par Bertrand Duhaime
L’ego, qui amène à s’identifier à son corps, à la matière, au monde extérieur (qu’on en vient à croire son domicile permanent), à son mental et aux apparences de la personnalité, récupère tout à son profit, les échecs comme les réussites. Il devrait plutôt servir à entretenir une image saine de soi pour parvenir à atteindre sans crainte l’Ego divin, le Soi unique. Pour y arriver, il faut cultiver le lâcher prise ou l’abandon, qui implique un renoncement au passé et un détachement des résultats, attitude qui permet au masque humain, qu’on a temporairement emprunté, de servir d’instrument de réalisation ou d’évolution. Voilà du reste le sens véritable du sacrifice, qui appelle à renoncer à ce qui nuit, à ce qui retarde, à ce qui est devenu stérile et désuet et à ce qui encombre, non à s’imposer des souffrances arbitraires pour gagner son ciel.
Ce phénomène se produit dans la même mesure qu’on accepte la Volonté de Dieu, qui révèle le Plan créateur, qui inclut donc son plan à soi. Cette Volonté suprême permet de se révéler son identité propre dans la Conscience de Dieu et son rôle fonctionnel dans son Système cosmique. Il fait ressentir la joie pure de développer son être radieux qui devient, pour l’individu, la nouvelle définition de son être et de sa vision de la Réalité.
Par les jeux de l’intellect dominateur, l’ego amène la conscience à s’inverser, à se retourner sur elle-même, au lieu de se tourner vers la Lumière spirituelle. Il porte à se complaire dans les attributs de sa personnalité plutôt que dans Son identité (ou individualité) divine, ce qui revient à se complaire vainement dans ses apparences et à oublier sa réalité, plutôt qu’à vibrer dans la béatitude de son Essence divine. Il force alors à centrer son attention sur sa petite personne et à combler ses attentes, plutôt qu’à motiver à poursuivre sa quête de fusion dans l’Unité, le seul Etat de Bonheur total.
La vie offre à l’ego les expériences à travers lesquelles il peut découvrir l’éphémérité des phénomènes et les obstacles qui développent sa force sur le Sentier de l’Évolution. Mais elle l’incite sans cesse, par la voix discrète de l’intuition, à se faire bon usage de sa conscience qui le conduira à se consumer dans le Grand Feu central, sans perdre son individualité. Si l’individu a peur d’engendrer en lui cette fusion progressive, elle l’abandonne à son ignorance et à son ineptie, sans s’apitoyer sur son sort malheureux.
Alors, il accumule les retours négatifs de la Causalité, support de la Responsabilité, se créant un destin pénible, qui peut aller jusqu’à l’anéantissement, si c’est son choix, tellement son libre arbitre est étendu. Car, pour la vie, un être doué de libre arbitre qui ne choisit pas, choisit tout de même, car le fait de ne pas choisir constitue déjà un choix. Ne pouvant pas choisir à sa place, elle ne peut que le laisser sombrer dans son destin de misère, impassible. Il a été dit : Aide-toi et le Ciel t’aidera.
L’ego a horreur du présent vivant, sans cesse en mouvement, surtout s’il apporte des grands changements, parce qu’il enfonce plus normalement dans les habitudes qui sécurisent et amènent à stagner dans le statu quo. Il aimerait installer son rêve de permanence et de pérennité dans le temps et l’espace ou les arrêter afin de pouvoir tout conserver, même ce qui devient stérile et désuet, s’il persiste à l’apprécier. Il ne déteste rien de plus que l’introspection et l’intériorisation, sauf si elles renforcent ses rêves de grandeur et de complaisance en lui-même. Ces moments lui apparaissent comme un supplice, car il n’y trouve pas d’écho à ses propos verbeux et à ses élans pompeux, qui n’ont que peu d’influence dans le temps et l’espace, qu’il voudrait retenir et faire durer. Aussi, avance-t-il du passé au présent, du présent au futur, puis du futur au passé, plein d’angoisse.
Dans l’intériorisation, l’ego se sent isolé, abandonné, laissé pour compte, mal à l’aise dans le silence vibrant de la Vie, et il s’en désole, car, dans cet état, il n’est plus en mesure de trouver un interlocuteur connu ou reconnaissable et devient incapable de se projeter où il voudrait. Il vit alors une frustration qu’il refuse de reconnaître, ressentant une agressivité larvée, qu’il ne veut admettre. Il peut en venir au suicide, le préférant souvent à la solitude. Son passe-temps favori, c’est de passer d’un opposé à un autre, sans chercher à établir des liens trop significatifs, mais occupé à dégager des critères stricts et des divisions importantes. Toutefois, il se garde de les confronter dans un présent dynamique: il les confie plutôt à la mémoire, ressentant qu’il s’annihilerait en s’absorbant dans un présent vivant, car il n’aurait plus rien à penser, il n’aurait qu’à être et à observer.
L’ego, qui s’identifie toujours de façon illusoire à la pensée centrée sur elle-même, mène une existence trépidante, frénétique et tourmentée, dans la spéculation superficielle. Il s’active sans cesse, car il vit dans la culpabilité inconsciente de se savoir responsable de tout ce qui lui arrive de désagréable, mais de rester tout aussi irresponsable dans ses visées. Il sait ne pouvoir survivre que par les pensées, qu’il forme constamment en pléthore comme son produit et son aliment essentiels, dont il ne pourrait pourtant se passer.
