Tant que le regard d’autrui porté sur soi-même compte plus que son propre regard, c’est étonnant de constater le nombre d’aberrations déformantes auxquelles on peut se soumettre et combien de temps on joue au jeu des concessions ou de l’émulation qui rapetissent et ratatinent son être. Il est aussi incroyable de constater le nombre de réalités que l’on prend pour un dû, de la part d’autrui, alors que, quoiqu’un autre ait pu faire à son endroit, nul ne doit quoi que ce soit à qui que ce soit.
On peut s’en rendre compte notamment au moment des grandes célébrations de l’année comme Pâques, Noël, le Jour de l’an, l’Action de grâces ou, mieux, lors de moments personnellement importants comme son anniversaire de naissance, la fête de son saint patron (pour ceux qui ont fait le choix de se fêter deux fois dans l’année), la commémoration de ses fiançailles ou de son mariage. Qui n’aime pas se rappeler les moments les plus heureux qu’il a vécus et s’associer alors des gens avec lesquels il partage des affinités, il se trouve des atomes crochus ?
Mais voilà que, si cela se démontre impossible, c’est la catastrophe : se retrouvant seul, se croyant moins aimé, on sombre dans l’amertume, on se désole, on boude, on fait du chichi, on se tourmente intérieurement. On se sent rejeté, on se perçoit comme diminué, on croit détenir auprès d’autrui moins d’importance qu’on ne croyait en détenir. Alors, on se rapetisse, on se roule en pelote, on ratatine comme peau de chagrin.
Mais, puisque chacun suit la ligne de son destin, pourquoi attendre des autres ce qui fait son bonheur ? Pourquoi ne pas se l’accorder soi-même et adjoindre à son vécu ceux que l’on peut? Et si personne ne veut s’y associer à ses choix, pourquoi ne pas les vivre seul? Car si on apprend à se choisir, à s’aimer, à bien s’évaluer, à s’accorder la première place, il finira bien par se passer quelque chose? Un être n’attire-t-il pas selon ce qu’il devient et sait avoir droit?
Laissez-moi vous dire que je connais quelqu’un, que je n’ai probablement pas à nommer, qui a longtemps vécu dans ce mode d’attente. Lors des grands moments fériés de l’année, parce qu’il était célibataire et qu’il en avait les moyens, année après année, cet être organisait des réjouissances dans le plus grand oubli de lui-même. Même qu’il trouvait son bonheur dans le plaisir et la joie qu’il parvenait à accorder aux autres, recueillant alors dans son entourage les esseulés, les mal compris, les rejetés, les laissés pour compte. Il croyait égoïste de prendre du bonheur pour lui-même.
Mais, au fil des ans, comme on dit, ces gens se sont casés, ayant trouvé ailleurs d’autres centres d’intérêt, et ils le désertèrent les uns après les autres. Le destin avait naturellement écartés les uns ; d’autres s’étaient simplement mariés ou vivaient en couple ; d’autres avaient déménagé au loin ; d’autres ne possédaient pas de moyen de locomotion pour se rendre chez-lui ; d’autres travaillaient à ces moments précis, incapables d’obtenir un congé ; d’autres s’étaient réconciliés avec les autres membres de leur famille et les rejoignaient lors des diverses célébrations familiales ; d’autres étaient passés dans l’Autre Monde ; et, à part les trahisons, quoi encore ! Quand on avance en âge, il devient de plus en plus difficile de nouer de nouvelles relations d’amitié. Alors, en ces moments solennels ou exceptionnels, toutes ses connaissances se retrouvaient ailleurs.
C‘est ainsi que, un soir de Noël, alors que, comme d’habitude, il avait dressé la table pour un bon nombre d’invités, il se retrouva complètement seul devant son festin, au milieu des décorations, sans avoir reçu le moindre avis de désistement de ses invités habituels dont il ne reçut, du reste, de nouvelles que plusieurs jours plus tard. À cause d’un déménagement, il en fut de même au Jour de l’an, puis à Pâques, puis le jour de son anniversaire. Et, n’ayant pas compris le message, le tout se reproduisit l’année suivante : il se retrouva seul comme un paria.
