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Par Bernadette Arnaud – numéro 791 de Sciences et Avenir

Ce document très controversé serait bien ancien et non un faux fabriqué récemment conclut une analyse scientifique.
Le papyrus présenté le 19 septembre 2012 par Karen L. King, professeur d’histoire à Havard (c) Afp Le papyrus présenté le 19 septembre 2012 par Karen L. King, professeur d’histoire à Havard (c) Afp
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DA VINCI CODE. « Jésus leur a dit, ma femme ». Puis, un peu plus loin « Elle pourra être ma disciple ». Lorsque le 18 septembre 2012, Karen L. King, une historienne américaine du Harvard Divinity Institute de Cambridge (Etats-Unis), lit pour la première fois ces quelques mots inscrits sur un fragment de papyrus de 3,8 sur 7,6 cm, un lourd silence s’abat sur assemblée.

Dans l’enceinte du très honorable Augustinianum Institutum Patristicum, un centre de recherche de la faculté de théologie de l’Université pontificale du Latran à Rome, les 300 érudits venus assister au 10e Congrès international d’études coptes sont littéralement médusés. Jusqu’alors, aucun texte antique reconnu par l’Eglise n’indiquait que Jésus ait pu avoir une « femme » (« himé »).
Le Vatican conteste l’authenticité du document

Soudain, les pires heures de l’affaire « Da Vinci Code », le best-seller de Dan Brown vendu à plus de 80 millions d’exemplaires dans le monde, qui « révélait » que Jésus aurait eu un enfant de Marie-Madeleine, semble se reproduire !

L’annonce fait l’effet d’un coup de tonnerre. Dix jours plus tard, le Vatican réplique via les pages du quotidien officiel L’Osservatore romano, et conteste l’authenticité du papyrus, s’appuyant sur l’origine pour le moins opaque du document. À ce moment là, on ne savait en effet rien sur l’époque et les circonstances de la découverte de ce fragment, sorti de nulle part, ni sur la façon dont il a pu transiter des sables de l’Égypte vers les États-Unis où il se trouve conservé aujourd’hui.

Seule information officielle livrée : il appartiendrait à un collectionneur vivant sur le sol américain, lequel exigerait l’anonymat absolu, et aurait été « acquis en 1999, dans un lot de papyrus acheté à un Allemand, H. U. Laukamp », selon les précisions que nous a apportées Karen L. King elle-même.
Un collectionneur mystérieux

De plus, le Vatican attaque également le document sur la forme des caractères et des lettres qui contiendraient nombre « d’erreurs grammaticales ». Une thèse que soutient encore actuellement l’égyptologue Leo Depuydt, de l’Université Brown aux États-Unis. Selon lui, « les erreurs grammaticales grossières » dans ce texte et le fait que l’écriture des mots à l’exception de « la femme de Jésus » soit identique à celle de l’évangile de Thomas, un texte ancien découvert en 1945, « ne peuvent pas être une coïncidence », insiste l’égyptologue qui juge « suspect » que le propriétaire de ce papyrus reste anonyme.

Répliquant dans les colonnes du New York Times et du Boston Globe aux violentes critiques suscitées par leur annonce, la chercheuse américaine et sa collègue Anne-Marie Luijendjik, de l’université de Princeton, autre spécialiste du christianisme primitif impliquée dans l’étude, ont aussitôt répondu aux attaques remettant en cause l’authenticité du document. Pour elles, ce fragment, sans doute la copie copte d’un écrit grec plus ancien, est en effet en tout point similaire aux nombreux autres papyrus qu’elles étudient à longueur d’années.
Des historiens contre-attaquent

Ce que confirment à l’époque deux spécialistes de renommée internationale qui ont attesté l’étude avant publication : le célèbre papyrologue américain Roger Bagnall, directeur de l’Institut d’étude de l’ancien monde (ISAW) à l’université de New York, et l’Israélien Ariel Shisha-Halevy, expert en linguistique copte à l’Université hébraïque de Jérusalem. Pour ces experts reconnus, pas de doute : qu’il s’agisse des signes employés, de la qualité du papyrus ou de l’absorption de l’encre étudiée en analyses infrarouges, tout indique que le document n’est pas un faux.

De même, l’étude approfondie du papyrus a révélé qu’il faisait partie d’un codex, un recueil de textes issu d’une superposition de feuilles pliées au centre ou insérées l’une dans l’autre formant des cahiers d’épaisseur variable. Quant à la rédaction du texte en copte sahidique, elle apporte elle aussi un gage d’authenticité.
Une langue aux multiples facettes

« La langue copte n’était pas écrite de la même façon au sud et au nord de l’Egypte, explique en effet Jean-Pierre Mahé, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, un des plus éminents spécialistes du christianisme primitif. En Haute Egypte, les textes étaient rédigés en akhmimique, puis en remontant vers le nord, on rencontrait le sahidique, du côté de l’ancienne Thébes, ainsi que le fayoumique, dans l’oasis du Fayoum, jusqu’au boahïrique, le dialecte parlé dans le delta du Nil et qui est utilisé aujourd’hui par tous les Coptes d’Egypte. » Les dialectes akhmimique et sahidique étant les plus anciens connus à ce jour.