Voilà pourquoi il abhorre l’instant, qui lui apparaît comme un trou dans la continuité, comme une petite mort temporaire. C’est la même raison qui explique que les grands intellectuels dorment peu. L’ego préfère retourner dans le passé, pour s’en désoler ou s’y complaire de ses exploits, ou plonger dans le futur, pour inventer des rêves éveillés ou des projections d’avenir. Car il a éminemment peur de la mort, qu’il sait inéluctable pour lui, tôt ou tard, mais qui lui rappelle surtout sa vanité, ce qui l’humilie.
L’ego se refuse obstinément à reconnaître la seule réalité qui soit, le moment présent, pour s’y concentrer de façon créatrice et évolutive. Ainsi, il remplit le cerveau de son esclave de projections fumeuses, dont il disserte longuement, faisant bien du vent, et il ne croit vivre que s’il est parmi d’autres personnes ou s’il expérimente dans un contexte de variété. Il lui suggère de multiples obligations. C’est le maître des il faut et des je dois. Il vit la double solitude de se sentir séparé des autres et de son Être intérieur.
C’est cette seconde solitude qu’un sujet cherche à fuir dans le mariage, l’implication sociale, l’investissement à fond de train dans son métier, sa carrière ou sa profession, en s’absorbant dans l’acquisivité, les jeux de pouvoir, la quête de renommée, l’accumulation des connaissances, la griserie des plaisirs des sens. Il ignore ainsi l’aisance, la spontanéité, le mouvement libre du présent, et il mène une existence larvaire, triste, sérieuse, sévère, compassée, dans une ambiance alourdie par les relents d’un passé révolu et les brumes d’un futur imprévisible.
L’ego préfère entretenir l’aveuglement, par rapport à la Réalité, par l’abandon à l’inertie ou à la moindre résistance. Il porte un sujet à se retirer de l’Univers, opérant un retrait de la vie, ce qui conduit peu à peu à la mort réelle. Autrement dit, il refuse d’étudier l’ensemble, à l’intérieur de lui, pour se cantonner dans l’exclusivité de ce qui le fascine et le fait vibrer. Il induit dans la peur, par ses visions chimériques, et il s’oppose aux pulsions de l’âme, qui cherche l’Unité.
Il cultive une identité fictive, la personnalité, mue par la peur de constater sa vulnérabilité et l’impossibilité de survivre éternellement. Alors, il s’investit dans les apparences, friand des artifices comme les idoles, la mode, les petits soins, les divertissements. Il cherche sans cesse à se protéger et à se défendre contre des ennemis fictifs, qu’il attaque avant même d’être menacé ou touché, toujours sur la défensive. Il ne s’investit de bon gré que dans ce qui lui apporte un bénéfice ou une récompense.
Il conçoit même l’Illumination ou le Ciel comme une récompense, au lieu de les comprendre comme un état d’être qui résulte d’une démarche intérieure ordonnée et intégrée. Quand tout se retourne contre lui, il pourra penser à prier, mais alors sa prière devient ordre, supplication, quémandage, chantage ou marchandage, car il ignore qu’il détient le libre arbitre pour commander, dans la fermeté et la douceur, la réalisation de ses vœux.
Le fait de tout ramener à soi, pour mieux comprendre le déroulement de la vie, aussi parce que seule son expérience personnelle est probante, n’est pas une attitude égoïste. C’est même l’attitude responsable qui ouvre la voie à l’altruisme. En effet, c’est en se comprenant bien qu’on peut mieux comprendre les autres par la suite. Du reste, plus on est comblé, moins on force les autres à combler ses besoins et moins on compte sur eux pour les combler. Il n’y a aucun mal à se donner ce qui comble ses besoins et ses désirs, tout ce qu’on n’a pas, mais qu’on veut obtenir et connaître, loin de là. Il n’y a pas de mal non plus à refuser de faire ce qu’on n’a pas envie de faire ou ce pour quoi on n’a pas la compétence. Cela s’appelle plutôt le respect de soi.
En principe, puisque tous ont été créés égaux, donc entiers, complets, totaux et parfaits en eux-mêmes, personne ne doit rien aux autres. Les formes d’égoïsme à réprimer tiennent plutôt dans les attitudes qui résultent de la fermeture du cœur ou qui servent de ferment de séparativité. On évoque ici les transgressions à la loi de l’Échange et du Partage, loi qui favorise la libre circulation des énergies et établit la cohésion dans les groupes sociaux, favorisant la réunion dans l’Unité. On perd toujours ce qu’on cherche à retenir, mais qui doit circuler, de gré ou de force. Il faut donc reconnaître ce qui doit circuler et empêcher l’ego d’y faire obstacle.
En fait, nul ne peut parvenir à sentir clairement l’énergie immédiatement disponible, pour exprimer sa puissance créatrice, s’il ne s’est d’abord engagé envers lui-même. Et, dans la période d’acquisition de sa maîtrise, sur un point, il peut licitement se placer en état de dépendance par rapport à ceux qui sont compétents dans la matière, dans la mesure où il ne devient pas leur esclave, où il ne retarde pas indûment l’échéance d’assumer son autonomie et son indépendance et où il expérimente par lui-même ce qui relève de lui..
Les convictions inébranlables surgissent de l’expérience personnelle, qui transforme les croyances et dissout les illusions, non de la démonstration des autres. Nul ne peut prouver quoi que ce soit à un autre, pour ce qui relève de la dynamique évolutive, car il s’en trouvera toujours un pour nier l’évidence ou pour suspecter la véracité des faits spirituels. Du reste, chacun doit suivre son propre sentier vers la Lumière.
