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Suite de l’interview réciproque entre Alain Facélina et Frank Hatem

 

Frank Hatem : J’ai beaucoup parlé jusqu’à présent, et les lecteurs voudraient bien faire connaissance avec toi aussi. Et toi alors, quelle est la question que l’on ne t’a jamais posée et que tu aurais adoré que l’on te pose ?

 

Alain Facelina : Peut-être que ce serait une question du genre : « de quoi as-tu vraiment envie ? ». Dans le sens, où dans mon histoire personnelle, j’ai souvent été soumis à l’envie…

 

Frank H. : À l’envie des autres !

 

Alain F. : À l’envie des autres. Et il m’a fallu beaucoup beaucoup beaucoup de temps…

 

 

Frank H. : Pour t’apercevoir que tu existais.

 

Alain F. : Je n’avais pas de soucis pour savoir que j’existais. J’avais suffisamment mal. La douleur est une bonne stimulatrice pour l’existence. En revanche, j’ai toujours eu une sorte de boussole qui ne m’a jamais quitté.

 

Frank H. : Tu savais que tu allais quelque part, sans savoir trop où ?

 

Alain F. : Je crois que, fondamentalement, j’ai toujours tenu à rester fidèle à ce que je suis. Même dans la plus grande adversité, quand j’ai été soumis, battu, vaincu. Il y a toujours eu en moi quelque chose d’autre, de plus fort. Très rapidement, j’ai découvert qu’on était des artistes et que notre plus belle œuvre, c’était notre vie.

 

Frank H. : Est-ce que cela veut dire que ton projet à toi, c’est de faire que ton univers soit beau et harmonieux ? Ou est-ce que cela veut dire créer un univers précis ?

 

Alain F. : Ah, ce n’est certainement pas un univers précis, d’autant que je suis de plus en plus persuadé que ne pas savoir est une merveilleuse grâce.

 

Frank H. : Ne pas savoir ce que ton univers va être. Peu importe comment il est, pourvu qu’il soit beau, ou pourvu que ce soit ton univers.

 

Alain F. : Voilà, effectivement, c’est la qualité de la joie, de la paix, de la vie, de la grâce.

 

Frank H. : Est-ce que cela veut dire que l’univers peut-être beau en soi, quel qu’il soit, et non pas par rapport à ce que toi tu veux ?

 

Alain F. : Je suis quelqu’un qui s’émerveille sans cesse. Je suis très très émerveillé par plein de choses. Ce qui veut dire que l’univers ne peut pas être ce que je veux à l’avance. Dans l’émerveillement, il y a quelque chose de merveilleux. Dans l’accueil. Ce n’est pas une comparaison par rapport à un référentiel que j’attendrais ou que je voudrais.

 

Frank H. :  Oui, mais même si tu ne l’attends pas, il y a une partie de toi qui l’attend quand même. Parce que tu ne crées pas ton univers par hasard. Ce n’est pas n’importe quoi qui arrive.

 

Alain F. : Tu as tout à fait raison. Et, par exemple, dans mon univers j’adore la magie, donc j’adore les surprises. Les merveilleuses surprises, les choses que je n’attends pas.

 

Frank H. : En fait, tu aimes bien ne pas décider.

 

Alain F. : J’aime bien Être. Être vivant. Ce n’est pas effectivement de l’ordre de la décision. C’est de l’ordre de la nature, de la tonalité, de la vibration. C’est vrai que je ne choisis pas un mode particulier. Et d’ailleurs, tous les événements de ma vie personnelle, tous les grands tournants, ce ne sont pas des choses que j’ai organisées.

 

Frank H. : Oui. Cela, je le comprends bien. C’est sûrement normal. Qui peut dire qu’il organise sa vie ?

 

Alain F. : Alors, disons que j’en suis particulièrement conscient. En revanche, quand je me retourne, je vois la trame du dessin. Je vois l’enchaînement, l’orchestration. C’est-à-dire que je vois le tissu de ma vie. Quand je suis au présent, je l’accueille dans l’émerveillement, dans l’enseignement. Car chaque instant m’enseigne énormément. J’apprends. Je découvre. Que ce soit facile ou pas facile. Parce qu’il y a des jours où ce n’est pas forcément facile. Mais en revanche, j’ai beaucoup d’admiration pour l’esthétique dans l’ordonnancement des choses.

