Les peuples autochtones se mobilisent avec l’Alliance des Gardiens de Mère Nature
Pour la première fois au monde, des représentants autochtones de tous les continents se réunissent du 11 au 16 octobre 2017 au Brésil. L’objectif ? Échanger et proposer des solutions aux enjeux environnementaux et culturels auxquels ils sont confrontés. Avec le soutien de l’association Planète Amazone, l’Alliance des Gardiens de Mère Nature appelle aussi à la mobilisation citoyenne internationale pour œuvrer à un monde nouveau.
“Nous voulons rassembler nos frères et sœurs indigènes de toute la planète pour proposer, ensemble, des solutions aux enjeux globaux, en nous inspirant de notre lien avec la nature et de nos savoirs ancestraux “, a annoncé le célèbre Cacique Raoni, chef du peuple Kayapo en Amazonie brésilienne, à l’initiative de l’assemblée. Réunis autour de la figure historique et emblématique de la lutte indigène, des dizaines de représentants autochtones se sont déplacés à Brasilia pour former la première Grande Assemblée de l’Alliance des Gardiens de Mère Nature du 11 au 16 octobre 2017.
Fragilisés par l’histoire coloniale, le changement climatique, la dégradation de leur environnement, les pressions foncières et minières, la culture dominante, les peuples autochtones sont aujourd’hui plus 350 millions à vivre sur leurs terres ancestrales. Mais “les autochtones ne sont pas venus là pour pleurnicher, au contraire, ils sont venus montrer la dynamique de leur combat et lui donner corps en échangeant et en partageant leurs expériences pour faire bénéficier ceux qui en ont besoin”, prévient Gert-Peter Bruch, fondateur de l’association Planète Amazone qui coordonne l’assemblée.
Amérindiens, Pygmées, Papous, Maoris, Kanaks, Touaregs, des forêts primaires aux déserts, la diversité des peuples et de leur milieu est au cœur des échanges. “Nous avons des problématiques communes car, plus que toutes autres populations, nous sommes particulièrement impactés par le changement climatique puisque nous vivons en osmose avec la nature”, assure Mundiya Kepanga, porte-parole des Papous de Papouasie Nouvelle Guinée en Asie du sud-est.
Représentant de l’ethnie Puvi [Pygmées] de la forêt primaire gabonaise en Afrique centrale, Hervé Soumouna Gnoto est convaincu de la nécessité de cette rencontre : “Durant cette assemblée je souhaite rencontrer des gens qui connaissent la forêt comme moi pour partager mes expériences avec eux”. Chamane, fin connaisseur de des plantes et des animaux de son milieu, il aimerait aussi “parler de la forêt à ceux qui ne la connaissent pas, car il est urgent de la protéger face à la déforestation sauvage, les dégâts des mines et le braconnage. Nous pensons que la forêt est vivante, sacrée et bénéfique pour tout le monde. Et plus nous protégeons nos forêts, plus nous protégeons nos vies.”
Selon Gert-Peter Bruch “nous sommes à un tournant historique, annoncé depuis 30-40 ans et les peuples autochtones ont déjà basculé puisque leurs modes de vie ont été profondément modifiés ; certains représentants comme Raoni ont connu l’époque sans contact avec les Blancs et ont pu voir comme il est très difficile de s’adapter à ces changements. Les peuples autochtones sont aussi là pour nous avertir que ce qu’ils ont vécu, nous nous allons le vivre à beaucoup plus grande échelle et que nous auront du mal à nous en remettre si nous ne réagissons pas”.
Du local au global, les enjeux écologiques sont ici intimement liés à la dimension culturelle et identitaire des peuples. Si certains ont fait le choix de vivre à l’écart de la modernité, la grande majorité la côtoie, la subit ou la choisit, sans pour autant la rejeter en bloc. Pour le papou Mundiya Kepanga : “Il faut trouver un équilibre entre conserver notre identité et en même temps se développer. Ce sont des questions centrales qui doivent être abordées car nous représentons des millions de personnes sur la planète et il est important de prendre en compte les spécificités de nos valeurs et de nos coutumes tout en profitant des bienfaits de la modernité”. Santé, mobilité, partage des ressources, valorisation des savoirs, de nombreux thèmes seront abordés librement au fil de l’assemblée. En partageant leurs expériences et leurs capacités d’adaptation, les représentants proposeront à l’issue de la rencontre des applications concrètes.