Celui qui s’engage envers lui-même n’empêche personne d’en faire autant. Celui qui occupe convenablement son territoire, pour y prospérer et y prendre de l’expansion, n’enlève rien à l’autre et n’empêche pas l’autre d’occuper le sien. Il détient même le droit de déloger celui qui se serait immiscé sur son terrain et le revendiquerait comme le sien.
Quand on n’accorde pas la priorité à sa vie, à ses pensées, à ses sentiments, à ses ressentis, à ses perceptions, à ses buts, on passe à côté de soi, on se perd dans les attentes des autres, on nourrit leurs projets, plutôt que les siens, d’où on se dépersonnalise et se dévitalise. Alors, rien ne peut prendre de la consistance ni de solidité en soi pour démontrer la véracité de sa quête. En pareil cas, on peut paraître calme et serein, mais il y a fort à parier que tout remue profondément, en soi, et perturbe puissamment son être. On vit forcément dans un mouvement de sourde révolte et un grand sentiment d’aliénation. Et attention quand la marmite éclatera!
Celui qui a appris qui il est, parce qu’il est resté à l’écoute de lui-même et s’est donné ce qu’il voulait, peut avancer vers son but, calme, fier, digne, solide comme un roc. Et c’est ce qui dérange celui qui n’a pas suivi la même démarche et qui l’accuse d’égoïsme. Nul n’a le droit de porter un tel jugement qui trahit des intentions mesquines. Celui qui traite l’autre d’égoïste témoigne de son envie ou de sa jalousie. Il n’accepte pas la réussite de l’autre ou le bien-être qu’il a réussi à se donner. Il croit que l’autre a pris une part qui devait lui revenir sans qu’il ait le moindre effort à produire, mais qu’il ne mérite pas du fait qu’il n’a pas agi. Ainsi, pour échapper à la reconnaissance de son impuissance, il dit trouver abominable que l’autre fasse pour lui-même ce qu’il aurait tellement aimé qu’il fasse plutôt pour lui.
Il importe que chacun se centre sur lui-même, clarifie ses buts, se choisisse en priorité, car c’est ainsi qu’on apprend à se connaître à travers ses œuvres, qu’on progresse et prospère et qu’on peut mieux partager par la suite. La frontière entre l’égoïsme et l’altruisme s’établit par la reconnaissance des moments où il faut accorder de l’attention à ses propres besoins évolutifs en regard de ceux où il faut partager ses acquis avec les autres, dans le détachement, parce qu’on détient les surplus, la permission et la compétence pour le faire. Elle se trace encore par la reconnaissance des moments où il faut se donner à soi-même, pour détenir quelque chose à partager, de ceux où il faut accepter de partager, parce qu’on possède vraiment ce qui est requis, à tous égards, pour le faire, sans que cela affecte son essentiel et son nécessaire. Enfin, elle se trace enfin par la nécessité impérieuse de distinguer les choix et les décisions qui unissent aux autres, qui les unissent entre eux et qui les rapprochent de Dieu, de ceux qui écartent des autres, les divisent et qui les coupent de Dieu.
Il importe de prendre conscience de l’influence bénéfique ou maléfique qu’on exerce sur les autres, en protégeant, en priorité, les plus faibles et les plus démunis contre les effets pernicieux de ses choix et de ses décisions. Conformément à la loi de l’Innocuité, nul ne peut porter scandale, mettre un autre dans un état de panique, le troubler intérieurement, prendre des décisions à sa place, le déranger dans son cheminement contre son gré, le blesser physiquement ou psychiquement ou attenter à sa vie. Autrui, c’est l’autre soi-même qu’il faut aider à prospérer, à guérir et à s’illuminer.
Celui qui veut faire preuve de cohérence et d’intégrité devra reconnaître qu’il favorisera justement le cheminement des autres en suivant la meilleure voie pour lui-même, voie qu’il doit lui-même choisir et se tracer. Le détachement n’implique pas la notion d’un sacrifice imposé, mais celle d’une libération volontaire, dans l’acceptation d’assigner une limite aux débordements de son ego dans les aspects qui sont préjudiciables aux autres, mais aussi à soi-même, parce qu’ils ralentissent l’évolution personnelle. Évoluer, c’est fondre progressivement dans le Tout, en laissant mourir sa personnalité, pour mieux intégrer son identité divine. Quand la personnalité n’a plus raison d’être, il faut la laisser se dissoudre, car on ne perdra jamais son individualité spirituelle, qui est un acquis éternel. Le lâcher prise ou le détachement ne concernent que les éléments qui encombrent la conscience ou qui fomentent la séparativité.
Naturellement, la Vie contribue à l’unification des êtres par la voie de l’échange et du partage. On fait l’apprentissage du détachement ou du désintéressement en acceptant de laisser aller, jour après jour, les petites choses qui ne privent en rien et qui n’altèrent pas sa joie de vire lorsqu’elles disparaissent, mais qui surchargent sa vie ou sa conscience. Qui veut atteindre le terme de la Voie, au sommet de la Montagne cosmique, doit choisir ce qui, tout en servant pour lui-même, sert l’Humanité et l’Univers. Comme on dit, qui veut que sa montgolfière s’élève très haut doit couper ses amarres et la délester.
Chacun est appelé à s’investir dans la réalisation de ses buts, mais aussi dans celle des buts communs, s’occupant d’exercer ses droits et ses devoirs dans un juste équilibre. Beaucoup de ceux qui ont emprunté la voie évolutive ne notent pas de changement en eux, ou pire, régressent, parce qu’ils omettent de respecter cet aspect de la loi qui commande la collaboration concrète aux buts communs, qu’on ne se limite donc pas à l’émission de pensées d’amour et de paix vers les autres. Toute transmutation spirituelle passe par le psychique (l’âme) et le physique (le corps).
