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Alors que je patientais, durant la révision de ma voiture, je me décidai d’aller faire un tour en ville. Une petite ville tranquille, aux trottoirs bien plus remplis d’automobiles stationnées que de passants.

Je ne sais pas pourquoi l’envie me prit de rentrer dans le cimetière, qui devait, autrefois, se situer bien en dehors de la civilisation.

Alors que je me promenais dans le calme des allées, j’ai vu arriver un papy très âgé, portant un pot de fleurs en plastique vert, rempli de pensées épanouies. Il s’est arrêté devant une tombe et s’est mis à parler : « J’espère qu’elles vont te plaire », disait-il à voix haute. « J’ai pensé que cela te ferait plaisir », a-t-il ajouté.

Mon cœur a bondi devant tant de tendresse, tant de douceur, d’Amour, oserai-je dire. Et cela m’a ramené à la vie, si fragile, si instable, si utopique, si béante lorsqu’elle ape ceux qui s’y amusaient encore, il y a peu.

Sans doute que ce papy est retourné chez lui, dans sa maison vide, devenue si grande qu’elle est un fardeau de plus à assumer tout seul.

J’ai de nouveau réalisé combien nous sommes fragiles devant les épreuves/expériences, et surtout combien la vie ne tient qu’à ce fil, si ténu et instable, si incertain et capricieux.

Mon cœur était encore empreint de cette rencontre fortuite, que j’imaginais ce qu’était sa vie, faite de longs silences, de gestes maintes fois répétés, mais dans la solitude et peut-être l’attente de son propre départ.

Et dire que nous ne pensons même pas à toutes ces expériences qui se jouent et s’entremêlent, bien loin de notre propre vie ! Elles ne défrayent pas la chronique, ne passent pas aux journaux télévisés, ne font pas la une des médias, et pourtant. Ne sont-elles pas ces circonstances qui facettent notre propre destinée ? N’est-ce pas ceci le plus important, qui marquera à jamais notre future existence ? Comme l’arrivée d’un nouveau né, ou l’envol d’un être que l’on a aimé presque toute une vie.

Toujours dans mes pensées, j’ai repris la route du retour, et comme un fait exprès, je suis passée devant une autre scène de la vie.

Un homme, très âgé, chancelant et courbé, s’appuyait sur la portière arrière d’une ambulance et, visiblement, se penchait pour embrasser son épouse, déjà allongée sur le brancard, prête à partir. Pourquoi encore une représentation aussi déchirante, que d’autres pourraient qualifier de routinière ? Pourquoi encore un homme qui laissait s’en aller son épouse ?

Je vous avoue que je n’ai pas trouvé la réponse, mais que j’ai repensé à la fragilité de la vie, à l’impermanence des choses, à la relativité de tout ce que l’on pense d’acquis ou de durable.

Bien sûr, nous ne sommes que de passage mais, justement, qu’allons-nous laisser derrière nous ? De vagues souvenirs à ceux qui nous ont croisés ? Des moments fabuleux ou terribles avec ceux qui ont partagé nos vies, nos habitudes, nos espoirs, nos défaites, nos ratés, comme nos triomphes ? Pourtant, avant de faire le constat de cette aventure, n’est-il pas plus judicieux de regarder à nouveau ce qui est sous nos pieds, ce que nos yeux regardent, ce que nos sens écoutent, ce que la Vie nous rappelle ?

N’est-ce pas aussi une époque propice à faire le bilan et d’observer où nous en sommes ? Qu’ai-je vécu de merveilleux ou de difficile, cette année ? Comment puis-je arranger ce qui ne me plait pas ou laisser partir ceux qui ne veulent plus se distraire avec moi ? Et si, c’est mon choix, de laisser cette cour d’école de la Vie aux autres, que vais-je léguer à ceux qui désirent y rester encore un peu ?

Tant de questionnements qui me ramènent au plus important : ai-je assez aimé ?

Ai-je assez aimé et remercié tous ceux et celles qui ont si bien joué avec moi, depuis mon enfance insouciante jusqu’à maintenant ? Si je veux être honnête, je vais me rendre compte que j’ai du faire du tort à certains, trop vouloir offrir à d’autres, me laisser influencer par la manière de vivre de quelques-uns, et emboiter le pas de bons penseurs, aussi.

Une chose reste ancrée au plus profond de mon cœur : j’aime la Vie ! Je l’aime éperdument, je la chérie, je la remercie car c’est elle qui m’a offert un terrain de récréation aussi fabuleux, où j’ai pu inviter des tas de soldats de plomb qui se sont transformés en veilleurs de lumière. J’ai croisé des milliers de moi-même et j’en ai reconnu quelques-uns. Pourtant, même s’il me semble avoir encore des tas et des tas de beautés à contempler, je pourrai aussi m’endormir maintenant et tirer ma révérence. Nul regret de ne pas en avoir assez fait, ni même d’avoir négligé d’être plus Moi-même. Nul regret de ne pas avoir été à la hauteur de ce que j’avais prévu, car je sais que j’ai fait de mon mieux. Alors, s’il me reste encore quelques pages à tourner dans le livre de ma Vie, je veux les choisir, les humer, les aimer, les réaliser, les vivre, les réécrire si besoin, mais je veux être à l’intérieur de Moi, et à la fois dans tout ce qui m’entoure. Je désire faire « un » avec ce chapiteau de l’expérience terrestre et m’enivrer de sa Beauté. Puisque, en définitive, je sais qu’au plus profond de moi, je n’ai jamais cessé d’aimer la Vie, la Création, le Néant, l’Absolu, le Tout, puisque c’est moi qui l’ai dessiné en votre compagnie.

A l’image de ces personnages, que j’ai croisés aujourd’hui, je remets l’Amour à sa place, dans mon cœur, et invite la Tendresse à en prendre grand soin. La vie est un leurre, mais lorsqu’elle endort nos amours, nos amis, nos frères, une partie de nous s’envole à jamais …

Tout est si précieux, volatile, subtil, à l’image de l’Amour, porté par la tendresse de ce Que nous sommes.

Et si, demain, je m’endormais à moi-même …