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par Amélie Daoust-BoisvertJournal le Devoir

La mammographie est inutile : elle ne prévient pas de décès par cancer du sein. C’est du moins l’opinion tranchée du Dr Anthony Miller, qui a publié mardi dans le British Medical Journal une vaste étude de suivi sur 25 ans auprès de presque 100 000 Canadiennes. Mais avant de reléguer la « mammo » aux oubliettes, le spécialiste du cancer du sein André Robidoux en appelle à la prudence. Il souhaite que l’efficacité spécifique du programme québécois pour prévenir la mortalité soit évaluée.

« Il faut revoir les programmes de dépistage par mammographie », urge l’épidémiologiste Anthony Miller à la lumière de ces résultats. En entrevue depuis Helsinki où il participe à un congrès, le professeur émérite à l’Université de Toronto avoue que les femmes et de nombreux médecins risquent d’être ébranlés par ses conclusions : « Ma vision risque de ne pas être très populaire, mais l’auto-examen des seins accompagné d’un examen clinique des seins par le médecin devraient être utilisés. »

En 1980, près de 100 000 Canadiennes de 40 à 59 ans, dont des Québécoises, ont été recrutées. La moitié s’est soumise à une mammographie annuelle pendant cinq ans, en plus d’un examen physique des seins. L’autre moitié n’a eu que l’examen physique (groupe contrôle).

De 1980 à 1985, on a trouvé un cancer chez 666 femmes du groupe « mammo » et 180 en sont mortes avant 2005, contre 524 diagnostics et 171 décès pour le groupe contrôle.

Les chercheurs ont continué à suivre l’état de santé des participantes. Jusqu’en 2005, 3250 femmes du groupe « mammo » et 3133 du groupe contrôle ont eu un cancer du sein. Dans les deux groupes, elles sont 500 et 505 respectivement à en être décédées.

Les taux de mortalité sont donc identiques, mammo ou pas. Le Dr Miller soutient par ailleurs que 106 diagnostics de cancer supplémentaires dans le groupe « mammo » constituaient du surdiagnostic. C’est-à-dire que des femmes auraient pu vivre sans connaître l’existence de cancers peu agressifs. À la place, elles ont subi de lourds traitements.

Même si son étude ne se penche pas sur les femmes de 60 à 69 ans, le Dr Miller estime que dans leur cas aussi la mammographie comporte plus de désavantages que d’avantages.

Il croit que le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisation mondiale de la santé, pourrait procéder à une évaluation plus tard cette année à la lumière de ces nouvelles données.

Dépistage nécessaire, mais comment?

Le Dr Miller croit toujours que les cancers du sein devraient être détectés avant d’atteindre la taille de 2 cm, mais sans la mammographie.

On souligne rarement que les radiations émises lors de la mammographie peuvent induire un cancer. C’est pourquoi, pour que le dépistage soit considéré comme bénéfique, il doit permettre de prévenir plus de décès qu’il n’en cause.

Au Québec, le programme de dépistage du cancer du sein invite les femmes de 50 à 69 ans à se soumettre à une mammographie tous les deux ans.

Dans sa plus récente recommandation clinique (2009), l’Institut d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) concluait que de 40 à 49 ans, les effets nuisibles l’emportent. Mais chez les 50 à 69 ans, les bénéfices surpassent les risques.

De la dizaine d’études sur le sujet qui ont été publiées dans le monde, l’étude du Dr Miller est la seule qui ait comparé la mammographie à l’examen clinique. Les autres études comparaient plutôt la mammographie à l’absence de dépistage, concluant que la première était bénéfique.

Mais si un examen physique, beaucoup moins lourd et invasif pour les femmes, était aussi efficace ? Le doute plane.

Selon le Dr André Robidoux, un chirurgien et chercheur spécialiste du cancer du sein qui oeuvre au CHUM, avant de reléguer la mammographie aux oubliettes, il est impératif d’étudier spécifiquement le programme de dépistage québécois. « Depuis 1998, on ne sait même pas quelle a été la survie relative des femmes qui ont participé, déplore-t-il. L’étude du Dr Miller nous fournit des données importantes, mais est-ce qu’on arrête le dépistage sans même avoir de données sur notre propre programme ? »

Le Dr Robidoux s’inquiète aussi du surdiagnostic et de son impact sur la qualité de vie des femmes. Mais même s’il reconnaît la valeur de l’étude du Dr Miller, il en appelle à la prudence.Il conseille aux femmes de continuer à se soumettre à la mammographie de 50 à 69 ans.

En éditorial dans le British Medical Journal, des chercheurs appuient le Dr Miller. Le surdiagnostic concernerait de 22 % à 54 % des cancers détectés par mammographie, déplorent-ils. « La nécessité de procéder au dépistage par mammographie doit être réévaluée, écrivent-ils. Mais ça ne sera pas une mince tâche puisque les gouvernements, les fonds de recherche, les scientifiques et les médecins peuvent avoir intérêt à poursuivre une pratique qui est bien établie. »

Source: http://www.ledevoir.com/