Un récent message de la Hiérarchie spirituelle, en date du 3 novembre 2001 stipulait clairement : Vous ne pouvez plus vous isoler dans votre petit monde et affirmer que tout se passe pour le mieux dans votre sphère de réalité et que ce qui se passe dans le reste de votre pays ou au-delà des océans importe peu pour vous.
Le détachement doit répondre à un élan spontané, non être imposé de force, parce qu’on se sent pressé, gêné, coupable, obligé, car il se retournerait contre soi. De même, pour le service. On doit offrir ses services là où on éprouve de la joie à le faire et dans des activités qui servent sa propre voie. Le sacrifice ne se définit pas comme une obligation qu’on s’impose pour acquérir du mérite, mais comme le rejet de ce qui obstrue sa voie, quand on peut le faire avec aisance.
Quant au désintéressement, on n’y parviendra vraiment que lorsqu’on aura développé cette aptitude à reconnaître ce qui sert son But ultime et qu’on aura appris à se mettre à la place des autres, non pour les considérer à partir de ses propres préjugés et croyances, mais conformément à la vision juste de leur état. On se servira pour vous de la mesure dont vous vous serez servis, dit la Règle d’or. On doit traiter les autres comme on aimerait être traité, mais en procédant conformément à sa compréhension personnelle, non en répondant à leurs attentes, souvent illusoires, ou à leurs exigences erratiques. Mais, même en cela, on ne doit pas se sentir responsable du bonheur des autres, mais simplement répondre à la loi de l’Échange et du Partage. Chacun doit choisir pour lui, non pour les autres.
À trop se croire une mission de sauveur ou de sauveteur, on entretient sa culpabilité. On porte trop de responsabilités inutiles sur ses épaules. Nul n’est tenu de porter le fardeau des autres en croyant qu’ils seront plus heureux ainsi. On le fait trop souvent pour être aimé d’eux davantage. Il faut trouver son propre bonheur avant de croire pouvoir faire celui des autres. On parviendra à mieux se connaître et à mieux comprendre les autres si on sait, à l’occasion, mais au bon moment, sortir de soi-même pour entrer dans leur peau et écouter leur point de vue.
Voilà un autre aspect du détachement que de moins prendre ses malheurs au sérieux et de mieux compatir aux souffrances des autres. À trop contempler son nombril, on limite sa conscience à sa seule expérience, alors que celle de l’autre peut aussi instruire. À trop se concentrer sur son expérience, on s’apitoie sur son sort ou on devient complaisant avec soi-même, perdant un point de référence utile, parce qu’on ne parvient plus à percer la réalité des autres. On devient insensible et indifférent à tout ce qui n’est pas soi. À l’inverse, on ne gagne rien de bon à trop se préoccuper de ce que les autres pensent de soi, de ce qui leur arrive, de ce qu’on peut faire pour eux. Toute aide doit respecter les trois règles de l’assistance à l’autre, de l’harmonisation des relations et de l’évolution collective.
Celui qui sait s’occuper de lui-même accroît son énergie et gagne du temps, se permettant de mieux s’occuper de lui-même et de mieux aider les autres. On doit donc éviter de se culpabiliser de se choisir en priorité et tout le temps qu’il est nécessaire pour se placer au-dessus de ses affaires, comme on dit. Mais on le reconnaît, la frontière reste bien ténue entre l’égoïsme et l’altruisme, tellement le danger est grand de basculer dans un excès ou dans l’autre, malgré qu’on bascule plus certainement dans l’excès de l’égoïsme que dans celui de l’altruisme. L’amour fait toute la différence, quand on ne sait plus quoi en penser.
Le Maître Morya a dit : Le Monde a voilé la Lumière de la vraie connaissance et l’égoïsme ne permettra par sa résurrection, car il ne peut pas reconnaître la complète solidarité de tous ceux qui sont nés sous la même loi naturelle immuable. La noblesse fondamentale de son âme trouve son expression dans des actions simples, ordinaires, normales. On cultive l’ego si on en fait trop ou si on n’en fait pas assez. On le cultive encore si on s’installe dans la performance, le perfectionnisme, l’activisme, mais également si on s’installe dans l’apathie, le laxisme, le laisser aller, l’inertie, l’indifférence, l’insensibilité.
On cultive l’ego si on affiche ses exploits, si on cherche à tout contrôler, mais également si on néglige son devoir d’état pour prêter un œil trop attentif aux réactions des autres ou une oreille trop vigilante à leurs propos, si on exagère ou pervertit ses intentions, si on croit accomplir une œuvre grandiose ou exceptionnelle, si on agit dans l’effort et la tension. Or, le devoir d’état désigne la tâche que l’immédiat propose de faire, conformément à l’élan naturel et spontané du cœur ou à la synchronicité de l’instant présent, plutôt que ce que suggère le mental par ses agendas, ses plans et ses programmes imposés.
À l’inverse, on cultive l’ego si on cherche toujours à savoir ce que les autres pensent de soi, si on se mesure à leurs attentes ou à leur appréciation, si on manque de considération pour soi. On cultive l’ego si on ne prend pas le temps de mesurer les changements qui se produisent dans sa vie, si on ne prend pas le temps de se féliciter pour ses accomplissements, si on ne sait pas faire une pause entre deux étapes évolutives pour intégrer ses acquisitions, si on ne prend pas conscience de ses réussites.