Au plus profond de sa tristesse, il se rappela soudain une lecture, le passage d’un livre de motivation. Il y était dit que, lors des moments qui comptent pour soi, au lieu d’attendre d’être célébré, on gagnait à se célébrer soi-même, ce qui évitait de se retrouver seul, tout en assurant de se célébrer à sa manière. Et qu’au lieu d’attendre des cadeaux, pour éviter toute frustration, on gagnait à s’en offrir soi-même. Ainsi, en l’occurrence, devenait, comme surplus, motif d’un plus grand bonheur, toute personne qui choisissait de participer physiquement à sa manière de célébrer ou tout cadeau que les membres informés de son entourage décidaient de lui offrir.
Dût-il se retrouver seul au lieu qu’il avait choisi de faire la fête, c’est la manière, dont notre homme décida de faire son propre bonheur. Depuis ce jour, si l’envie lui prend de sortir de chez lui, aux jours qu’il considère comme des moments significatifs de l’année, il ne les passe plus jamais, pétrifié comme une potiche, tout seul dans son coin. Même que, le plus souvent qu’il le peut, il choisit une manière originale de célébrer la vie. Chaque jour n’est-il pas un jour neuf à célébrer dignement?
Pour faire les bons choix de vie, un être doit entrer en contact avec son âme, par la voie du cœur, ce qu’il ne parvient à faire qu’en passant par la solitude, cet état qui fait si peur à la multitude. Mais ce n’est que dans le plus grand silence qu’il peut sonder son cœur, écouter la vérité qui vibre au plus profond de lui-même et découvrir les solutions pertinentes à son destin unique.
Alors, pour en revenir à l’histoire amorcée, lorsque s’annonce un moment particulier qui mérite célébration, c’est notre monsieur qui prend l’initiative d’organiser un repas ou une sortie, laissant tous les membres de ses relations libres de s’associer à lui, selon leurs préférences et leurs disponibilités. Et si personne n’accepte le rendez-vous, il s’y rend tout seul. Cette manière de procéder lui permet de filtrer les candidatures et de s’assurer de se retrouver en bonne compagnie.
Il faut savoir que les grands rassemblements humains prolongent l’anonymat, écourtant les contacts ou les rendant superficiels. Dans un groupe nombreux, il y a toujours quelqu’un pour se sentir négligé, se croyant privé de la part d’attention qu’il mérite. Pour cette raison, il n’y a rien comme de se retrouver en petit groupe pour se parler et apprendre à mieux se connaître. Et c’est ainsi que, d’une année à l’autre, parmi les gens qui l’ont déjà accompagné dans ses réceptions à domicile ou ses virées, où ils ont trouvé plus de joie de se retrouver en sa présence qu’à se retrouver ailleurs, certains le rappellent, en nombre et bien à l’avance, pour retenir une place.
Puisque, un jour, chacun a fait le choix conscient de s’incarner, afin d’ouvrir davantage sa conscience à sa réalité propre, par les leçons de la vie courante, c’est à chacun de se découvrir, de se retrouver, de s’aimer, d’organiser sa vie à sa manière et d’oser aller de l’avant, mais d’abord pour lui-même. Car c’est le seul moyen d’arriver à plus d’être, à vibrer davantage. Et, lorsqu’on devient plus vibrant, on attire davantage de ses semblables, ce qui permet de passer des moments bien réjouissants. Il semblerait que le bonheur devient contagieux !
Exercer sa liberté et sa souveraineté, afin d’évoluer à sa manière et selon son plan, comporte la nécessité de l’amour de soi, du détachement émotif, du choix prioritaire de soi qui amène à s’accorder la première place, du refus de rendre des comptes sur ses choix personnels et de l’affirmation de ses droits et devoirs envers et contre tout dans l’ordre du bien commun et de l’Unité cosmique. En raison de son destin unique, chacun gagne à vive pour lui-même à sa manière, conformément à sa compréhension et à ses moyens, en faisant toujours ce qu’il aime, autant qu’il y a possibilité, mais en s’abandonnant pour le reste.
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