Devenir gardien de la nature
“Cette mobilisation des gardiens de la planète c’est aussi pour dire : nous préférons nous rassembler entre nous pour parler d’une même voix et arriver à montrer que nous sommes capables, avec toutes nos différences et l’éloignement géographique, de parler de vrais sujets”, rapporte Gert-Peter Bruch. Alors que 17 propositions avaient été formulées lors de la Cop 21 à Paris en 2015, les engagements politiques ne sont toujours pas au rendez-vous. “Cela fait plus de 25 ans que les peuples autochtones font confiance pour trouver des solutions mais les États se sont bien moqués d’eux, alors que ces derniers sont très conscients de la situation. Ils ne font rien, ou en tout cas pas ce qu’il faut, parce qu’il y a des intérêts économiques, la pression des lobbys… Or c’est une question de vie ou de mort pour ces peuples ! Elle met aussi en danger notre existence, le climat planétaire et le devenir de l’humanité,” dénonce le président de Planète Amazone qui ne cède pas pour autant au pessimisme. “Nous restons malgré tout dans une dynamique pacifique ferme, pour apporter et montrer au monde que les solutions existent. Même si elles ne sont pas toutes trouvées, certaines méritent d’être portées à la connaissance de tous pour que les gens les répercutent. Car contrairement à ce que l’on peut parfois dire, il n’y a pas qu’une seule voie, un seule chemin”, ajoute-t-il.
Lassée des préconisations peu reconnues ou rarement appliquées de l’ONU et de l’OIT sur les droits des peuples autochtones*, l’Alliance des Gardiens de Mère Nature souhaite soumettre directement ses volontés auprès des États en s’appuyer sur la mobilisation internationale des citoyens pour peser dans les décisions. Aujourd’hui, avec le soutien de militants écologistes anonymes ou célèbres comme Paul Watson, de personnalités telles que Bernard Lavillier, Pierre Richard, de juristes internationaux ou encore de rares politiques comme Nicolas Hulot, elle veut à la fois s’ouvrir et mieux se protéger.
Comment le citoyen peut-il aussi contribuer à les aider ? “Via nos réseaux de communication et nos dons, car c’est aussi notre rôle de les accompagner. C’est ce que fait Planète Amazone : porter la voix des peuples autochtones quasi en direct, sans filtre. Et c’est le citoyen qui accompagne l’Alliance car c’est un mouvement des peuples autochtones mais aussi un mouvement citoyen. Et finalement le but est de devenir soi-même un gardien de la nature en respectant la planète”, soutient Gert-Peter Bruch à l’initiative du financement participatif lancé en 2016 pour que cette rencontre puisse voir le jour.
C’est donc l’énergie de l’espoir qu’entend semer cette assemblée des peuples. Pour Hervé Soumouna Gnoto, la solution est peut-être plus simple qu’on ne le croît : “En réalité notre peuple n’est pas très compliqué, l’essentiel est d’être respectueux avec nous. Si on est respecté on peut vous faire voir la forêt telle que nous la connaissons depuis toujours. Car notre tradition ancestrale nous invite à rassembler l’humanité”.
Par Sabah Rahmani
*NOTE
Depuis 1989, la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) est le seul outil juridique international qui reconnaît les droits des peuples autochtones. Aujourd’hui 22 pays – pour la plupart latino-américains – l’ont ratifiée, même si elle est peu appliquée. Elle établit le droit des peuples autochtones à vivre selon leur culture, à disposer de leurs terres, de leurs ressources naturelles et à les consulter avant tout projet sur leur territoire.
En 2007, l’ONU a adopté quant à elle la Déclaration sur les droits des peuples autochtones pour valider une prise de conscience internationale et inviter les États à légiférer dans cette voie, pour collaborer avec les peuples autochtones.
Source: http://www.kaizen-magazine.com/