Comme on le voit, l’ego réfère à la somme de ses pensées, de ses actes, de ses ressentis et de ses paroles, avec leur jeu unique d’attirances et d’aversions. L’ego lance dans l’accomplissement d’exploits susceptibles à prouver à tous et à chacun qui on est, plutôt qu’à vivre simplement son quotidien dans le détachement. Depuis sa naissance, chaque être a enregistré des milliards d’informations, et a développé nombre de comportements et d’attitudes réflexes qui masquent son être véritable. D’où on ne peut se dire un être accompli ou réalisé tant qu’on n’a pas redécouvert sa vibration propre et originale, cachée derrière les masques que l’on porte, selon les circonstances.
Au fond, l’essentiel de ce qu’on fait, sous l’empire de son ego, on l’a emprunté aux autres, auxquels on s’est identifié ou opposé. Pour redevenir pleinement soi, il faut retrouver ce qui appartient vraiment à soi et provient vraiment de soi, derrière ce fatras de données contradictoires et paradoxales. Les Maîtres parlent souvent de la mort ou de l’extinction de l’ego. Il faut entendre cette expression comme un appel à se transformer radicalement, à se convertir, à retourner sa conscience de l’extérieur vers l’intérieur, où se dresse le Portail de la Voie de l’Eveil spirituel.
La mort de l’ego implique un changement progressif, mais radical de la focalisation ou de la direction de son attention pour transformer ses énergies denses en énergies spirituelles. À proprement parler, les énergies de l’ego, de nature terrestre, ne peuvent mourir, mais elles peuvent se soumettre, peu à peu, dans la modestie, le respect et la patience, aux injonctions de l’Esprit, transmises par l’âme. Ainsi, il s’agit de mourir à tout ce qu’il y a de faux, dans son état actuel, pour accéder à la liberté de l’âme, qui ne cherche pas à nourrir des illusions de puissance, car elle la détient par sa nature essentielle.
Mettre l’ego à mort invite simplement à lui redonner son rôle fonctionnel premier, à passer de son état de fausseté actuelle à un état qui incline vers la fusion, en procédant de l’extérieur vers l’intérieur, où tout est simplement, pour apprendre à reconnaître qu’il en est vraiment ainsi. L’être humain n’a rien à devenir, il a tout à redécouvrir de ce qui est déjà là, en lui, profondément caché dans son être de Fils de Dieu, créé à son Image et à sa ressemblance. Connais-toi toi-même, à l’intérieur de toi-même, et tu connaîtras le Ciel et les Dieux, te découvrant leur égal.
LES PIEGES DE L’EGO DRESSES CONTRE L’AMOUR
Il n’existe que deux possibilités, dans la vie, soit qu’on regarde le Monde avec les yeux de l’ego soit qu’on le considère avec le regard de l’amour. Mais on ne développera des relations constructives, fraternelles et solidaires que si on choisit la deuxième option : il faut tout ramener dans la vision de l’amour pour chercher en tout ce qui unit plutôt que ce qui divise. Sa conscience personnelle de la présence permanente et omniprésente de l’amour n’est occultée que parce qu’on s’est fermé à l’intuition, en investissant de façon trop soutenue dans l’expression des suggestions fallacieuses de l’ego.
Dans ce contexte, l’ego se définit comme la partie de son être qui amène à croire qu’on est un accident du hasard évolutif et que son identité se limite à un corps matériel mortel et à une personnalité qui sont voués à la disparition éternelle, d’où il convient de profiter de tous les plaisirs de la vie, sans discernement, pendant qu’on est de passage sur la Terre. L’ego nie qu’il existe une identité spirituelle qui ne soit pas limitée par la forme physique. Bavard et critique, il parle constamment à travers son monologue intime pour convaincre qu’il faut juger de tout et de tous afin de prévenir les pièges arbitraires qui se dressent tout au long de son existence, pièges inventés pour limiter son expérience ou entraver l’expression de sa vie.
Pour parvenir à ses fins, l’ego fait toujours surgir dans ses pensées les aspects négatifs de la vie. Son principal message, fondé sur la peur, veut faire croire que la vie est fondamentalement hostile et inhospitalière et qu’elle s’ingénie à dresser des obstacles arbitraires qui peuvent même devenir mortels. Ainsi, à son avis, il faudrait sans cesse redouter d’être isolé, esseulé, abandonné dans un monde de pénurie, de contraintes de toutes sortes, monde qui impose de chercher ce qu’on peut concevoir de grandiose, mais qu’on ne trouvera probablement jamais.
Ne croyant pas à la plénitude ni à l’unité, il considère l’amour comme suspect et la paix comme redoutable, car ils peuvent émousser la prudence indispensable pour identifier les illusions qui pourraient, à son insu, entraîner sa perte. Aussi vaut-il mieux, à son avis, de s’abandonner aux pulsions gluantes de l’affectivité, dans des jeux de pouvoir, que de se présenter de façon authentique, loyale, sincère, transparence, car on pourrait se faire attraper. Puisque la vie n’exprime qu’un bref intermède dans une période indéterminée et indéterminable, autant prendre d’abord en considération ses propres besoins égoïstes, quitte à s’investir, au besoin, dans des relations de mutualité qui servent les intérêts réciproques et fondent les bons procédés, un moyen d’éviter les confrontations fatales dans la quête de la survie.