Et cette nouvelle étude publiée jeudi 10 avril apporte de l’eau à leur moulin. « Toutes ces analyses et le contexte historique indiquent que ce papyrus est presque certainement le produit des chrétiens anciens et non un faux d’aujourd’hui », conclut l’étude dans publiée dans la revue « Harvard Theological Review ».
Une datation de l’encre

Ce document a été soumis à différentes techniques de datation dont la spectroscopie pour l’encre et le radio carbone pour le papyrus par des scientifiques à l’Université de Columbia, de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology. « Ces experts ont conclu que la composition chimique du papyrus et son oxydation correspondent à des vieux papyrus, comme celui de l’évangile de Saint Jean », précise l’étude qui date son origine entre le VIe et le IXe siècle.

Une datation au carbone 14 était en revanche impossible à réaliser en raison du prélèvement qu’il aurait fallu réaliser sur cet unicum (exemplaire unique).

Karen King relève que ce document ne prouve pas que Jésus était marié au sens où, nous l’entendons aujourd’hui. Selon elle « ce texte souligne seulement que les femmes, mères et épouses, pouvaient aussi être des disciples de Jésus, un sujet qui faisait l’objet d’un débat passionné au début de la chrétienté ».
Il est fort rare qu’un texte signifie exactement ce qu’il dit littéralement

Une idée qui n’est d’ailleurs pas aussi incongrue que les réactions virulentes, en particulier aux Etats-Unis, pourraient le laisser penser. Du moins chez les spécialistes des textes apocryphes habitués aux subtilités et complexités de ces écrits primitifs. Jean-Pierre Mahé rappelle ainsi que leur interprétation nécessite toujours une remise en contexte pour bien en comprendre la portée :

« Il est fort rare qu’un texte signifie exactement ce qu’il dit littéralement. Ainsi, si tant est que ce papyrus dit la femme de Jésus soit authentique, il peut témoigner de la pensée du courant gnostique de la seconde moitié du IIe siècle : certains adeptes ont voulu établir l’hypothèse que Jésus avait une compagne spirituelle. On retrouve d’ailleurs cette idée dans un autre évangile gnostique, l’Evangile de Marie, dont il existe plusieurs fragments publiés : Marie y est incontestablement présentée elle aussi comme une sorte de conjointe spirituelle du Christ », insiste le spécialiste.
Toute allusion charnelle constitue une grave erreur d’interprétation.

« On pourrait interpréter ce terme au sens d’une moitié d’âme, complète Madeleine Scopello, spécialiste d’histoire religieuse de la fin de l’Antiquité au CNRS. Marie de Magdala (Marie-Madeleine), c’est d’elle qu’il s’agit, jouait ce rôle. » Le systéme gnostique connaissait en effet la notion grecque du suzugos, le partenaire, le double. « Dans le monde supérieur imaginé par les gnostiques, les entités fonctionnaient en couple mâle-femelle. Une notion que l’on retrouve aussi dans la kabbale, cette tradition ésotérique du judaïsme », précise la spécialiste, pour qui toute allusion charnelle constitue une grave erreur d’interprétation.

Si chez les adeptes de la gnose, Jésus a pu être imaginé accompagné d’une épouse, c’est que les femmes ont joué un grand rôle dés les premières heures du christianisme. Dans le cercle de ses disciples, Jésus confiait sa parole autant aux femmes qu’aux hommes. Un rôle que l’Eglise restreindra peu peu.

Toutefois, ces conclusions sur l’authenticité du document laissent encore certains historiens sceptiques. Notamment Leo Depuydt. Ce dernier a expliqué à l’AFP qu’il est facile de se procurer des feuilles de papyrus ancien sur le marché. En outre, selon lui les analyses de l’encre ne prouvent pas la datation mais seulement que la composition est similaire à l’encre ancienne. Or il est facile de la fabriquer avec de la suie de bougie et de l’huile, souligne-t-il.

Cet article a été mis à jour à partir d’un texte publié en janvier 2013 dans le numéro 791 de Sciences et Avenir consacré à la découverte de ce papyrus.
Pour vous le procurer, adressez un chèque de 7 euros (frais de port inclus) à l’ordre de « Sciences et Avenir », à la rédaction.
Sciences et Avenir, 33 rue Vivienne, 75002 Paris

Source: http://www.sciencesetavenir.fr/