

J’avais sa réponse.

Et je l’ai respectée la mort dans l’âme. Je le voyais galoper vers un arbre, se retourner vers moi, se cacher derrière un buisson puis revenir à nouveau me montrer ses moustaches, tel un jeu.

« Oui, semblait-il me dire, je t’aime mais je préfère ma liberté ». Et j’ai alors entendu ceci dans mon esprit :

 « Les animaux sont des êtres à part entière qui disposent d’un coeur et d’une âme, tout comme nous. Nous devons respecter leurs choix, même s’ils vont à l’encontre de notre désir personnel. Ils sont doués d’une conscience bien plus fine que la nôtre parce qu’ils savent se montrer dociles, aimants et bienveillants lorsque nous avons besoin d’eux. Ils le ressentent profondément. Ils ressentent nos pensées et nos émotions. Et malgré cela, malgré le mal que beaucoup d’humains peuvent leur faire, ils continuent à nous aimer. Parce que leur rôle est de nous guider, de nous faire prendre conscience de nos comportements, de nos agissements pour nous éveiller à notre tour à l’amour et au respect de la Nature et de toutes les créatures vivantes. Ils existent pour nous aider à ouvrir notre coeur… »

Les animaux n’ont pas l’esprit dérangé qu’ont la plupart des hommes. Ils ne tuent pas pour le plaisir mais pour se nourrir ou survivre. Leur amour est désintéressé, unique. Ils acceptent, respectent et vivent dans les bras de Gaïa tels ses enfants chéris, eux les fils et filles de la Terre, parce qu’ils savent faire partie du Grand Cercle de la Vie. Je les honore. Je les applaudis. Je leur envoie toute ma grâce et tout mon amour pour la patience qu’ils usent à nos côtés, pour cet espoir qu’ils ont de nous voir un jour changer et rejoindre cette grande Famille terrestre… et universelle. Ils sont bien plus éveillés que vous ne pouvez l’imaginer…

J’ai regardé Bengale s’éloigner doucement dans les bocages, fier dans sa belle robe gris et beige, tachetée de noir, auréolé de mystère et de lumière. Je l’ai remercié pour ce moment passé en sa compagnie, ce moment unique qu’il m’a gracieusement offert, et ce trèfle magique aux quatre feuilles de bonheur…

Puis il s’en est allé. Il a retrouvé sa vie vagabonde, cette précieuse liberté que j’honore par-dessus tout.

Les hommes ne sont pas faits pour vivre en esclavage ; pourquoi les animaux le seraient-ils ? Nous devons les écouter et comprendre ce qui vibre dans leurs yeux pour les aimer le plus justement possible : en respectant ce qu’ils sont.

Osons partager avec eux de simples moments comme celui-ci, profonds, sincères, pleins d’amour. Ne cherchons pas à les posséder, sauf si c’est leur unique souhait, parce qu’ils savent qu’une mission les attend où vous serez l’objet principal de toute leur attention.

Parce qu’ils auront choisi d’être votre Guide.

Retrouvez les Chroniques de Nathalie Fargin sur la Presse Galactique

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