Car, pour l’ego, il faut toujours suspecter la sincérité des autres qui représentent, essentiellement, une menace latente. Pour se divertir des coups possibles du sort et s’assurer qu’on garde l’amour à l’écart, il convient de trouver des substituts comme les idoles, représentés diversement par la jouissance physique, les artifices corporels, le sexe, la drogue, le jeu, l’argent, la célébrité, le confort, le bien-être, tous les attraits du monde extérieur, pourquoi pas la projection de ses torts sur les autres, l’inquiétude, l’angoisse, la culpabilité, l’esprit de performance, l’activisme, le perfectionnisme, qui donnent l’impression de vivre intensément.
Quant à Dieu, qu’on ne peut pas connaître, et dont on ne peut pas deviner les intentions, autant s’en méfier, le craindre ou le balayer de sa pensée. De toute façon, s’il existe, il ne peut être, comme soi, que partial, subjectif, occupé à gérer le Monde, d’un lieu lointain et dans une attitude distante, à établir ses préférences, à surveiller les actes, à récompenser la bonne conduite, à imposer d’immenses sacrifices pour assurer son salut, à exercer sa cruauté arbitraire et à fixer la mort de chaque créature à un moment toujours prématuré, accueillant alors dans son Ciel, dans le Purgatoire ou dans l’Enfer selon le mérite de chacun, mais peut-être simplement au gré de sa fantaisie.
Pour le reste, il suggère d’être exigeant pour les autres, de les écraser, s’il le faut, pour obtenir ce dont on a besoin et ce qu’on veut, d’en faire des esclaves auxquels on ne doit accorder qu’une apparente liberté, pour éviter qu’ils se révoltent, les achetant par des présents et des services qui les gardent en laisse, si on ne peut faire autrement. Il préconise le recours à la colère et à l’intimidation pour s’assurer que soit accompli ce qu’on désire. L’attaque et la défense ne constituent-ils pas les meilleurs moyens de mettre au pas, par avance et prévenance, des êtres erratiques, inconséquents, irresponsables, qui menacent en permanence ses intérêts, son être et sa famille?
L’ego veut établir partout son contrôle. Pour lui, le but des relations vise à satisfaire ses besoins personnels dans un échange de bons procédés plus pragmatiques et hypocrites que sincères.
L’ego proclame secrètement que les relations interpersonnelles ne peuvent servir qu’à maintenir un simulacre d’accord visant à maintenir l’ordre et l’harmonie dans la société. Il décrète que ses propres intérêts passent avant ceux des autres, même si cela produit des sentiments de division et de séparation, mais qu’il faut voiler ces intentions mesquines. Il réclame le plaisir immédiat dans toutes les situations et dans toutes les circonstances. Il place la satisfaction matérielle et sensuelle au premier plan de sa quête.
L’ego refuse d’être interrogé, critiqué et contredit, de rendre des comptes, bien qu’il en demande à tous. Il impose le fait qu’il peut sans cesse faire à sa guise. Il veut constamment plaire, être aimé, accepté, respecté, supporté, adulé, même quand la conduite qu’il propose devient hostile, désagréable et agressive, car il ne peut agir ainsi que pour le bien de tous. Pour lui, le but des relations interpersonnelles vise à faire comprendre à tout le monde qui est le maître et détient le droit de commander, bien sûr lui. Il atteste que tout ce qu’il dit est juste et vrai. Ainsi, si un manque d’harmonie se produit, il ne peut qu’avoir raison, d’où l’autre doit admettre son tort. Chacun doit se rendre compte que si un problème surgit, quelqu’un d’autre doit en assumer la responsabilité, s’en reconnaître la cause et en accepter le blâme, car lui, il reste toujours blanc comme neige.
L’ego stipule qu’il existe une loi pour lui, le sage, et une autre pour l’autre, l’ignorant. La première lui permet d’agir de façon accaparante, possessive, jalouse, envieuse, impérieuse, subjective, suspicieuse, même d’être malhonnête, déloyal, fourbe, hypocrite, manipulateur, cachottier, parasitaire, intimidant, belliqueux. L’autre interdit à qui que ce soit d’en faire autant parce que son niveau de conscience ne le légitime pas. Lui, il peut se permettre toutes les liaisons et les incartades, mais pas l’autre. Ainsi, l’ego établit les lois absolues de toutes les relations interpersonnelles, l’une des premières décrétant que tout autre serait impardonnable de faire quoi que ce soit qui contrerait sa volonté et qu’il mériterait alors une sanction adéquate, forcément rigoureuse et vindicative.
Voilà comment s’exprime l’ego diviseur et séparateur qui impose qu’on accorde plus d’importance aux différences, en soi menaçantes, sources potentielles d’insécurité et d’angoisse, qu’aux similitudes et aux ressemblances. Il recommande de garder le souvenir des douleurs et des souffrances du passé pour se rappeler sans cesse à quel point les relations interpersonnelles peuvent être dangereuses. Il rappelle que la peur, début de la sagesse, reste le meilleur moyen de prévenir les dangers, pour s’en protéger, afin d’assurer sa sécurité et sa paix d’esprit. Il attise constamment les braises des mécanismes de défense et d’agression, amenant à perdre le sourire et la joie de vivre. Le sourire ne doit monter aux lèvres que pour exprimer la politesse, la déférence, la flatterie, l’obséquiosité, la moquerie, le dépit, un mercantilisme voilé. Il peut encore masquer sa tristesse profonde et la grande blessure de son âme.