 

Frank H. : Et pour le sens, donc ?

 

Alain F. : Oui pour le sens, exactement !

 

Frank H. : Si cela n’avait pas de sens, est-ce que cela pourrait être esthétique, où susciter l’admiration ?

 

Alain F. : Non, non. L’esthétique est là parce qu’il y a un sens. Tu as raison.

 

Frank H. : Et alors, est-ce que cela veut dire que, quelle que soit la dysharmonie que tu vis, tu t’émerveilles ?

 

Alain F. : Je peux, aujourd’hui, apprécier l’harmonie. Je peux même contribuer à la cocréer. Justement parce que j’ai appris fortement ce qu’était la dysharmonie.

Je pense que l’on ne peut pas exprimer profondément une nature si l’on n’a pas navigué dans son contraire.

 

C’est un peu la différence entre les bas reliefs et les hauts reliefs. Il y en a un qui est en creux et l’autre en plein. C’est bien parce qu’il y avait le creusement d’un désir, ou un désir en creux, que je peux en avoir envie, ou être capable d’atteindre le plein.

 

Frank H. : Et alors, qu’est-ce que tu désires vraiment ?

 

Alain F. : Aujourd’hui, je suis très très très sensible à une espèce d’harmonie, une qualité d’harmonie entre les êtres, relationnelle. Vraiment, c’est La Relation, au sens où on l’employait ce matin. Je vais te raconter une expérience étonnante :

 

À la gare, je monte dans un wagon à Paris. Et je tiens la porte à une femme qui monte avec une valise derrière moi. Et elle dit « Merde ! ». Pourquoi ? Parce qu’elle découvre que le wagon dans lequel on monte, c’est un wagon avec de petits compartiments, et non pas un wagon « ouvert ». Et je lui réponds du tac au tac : « je vous remercie, c’est sympa, je vous tiens la porte, et voilà ce que vous me dites… ». Et donc, on progresse le long du wagon, en se chamaillant, comme cela. Je trouve mon compartiment, dans lequel il y a avait deux personnes, deux femmes séparées. On rentre, elle me dit « oh zut, on est dans le même ». On continue à se chamailler, on se positionne loin l’un de l’autre. Nous avons joué comme cela deux, trois minutes. Puis elle a fini par expliquer aux deux autres personnes, pourquoi on était dans cette situation-là.

Et ce qui s’est passé a été extraordinaire parce que chacune avait des relations indirectes avec les autres. L’une était responsable dans un ministère. L’autre s’occupait des bâtiments du ministère. La troisième avait des responsabilités locales reliées aux missions des autres.  Et en fait, on a passé deux heures dans un présent. On a traité de tous les sujets, de la société, de la vie, des enfants, de l’amour, dans une harmonie somptueuse et sublime. C’était un vrai moment de grâce. L’une des conclusions était « je ne plaindrai plus jamais de rentrer dans un compartiment ».

C’est ça, ma pépite, si tu veux. C’est ce moment magique où il y a une rencontre, au-delà des personnes, dans une intimité profonde et harmonieuse. Et pour moi, l’intimité est quelque chose de fondamental. L’intimité avec la vie, c’est ce qui est pour moi la véritable vitalité. Et donc, d’avoir cette intimité profonde, comme le disait ta compagne ce midi à table : « quand l’énergie monte d’une manière tellement lumineuse comme cela, on n’a pas envie de se séparer ».

On s’est séparé à Caen, parce que nous étions deux à descendre à Caen. Mais nous nous sommes séparés d’une manière tellement joyeuse ! C’était une rencontre tellement improbable. Personne n’a vu le temps passer. Et on a vraiment balayé un nombre incalculable de sujets en deux heures. C’est ça, ma tonalité. Et je suis persuadé que c’est ma tonalité, parce que juste avant, bien évidemment, quelques minutes avant de monter dans le train, j’étais vraiment dans l’envie de rencontrer, d’avoir une relation avec quelqu’un, un ou une inconnu(e). J’avais envie de rayonner. J’ai pris cela comme un merveilleux cadeau qui m’était offert en réponse à ma demande. Comme une espèce de bijou, de petit caillou mis sur ma route pour dire « oui, c’est bien par là qu’il faut que tu continues à fonctionner, à marcher». Pour moi, je vis ce genre de situation comme un exemple de Grâce Divine pure et dure. Et là, c’est moi. C’est moi, pleinement vivant, dans ce « Nous ».

