Voici un extrait du livre qui est venu à ma rencontre il y a quelques jours, Le Testament des Trois Marie, de Daniel Meurois. Ce passage, qui relate l’expérience de Marie Jacobée lors de la Crucifixion, m’a bouleversé. Il est si Vrai, si Beau… Au-delà du contexte historique et de sa vérité qui m’est bien égale, c’est le message de l’Unité qui a retenu mon attention et qui me rappelle ce que nous vivons aujourd’hui…
« (…) Lorsque j’ai appris que le Maître avait été condamné au gibet, je n’ai pas vraiment réagi sur le moment. Quelque chose en moi devait le savoir et s’y était préparé. Je m’étais réveillée avec le sentiment d’une sorte de fatalité et puis…il y avait eu ces mots qu’Il avait glissés dans mon rêve et que je me répétais obsessionnellement : « …Sois heureuse de tout ce qui vient. »
« Même de ta mort ? » me suis-je exclamée dans un dialogue imaginaire avec Lui tandis que je marchais au hasard d’une ruelle. Rien ni personne ne m’avait répondu. Contrairement aux mille questionnements et au vacarme intérieur qui auraient dû m’habiter, un étrange silence régnait même dans ma tête.
Comme vous (elle s’adresse à Marie Salomé et Myriam de Magdala), le matin de sa mise à mort, les soldats m’ont laissée me faufiler jusqu’au coin de caillasse où tout allait se passer. Je leur ai annoncé que j’étais de sa famille et ils m’ont crue sans rien me demander de plus.
Si j’ai besoin d’évoquer avec vous ces heures épouvantables, c’est seulement parce qu’il s’y est passé pour moi quelque chose d’incroyable, quelque chose dont je n’ai singulièrement jamais parlé à qui que ce soit, pas même à toi, Salomé, avec qui je viens pourtant de passer tant d’années…
Lorsque j’ai senti le Maître monter au bout du sentier avec son bois sur les épaules et encadré de soldats la lance au poing, je me suis préparée à chercher ses yeux pour Lui crier tout mon amour… Mais quand son visage m’est apparu puis sa silhouette tout entière avec sa robe déchirée, je suis entrée dans un état…qu’il est bien difficile de décrire.
Tout d’abord, ce n’est pas vraiment Lui que j’ai vu. Je veux dire pas sa personne avec les traits que nous lui connaissions. A sa place, je ne distinguais qu’une immense silhouette qui s’étirait vers le haut en une brume de Lumière immaculée… Ce n’est pourtant pas de cela dont je veux vous parler car la vision en a été fugace.
Ce qui m’a particulièrement saisie et dont je me souviens avec tant de précision, c’est que mon attention s’est aussitôt élargie à tous ceux qui se trouvaient là. L’idée que je les connaissais tous, absolument tous, s’est imposée à moi avec une force troublante. C’était d’ailleurs bien plus qu’une idée…une certitude, celle qu’ils appartenaient à une famille d’âmes à laquelle j’étais moi-même intimement et viscéralement liée. Il y en avait qui priaient, bien sûr, qui pleuraient, d’autres qui étaient figés, le regard hébété mais il y en avait aussi qui grimaçaient, qui hurlaient, qui insultaient… Eux également, malgré tout, étaient de ma parenté, je le savais comme un fait indubitable, sans même en avoir honte et sans les maudire non plus pour leur triste rôle en cet instant. C’est cela…
En fait, je les voyais, je nous voyais tous jouer un rôle dont chaque parole, chaque détail, chaque élan du cœur et jusqu’à chaque simagrée était écrit depuis toujours. Chacun tenait sa place et fusionnait avec l’autre sans s’en apercevoir. Nous ne formions qu’un seul être qui s’était démultiplié.
Le plus fulgurant aussi, voyez-vous, c’est que cette certitude s’est très vite étendue dans ma conscience à tout Jérusalem puis au pays dans son entier… Je ne pouvais pas aller plus loin…je ne savais comment l’imaginer. Oui, mes amies…et cette sensation de parenté, de profonde Unité a fait monter en moi une telle vague de compassion que j’ai éclaté en sanglots. Une vieille femme que je ne connaissais pas m’a alors prise dans ses bras, persuadée que c’était la vue du Maître ainsi maltraité qui me détruisait. Mais non…inexplicablement ce n’était pas cela. Je découvrais pour la toute première fois la compassion, la vraie compassion, celle qu’Il avait toujours cherché à faire naître en nous.
Ainsi, ce n’était aucunement des torrents de larmes de douleur qui s’écoulaient de mes yeux; mes larmes criaient à leur façon le contraire de la souffrance; elles parlaient de l’incroyable Félicité que je découvrais soudainement là…au comble de l’horreur.
Oh, comme il était stupéfiant et merveilleusement beau ce sentiment de ne plus faire qu’ UN avec l’humanité tout entière ! Pourquoi ne l’avais-je pas éprouvé auparavant ? Je n’avais donc pas su ce que c’était que Vivre !
J’avoue que je n’ai même pas vu le Maître s’allonger sur le sol afin qu’on le cloue sur le bois. J’en ai été protégée par la façon dont le regard de mon cœur embrassait tous ceux qui étaient là. Était-ce Lui qui l’avait voulu ainsi dans un ultime cadeau d’éveil proposé à mon âme ? J’avais la sensation de pouvoir entrer dans l’histoire de chacun, d’être invitée à toucher au-dedans ses peines et ses joies, ses chutes, ses peurs et ses bonheurs à travers le temps, de vie en vie… Oui, le temps lui-même ne me semblait plus être un obstacle, je voyais au-delà de son principe parce qu’il n’avait pas de consistance. Était-ce lui, ce complice de l’oubli, qui nous rendait aveugles jusqu’à ne plus distinguer la trame du grand Jeu qui nous reliait tous ?
Je me souviens du cri rauque poussé par le Maître au premier clou que l’on enfonça dans sa chair. Il a dispersé cette sorte de compréhension dorée qui m’avait enveloppée à la manière d’un voile protecteur. Sur l’instant, j’ai sursauté et je n’ai pas cru ce qui se passait. C’était trop invraisemblable, trop horrible, trop en décalage avec ce que je venais de vivre.(…) »
extrait du Testament des Trois Marie, de Daniel Meurois, ed le Passe-Monde
Le Livre de Jacobée, chapitre IV, pages 105 à 108