La maxime fondamentale de l’ego, c’est : Je te donne, si tu me donnes! Car il n’affectionne que s’il est comblé dans ses attentes. Il se délecte dans sa suffisance, croyant tout savoir, jugeant de tout de façon catégorique, ne pensant qu’à lui. Il exprime ce que les anglais appellent le me-myself-and-I, le moi-moi-rien-que-moi des francophones. Pour le démasquer, il faut souvent l’attraper au col et lui demander bien en face quels intérêts il sert, qui il est et ce qu’il veut. Car il n’a d’autre fonction que de servir d’instrument de l’âme, dans sa quête d’identité, pour favoriser ses découvertes et son évolution.
C’est l’ego qui a engendré le grand aveuglement qui force maintenant à l’Éveil de la conscience. On peut produire cet éveil personnel par l’humour, en apprenant à rire de soi, plutôt que des autres, et par la compassion, qui ouvre aux autres. Il faut cesser de se prendre autant au sérieux et de porter partout son incommensurable vanité. Inutile d’attaquer l’ego de front, ce poltron n’en deviendrait que plus rebelle et récalcitrant. Au fond, il masque un sentiment d’impuissance et d’infériorité et une peur congénitale de disparaître de façon arbitraire. Alors, il faut savoir l’aimer dans ses peurs, sa vulnérabilité et son impuissance.
Il faut apprendre à littéralement respirer par le nez, profondément, pour insuffler la force vitale et exhaler toutes les causes de ses tensions. Il faut pondérer l’agitation d’un mental couard, angoissé et crispé. Il faut reconnaître que chaque difficulté, source de frustration, que la vie place sur sa voie, pour mettre à l’épreuve sa motivation naissante d’éviter de se laisser piéger, par les réactions automatiques de défense et d’attaque de l’ego. On préférera plutôt chercher à comprendre en quoi chaque événement, chaque situation et chaque circonstance peuvent révéler un aspect de force ou de faiblesse de soi-même.
Dès qu’on se sent perturbé, il faut se demander quelle est cette dimension de son être qui manque de confiance et de sérénité. Il faut l’identifier en allant jusqu’au bout de sa démarche en se demandant le pourquoi du pourquoi de ses malaises, sans faire de concessions, sans faire preuve de fausse indulgence. Il faut se promener, en observateur, dans les méandres de ses raisons, de ses justifications, de ses aversions, de ses projections, de ses prétextes fallacieux, comme si on entrait pour la première fois dans le jardin de son inconscient, pour se familiariser avec eux.
En prenant du recul par rapport à cet aspect timoré ou blessé de soi-même, on s’ouvrira à un autre niveau de conscience plein de paix, vibrant au-delà des automatismes, des émotions et des passions, qui permet de réévaluer la perception qu’on a de soi-même, de ses valeurs, de ses principes, de tout ce qui motive ses pensées, ses ressentis, ses paroles et ses actes. La clef de la réussite de ce long processus de réforme réside dans la volonté de l’opérer. Sans une motivation profonde d’y arriver, on n’acceptera pas de s’abandonner à la Lumière en provenance du Phare divin, qu’on peut aviver dans l’introspection et la méditation. Sans cette Lumière intérieure, qui sert de dissolvant universel, on n’arrivera à rien.
Plus on entre en soi, plus se développe sa confiance inébranlable dans la vie, une confiance empreinte de joie sereine, car telle est la nature de l’âme avec laquelle on communique alors. Au fil des plongées conscientes vers la Source de Tout, en soi, on ouvre toujours davantage le canal à ces vibrations transformatrices. Par cet abandon progressif au Vouloir de l’Essence éternelle et immortelle, on découvre en soi un autre registre de conscience dont le principal attribut sert à ancrer dans l’instant présent. Cet attribut rend indifférent aux aspects douloureux du passé, sans en abolir le souvenir, et aux projections du futur, amenant à tout percevoir comme une expérience qui a propulsé et continue de propulser vers l’avant.
Quand on sait rester aux aguets du moment présent, comme un observateur dégagé, relié à sa Source, qui comprend tout et situe tout dans la juste perspective, on s’élève au-delà des peurs qui font de soi un jouet, ce qui attise la démission ou les fureurs de l’ego, selon l’énergie de chacun, harmonisant les émotions et les passions dévorantes qu’il déclenche. Alors, on progresse dans la béatitude de la Maîtrise de soi.
L’EGO, C’EST-CE QUE JE PENSE ÊTRE
(Un texte de Shanti Mayi, 2001)
«Je suis ceci ou cela, ou ceci et cela, cela est appelé l’identification, l’ego (ou le sens de l’ego). Je suis exclusivement et séparément ce que je suis. Ceci est bien évidemment vrai pour toutes choses, l’une par rapport à l’autre. Je suis, c’est le sens singulier de l’expérience totale de l’existence. Tout porte un sens de sa propre signification : un pin, un chêne, un brin d’herbe, une étoile, un tigre, le blé dans le champ… toute chose, sans exception, porte une signification et se trouve en contraste par rapport aux autres choses. Ce sens d’une signification est l’être même, tel qu’il est.
Cela ne veut pas dire que l’ego est une chose ; il s’agit davantage d’une indication de ce que l’on pense être. Il peut être compris comme la saisie, ou l’identité attachée. Descartes disait : Je pense donc je suis. Mais en fait, il avait compris ceci à l’envers. Je suis donc je pense. Un enfant n’est pas né en pensant. Un enfant est dénué de pensée. Il est. L’enfant est en fait dépourvu d’ego.