 

Frank H. : Tu es vraiment la relation ! Car tu es une intention d’harmonie. Et les polarités de cette relation jaillissent dans ton univers. Et quand on est une intention contraire, égotique, c’est la dysharmonie qui s’impose.

 

Alain F. : Et c’est extraordinaire, car dans ce genre de situation je suis aussi conscient, spectateur. On disait tout à l’heure qu’on parlait et qu’on s’entendait parler en même temps, voire à être même surpris de ce que l’on est en train de dire. Il y a quelque chose qui passe à travers nous. La vie s’exprime à travers nous. Et là, je me disais que c’était extraordinaire cette situation. Par exemple, j’étais le seul garçon parmi trois filles, et on a même parlé de sexualité féminine, mais sans aucune gêne, vraiment de manière harmonieuse. Cela me permet d’apprécier la qualité de distance et d’accueil, quand on est juste en harmonie ensemble. Tu vois, il n’y a pas de fusion, juste une harmonieuse distance. C’est là où l’on peut, peut-être, retrouver le mécanisme de base décrit par ton père, le mécanisme magnétique. Il y a, à la fois, une distance et une synchronisation. Et il ne peut y avoir de synchronisation que s’il y a distance.

 

Frank H. : Synchronisation qui fait l’attraction !

 

Alain F. : Qui fait l’attraction, alors qu’au départ il y avait plutôt répulsion.

L’autre fois, nous parlions de ma timidité. Je pense que je suis tellement exigeant dans le degré de qualité d’une relation, que de tout temps, j’ai eu du mal à m’exprimer. D’abord, j’ai beaucoup souffert d’un point de vue relationnel dans mon existence. Pour pouvoir apprécier le côté harmonieux, il fallait que je découvre le côté inharmonieux. Mais aussi parce que j’ai eu beaucoup de mal à me positionner par rapport à des relations inharmonieuses.

 

Frank H. : Tu as eu sûrement l’impression de ramener cette soif d’harmonie de quelque part. Quand tu t’es incarné, tu as dû te dire « où vais-je pouvoir retrouver cette harmonie pour laquelle je suis fait ? » Une harmonie que tu as dû vivre sur d’autres plans. Et c’est cela que tu aurais voulu que l’on reconnaisse en toi ? Qu’on te propose l’harmonie sans te demander ? Ou qu’on te demande ce qui te l’aurait donnée ? Mais quelqu’un qui te l’aurait demandé, comment aurait-il pu le fabriquer, fabriquer cette harmonie ? Puisque ton univers est la manifestation de ton intention !

Te demander ce que tu désires n’aurait rien changé.

 

Alain F. : Effectivement, pour me poser la question, dans ce sens-là, il faut accéder à ma demande d’harmonie.

 

Frank H. : Il faut y être déjà ! Si on te demande ce que tu veux, c’est qu’il y a déjà harmonie !

 

Alain F. : Il faut y être déjà. C’est la rencontre dont je rêve.

 

Frank H. : Question sans question.

 

Alain F. : La rencontre dans l’harmonie.

 

Frank H. : Imagine un univers où toute rencontre soit harmonieuse ! Comme de la lumière sans jamais d’ombre ! S’il y a univers, incarnation, c’est qu’il y a relativité. Dualité. Quand on vient de l’unité, on a du mal à admettre cette « chute » dans la relativité, mais sans relativité, pas de relation. Tu crois que cette attente qui ne peut être satisfaite totalement a un rapport avec la timidité ?

 

Alain F. : Pas seulement. Je crois que la timidité est aussi le résultat d’un vécu psychologique.

 

Frank H. : Tu crois que les choses que l’on est dépendent d’un vécu ? Ou que le vécu dépend de ce que l’on est ?

 

Alain F. : Notre comportement peut, entre guillemets, être automatique, lié à des mécanismes de défense, parfois. Ce que je ne sais pas c’est si, chez moi, la timidité est un mécanisme de défense ou, au contraire, le symptôme d’autre chose. Je m’explique. Ayant été, très jeune, très tôt atteint d’une extrême sensibilité, j’ai trouvé cela quelque peu handicapant pendant quelques décennies. Jusqu’à ce que je découvre que cette capacité, en terme de sensibilité, voire même d’empathie, était au contraire, bien utilisée, un instrument merveilleux que j’ai utilisé et que j’utilise professionnellement d’ailleurs. Mais encore faut-il avoir dépassé le cap de la souffrance pour en découvrir les trésors. Donc la timidité est peut-être aussi quelque chose qui représente, pour moi, un manque d’affirmation, mais qui, peut-être aussi, me retient pour ne pas éclore trop tôt.

 

Frank H. : C’est drôle, tu as dit « atteint d’une certaine sensibilité », comme si la sensibilité était une maladie ! C’est la peur de quoi, la timidité ? Pour toi, c’est la peur d’être reconnu, ou la peur de ne pas être reconnu ?

 

Alain F. : La peur de ne pas être reconnu.

 

Frank H. : Ou la certitude de ne pas être reconnu ? N’est-ce pas une attitude de départ, de dire « de toute façon, cette harmonie, elle n’est pas de ce monde » ?  Comment pourrai-je être reconnu dans ma sensibilité ? En fait, elle est de ce monde quand même ou pas cette harmonie ?

 

Alain F. : Elle l’est, j’en suis persuadé…

 

Frank H. : Tu n’en as pas toujours été persuadé.

 

Alain F. : Non, c’est clair.

 

Frank H. : Tu étais peut-être davantage timide quand tu n’en étais pas persuadé.

 

Alain F. : Certes, certes. Maintenant, je suis vraiment conscient du côté créateur qui est le nôtre et que les choses fonctionnent vraiment. L’exemple que je t’ai donné dans le train est une belle illustration. J’ai vraiment pris ça comme le résultat d’une création, même si c’est une cocréation parce que je ne peux pas générer cet univers tout seul.

 

Frank H. : Si tu te souviens de ce que nous avons dit dans les précédentes chroniques, la question ne se pose pas ainsi : il n’y a pas d’univers. Il y a une infinité d’univers possible. Et celui que tu choisis, c’est toi et toi seul, avec ton intention, qui le choisit. Les autres n’y sont pour rien.

Pour qu’elle soit créatrice, l’intention doit être le plus inconsciente possible. Parce que, sinon, il y a une attente qui met tout de suite le mental en avant et empêche la magie de se manifester. Tu vois ce que je veux dire ?

 

Alain F. :     Oui.

 

Frank H. : Et tu as été d’abord dans un a priori négatif. Quand les choses se passent mal, et qu’on a l’impression qu’elles vont mal se passer, il n’y a plus d’attente. Il n’y a plus de stratégie. Il n’y a plus de séduction. Il n’y a plus rien. Donc on est libre. Et s’il se passe autre chose, c’est d’autant plus intense.

Cela m’intéresse. Est-ce que, vraiment, ta timidité a disparu au fur et à mesure que tu te rendais compte que tu étais créateur et que l’harmonie était possible, qu’elle existait, que tu pouvais la créer, que tu la transportais avec toi ? Où est-ce qu’elle n’a pas disparu, malgré ça.

 

Alain F. : En fait, cela m’arrive de dire que je suis timide. Mais quand on m’a entendu parler en public, on se dit « mais, qu’est-ce qu’il raconte ? Il n’est pas timide du tout ! ». Non, je crois que ma timidité est toujours là. Je la contourne. Je la gère comme une part d’ombre bien amicale. Que je connais bien.

 

Frank H. : Mais bien sûr, quand tu es sur la scène, c’est toi le « créateur d’univers ». Tu n’es plus Alain. Tu es la source. Qui accomplit ce qu’elle a à accomplir. Et qui n’a aucun besoin de reconnaissance puisque tu n’es plus Alain. Je vais te dire : c’est exactement la même chose pour moi.