Le sens de l’ego, ou notre identification avec le royaume de l’expérience, est pareil à un faux vernis. Nous nous définissons par identification, par des impressions, des désirs, des sentiments et des conditions sans fin : «Je suis triste», «je suis heureux», «je suis occupé», «je suis désolé», «je suis important», «je suis malheureux», «je suis aimé», «pas aimé», «sage», «idiot», «j’ai beaucoup de succès» ou «Je suis en échec», «je suis obligé», «je ne suis pas obligé», «je suis protecteur», «je suis déchiré». Tout cela ne représente que quelques-unes des identités auxquelles les êtres humains s’identifient. Ces noms infinis que les humains s’octroient constamment tels que mari, femme, président, jeune, etc. de même que ceux dont ils se débarrassent constamment, d’un instant à l’autre.
Le sens de l’ego est pareil à un masque ; il est comme une référence personnelle de ce que l’on est ou devrait être, ou même, ne devrait pas être. Et pourtant, personne n’est en fait quoi que ce soit de ce auquel il s’identifie ou de ce qu’il pense être. Après tout, ce à quoi l’on s’identifie, n’est rien de plus qu’une expérience qui passe.
Il y a beaucoup de souffrance non résolue dans le sens de l’ego, parce que quelque part au-dedans de nous, nous savons que nous ne sommes pas ce que nous pensons (être). Nous savons que nous ne sommes pas isolés, ni séparés par l’expérience, mais que cette expérience représente un autre champ dans la totalité et que tout ce qui y est contenu est contenu en elle. En d’autres termes, tout ce qui est unique et différent est unifié, par le fait même d’être unique et différent.
À la différence de toute autre expression de vie, les humains, mènent un combat du sens de l’ego pour satisfaire la folie de représenter quelque chose pour quelqu’un. Juste pour proclamer «je suis» (ceci ou cela, ou ceci et cela) à une réflexion dans le miroir. Ceci et cela semble rajouter une touche de maquillage, bien appliquée sur la façade de la personnalité. Et pourtant nous savons que la beauté intrinsèque est en réalité indépendante de tout ce qui peut être enlevé ou rajouté.
Le sens de l’ego, l’identité, est une expression intégrale de la condition humaine. Il s’agit de l’être, enchevêtré dans l’expérience de la vie. Et c’est en devenant mûr, en épuisant une fois pour toutes le sens de l’ego, que l’on est envoyé dans la profonde quête de l’être. La quête de la vue intérieure en soi-même a tant d’expressions, que ce soit au niveau scientifique, créatif, spirituel, pour n’en citer que quelques-unes. Ce sont les limites étroites du sens de l’ego qui nous plongent dans la possibilité de l’illimité. Qu’il s’agisse d’une investigation infinie à l’intérieur de sa propre nature, l’existence, ou d’aller au-delà des dernières limites de l’intelligence.
L’épuisement du sens de l’ego sert à faire avancer la Noble Sagesse au-dedans de nous et de notre vie. Ou alors, le fait de se soumettre aux oscillations du je suis ceci ou cela peut comporter un si grand danger, que toute notre vie peut être broyée, sur une ligne tirée entre moi et toi, ma voie et la tienne.
À ceux qui mûrissent spirituellement – ce qui signifie qu’ils commencent à voir les choses telles qu’elles sont, non colorées par la projection ou ligotées par le conditionnement – il est rappelé sans cesse que le sens de l’ego est l’ennemi d’une compréhension véritable. Ce sens de l’ego doit être abandonné, et il doit l’être complètement, sans quoi aucune clarté n’est possible, tout simplement. Même lorsqu’un sens profond et extrêmement simple de la totalité est compris, même s’il n’est pas une chose, le sens de l’ego est considéré comme une oscillation entre splendeur et ignorance. Le sens de l’ego peut être extrêmement subtil.
Ce n’est pas une question de bien ou de mal, c’est une question de compréhension, ou d’illusion. L’illusion représente également une grande partie de l’expérience de la vie : elle est l’une des possibilités les plus présentes de façon conséquente, offertes par la vie à chacun et à tout instant. En fait, l’illusion a sans cesse ordonné les choses dans ce monde de façon juste. C’est à travers les limites que nous en venons à connaître ce qui se trouve au-delà d’elles. C’est à travers nos erreurs que la sagesse perce, tel un rayon lumineux.
Le sens de l’ego est important, il est le lieu où notre expérience est stockée, il est ce que nous en venons à penser de nous-mêmes. Il ne peut pas, et ne doit pas, être éliminé prématurément, car d’une certaine façon, il est la fondation sur laquelle nous nous tenons. Cependant, cette fondation est, en fin de compte, faite de sable et se modifie par une constante succession d’identités qui traversent notre vie. Plus l’on mûrit, plus l’on va au-delà de ses identités ; et plus l’on se débarrasse de la cape de l’individualité, plus l’on se libère des limites du moi et toi.
En fait, ce sens de l’ego n’a aucune réalité, il n’est rien d’autre qu’une expression. Peut-être l’ego peut-il être considéré comme l’attachement -et l’identification- aux conditions de l’expérience humaine. L’état dépourvu d’ego pourrait, lui, être vu comme la condition inconditionnée de l’expérience humaine. Conditionnée parce qu’elle existe, et inconditionnée parce qu’elle n’est pas contrainte par le conditionnement. Quoi que l’ego soit ou ne soit pas, ceci est naturel. Certains le surmontent, de nombreux autres en sont lourdement encombrés, et pourtant, il s’agit là d’une expérience intégrale de la condition humaine.»
© 2014 Bertrand Duhaime (Douraganandâ). Tous droits réservés. Toute reproduction strictement interdite pour tous les pays du monde. Publié sur : https://www.facebook.com/bertrand.duhaime.
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