 

Alain F. : Mais, je sais par exemple que si je suis dans une situation, même très triviale, par exemple je suis à une table. Je ne vais pas forcément oser appeler la personne qui fait le service pour lui demander quelque chose. Alors que mon compagnon, ou ma compagne du moment sera capable de le faire tout naturellement. On a besoin d’un truc, on le demande. J’ai besoin d’un truc, je vais hésiter à le demander, ou j’y mettrai des formes. Je ne sais pas si c’est une inhibition ou au contraire, en moi, le reflet d’une nécessité justement d’arrondir harmonieusement la relation. Je ne sais pas comment, c’est comme si j’avais envie que la relation soit parfaite tout de suite immédiatement.

 

Frank H. : Parce que tu es dans la position d’Alain et que le créateur c’est l’autre. Tu demandes au lieu de donner. En fait, tu sais que si tu n’es pas celui qui donne, qui crée, alors l’harmonie est menacée. Tu deviens victime de l’univers. Tu n’es pas dans ton bon droit parce que ta vraie nature c’est d’être le Créateur. Il est normal qu’Alain n’ait pas confiance suffisamment en sa capacité à créer l’harmonie, puisque ce n’est pas lui qui la crée. En fait cette timidité est liée à cette sensibilité, à cette empathie, tu en avais l’intuition : quand on est en unité, en sensibilité avec le Tout, avec chacun, on est le Soi. Pas l’ego. Te retrouver dans la posture de l’enfant qui demande la béquée te coupe immédiatement de ta vérité et de ton pouvoir créateur.

Mais l’incarnation dans un ego exige de faire confiance à la Source dont on se coupe. S’incarner c’est se mettre en danger : le danger de la dysharmonie. Du conflit. De la frustration.

C’est un apprentissage pour mettre le Soi dans la matière : à quoi servirait l’harmonie sans la séparation ?

 

La confiance en « Dieu », la confiance en soi, c’est la même chose.

 

Mais comme la vie est un processus discontinu, où on n’est jamais complètement le Soi, et jamais uniquement l’ego, on peut avoir beaucoup de confiance en soi pour un truc et pas pour un autre. La timidité ce n’est pas tout un bloc, c’est des compartiments.

 

Tu disais que c’était une part d’ombre, pour toi la timidité c’est une part d’ombre ?

 

Alain F. : Oui dans le sens où elle représente un côté caché.

 

Frank H. : Caché ?

 

Alain F. : Caché, dans le sens où je n’en comprends pas tous les mécanismes.

 

Frank H. : Ah, c’est pour ça que c’est de l’ombre. Ce n’est pas parce que c’est du mauvais côté de la Force, du côté obscur de la Force ?

 

Alain F. : Non, je n’ai pas de bon ou de mauvais côté de la Force, je prends tout. Je pourrais dire « il y a ce qui est conscient et ce qui est inconscient ». C’est un peu simpliste.

 

Frank H. : Quand tu vois la timidité chez les autres, qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce que tu observes ? Qu’est-ce que cela te dit ? Tu vois différentes façons d’être timide ? Tu vois des choses qui te ressemblent ?

 

Alain F. : Je vois une sensibilité. Je ressens la sensibilité.

 

Frank H. : Mais encore, c’est la peur de souffrir ?

 

Alain F. : Non, non ! C’est comme s’il y avait un décalage. C’est comme si quelqu’un de timide avait un monde intérieur riche et qu’il cherche à le protéger d’un monde extérieur vécu comme agressif. Donc, quelque chose que l’on ne peut pas partager facilement. La preuve en est que, dans le cas où il n’y a pas de blocage de relation et que la timidité n’a pas besoin de se manifester, il peut y avoir une vraie complicité, et le tempérament peut devenir très joyeux, très exubérant, très rayonnant, très lumineux.

 

Frank H. : En fait,  c’est retrouver les gens de sa planète.

 

Alain F. : Oui, peut-être.

 

Frank H. : Je n’avais jamais vu la timidité sous cet angle là. Je comprends que cela puisse exister.

 

Alain F. : Le chemin de guérison peut passer par l’intérieur du moment que tu rejoins le néant. C’est-à-dire que si tu es dans un état de complétude dans le présent, pleinement, et que ton identité individuelle s’élargit, à horizon plus large, et que tu sors de la dualité de la relation pour rentrer dans la relation dans son unicité, bien sûr la timidité n’a plus lieu d’être.

 

Frank H. : Il y a des chances, d’autant il n’y a plus de planète. Il n’y a plus de différence entre les gens.

 

Alain F. : Exactement !

 

Frank H. : Plus on monte de niveaux, plus c’est collectif, moins on est sensible à cette différence.

Je connais des gens qui ne sont pas du tout timides. Et cela semble tout à fait lié au fait qu’ils sont très caméléons. On dirait que, quelle que soit la personne qui est en face d’eux, c’est eux. Et ils vont faire ressentir à l’autre qu’ils sont eux. Ils sont identiques. Et c’est quasiment immédiat. Et ça, c’est un signe de renoncement à l’ego que, quelque part, je trouve fort. C’est un détachement de l’ego, car bien souvent la timidité vient de l’ego, même de l’orgueil ; du fait de ne pas vouloir se livrer, ou la peur d’être jugé, la peur de ne pas obtenir ce qu’on veut, finalement la honte de ne pas être parfait, sans besoin, créateur de tout. Être timide c’est une façon de se préserver en disant « je ne prends pas le risque, je ne m’exprime pas, comme ça, je ne manifeste pas de limites, je suis tranquille comme si j’étais infini, Dieu sur mon piédestal ». Cela existe ça. Mais ça veut dire beaucoup d’ego et beaucoup de solitude, au nom d’une intuition hautement spirituelle.

 

Alain F. : Oui, oui.

 

Frank H. : Ce n’est pas ton style, cela ne résonne pas ça ?

 

Alain F. : Je pense que s’il n’y avait pas l’ego, je ne pourrais pas avoir de manifestation de timidité, ça c’est clair. En revanche, c’est comme si au creux de cette timidité, il y avait un trésor caché à découvrir, une espèce d’alchimie, de conversion, de plomb à transformer en or. Comme si, si je regardais les choses de manière différente par l’autre bout, si je faisais le tour du sujet et que je regardais de l’autre côté, je trouverais une force créatrice considérable. Comme si l’énergie mise en oeuvre par ce mécanisme là, si elle était déployée dans sa splendeur serait un magnifique cadeau, un outil.

 

Frank H. : Pour les autres ou pour toi ?

 

Alain F. : Globalement. Pour nous, en terme d’harmonisation. Peut-être une forme particulière d’amour. Je ne sais pas qu’elle est la manière de l’exprimer. Peut-être une forme de prévenance. Parce que la timidité est peut-être aussi pour moi une forme de frontière. Avec la puissance que je suis capable de dégager, le fait d’être timide me permet d’éviter d’écraser la personne que je rencontre, en me pointant avec un ego gigantesque. « Pousse-toi de là, c’est moi que v’la ».

 

Frank H. : Oui, le trésor n’est pas donné à tout le monde. Tout le monde n’a pas accès au trésor. Et, il ne faut pas grand-chose pour y avoir accès, mais il y a une clé. Qu’est-ce qui se passerait si tout le monde y avait accès ?

 

Alain F. : Une grande explosion de joie.

 

Frank H. : Ah oui ? Tu es sûr ?

 

Alain F. : Pourquoi je dis cela ? Parce que, quel que soit le chemin que l’on prend dans cette direction-là, cela se termine toujours par une grande explosion de joie.

 

Frank H. : C’est pratique. Mais je ne suis pas sûr que l’ego ait envie de fusion autant qu’il le prétend. Ouvrir son cœur c’est s’apercevoir que tout le monde a le même cœur, et quelque part, le timide, c’est celui qui sait très bien que si on perce son mystère, ses besoins, il n’existe plus personnellement.

 

Alain F. : C’est ça l’explosion de joie : quand on est un avec tous les voyageurs du train.