par Alyna Rouelle
Liberté et dé-responsabilisation sont bien souvent confondues. La possibilité de suivre le mouvement, de ne plus se poser la moindre question, de laisser faire, vivre et penser, pour nous ceux qui se vantent d’en avoir les moyens, le pouvoir et le droit entrent désormais dans la définition de la représentation que nous avons de la liberté. Il est troublant de constater qu’en fait, nous associons au concept de liberté le droit de choisir son maître.
Dans tous les domaines possibles et imaginables, nous nous en remettons à des maîtres, des arbitres, des gouvernants. Dans le domaine de l’alimentation nous choisissons de faire confiance aux « régents de l’agro-alimentaire », ainsi qu’aux scientifiques qui, et c’est bien déplorable, remplacent aujourd’hui pour beaucoup le discernement et le libre arbitre de chacun.
Tous ces faits nous amènent à un constat insolite mais étonnement réel et actuel : nous ne savons plus ce qu’est la vie, nous ne parvenons plus à la respecter ni la définir, avons oublié comment l’appréhender.
Au-delà de croire, sans trop s’interroger, aux informations incomplètes tout d’abord, mensongères ensuite et criminelles enfin, nous renonçons allègrement aux savoirs ancestraux, aux connaissances instinctives qui maintenaient pourtant depuis des temps immémoriaux notre équilibre avec le vivant ainsi que notre accès au discernement.
Nous tâchons de nos jours de plus en plus de défendre et faire respecter certaines formes de vie que nous considérons comme « redevenues » essentielles, alors que nous passons à côté de ce qu’il nous manque de plus important pour parvenir à un tel rapport : notre faculté de la voir et de la reconnaître ! Combien d’enfants d’aujourd’hui demeurent incapables de répondre à la question : « De ces deux choses, laquelle d’après toi, est vivante ? », voyant posés sur une table un livre et une salade… ? (Je prendrai pour sujet d’un article futur la vie des objets.)
Voici une petite anecdote qui est arrivée récemment à un ami proche. Un petit garçon rend visite à sa grand-mère dans une maison située au cœur d’un bois. Le chien du propriétaire du lieu s’approche de l’enfant et celui-ci l’observe longtemps en fronçant les sourcils avant de demander, agacé : « Ça sert à quoi ça ? » Le monsieur en question, profondément choqué de ces mots concernant son aimé et aimant compagnon de vie, réalisa que l’enfant n’avait pas voulu blesser qui que ce soit, mais avait au contraire fait preuve de curiosité et d’intérêt.
Ceci n’est bien sûr qu’une petit histoire semblable à mille autres, mais elle illustre à quel point, à quel degré le vivant a été chosifié, et comment nous l’avons fait entrer, non sans mal, dans un système de catégories dont les principales sont les suivantes : utile, rentable, commercialisable, fonctionnel.
Combien d’adultes pourtant cultivés et considérés comme sensibles et « évolués » haussent les sourcils et poussent un profond soupir d’agacement et de lassitude lorsqu’on leur dit (certes, pour la mille et unième fois, mais bon on essaie de faire en sorte que ça rentre ! ), que l’escalope, la saucisse ou le steak dans leur assiette est un morceau de chair, un bout de corps, un lambeau de muscle, un fragment du cadavre d’un être vivant, innocent, torturé puis tué…?
Si davantage de personnes réalisent peu à peu que l’animal est un être vivant, plus rares sont ceux à être conscients que les végétaux le sont tout autant ! Si certains considèrent encore que les animaux ne sont que des marchandises, des choses inertes dont l’homme peut disposer, beaucoup commencent à intégrer l’information qu’ils ne sont ni moins sensibles ni moins intelligents que nous. Comment faire entendre et tolérer l’information que je m’apprête pourtant de révéler à ceux qui refusent d’intégrer la réalité que toute forme de vie mérite respect et considération ; quant à ceux qui s’arment, en réaction à ce genre de propos, du discours sur la hiérarchie des espèces, la chaîne alimentaire et la supériorité absolue de l’homme, je réponds que toute supériorité (si rien qu’un instant on accepte cette idée éminemment réductrice afin d’illustrer ce qui suit) est vaine et néfaste si elle ne conduit pas l’être qui s’estime « supérieur » à faire preuve de responsabilité, de compassion, d’intelligence, de noblesse et de supériorité (justement) du jugement et de la pensée et donc, de capacité de remise en question et de prise de décision évolutive pour toute vie. Le fait que notre société scientifique accepte les changements les plus radicaux en matière de technologie, les avancées les plus spectaculaires dans le domaine des communications et des arts de vivre m’amène toujours à sourire doucement lorsqu’un mur épais se dresse encore si souvent à l’évocation de la nécessité de faire évoluer les points de vue dans tout ce qui touche au domaine de l’alimentation de l’homme.
Très tôt durant l’enfance j’ai pu dialoguer avec les êtres humains aussi naturellement qu’avec les animaux et la nature. J’entendais également les pensées des uns et des autres. Je suis donc depuis toujours très fortement choquée et indignée des traitements que l’on peut se permettre de leur infliger. Mais quelle surprise le jour où sur la table de la cuisine, j’entendis de petites voix provenir de la corbeille de fruits ! Combien il fut horrible d’entendre pour les premières fois les hurlements de douleur et d’effroi des légumes épluchés, décapités, découpés, déchirés, broyés, râpés, congelés, ébouillantés, brûlés… vifs ! La similitude avec « écorché vif » est tout à fait volontaire de ma part, car c’est véritablement de cela dont j’étais témoin alors : de supplices, d’êtres vivants suppliciés.
Dans les courants d’alimentation saine, on parle beaucoup d’alimentation vivante. Il s’agit majoritairement d’aliments crus ou peu cuits, de fruits, légumes, racines et céréales complètes, qui sont considérés sains pour l’organisme dans le sens où ce sont des aliments « vivants ».
Combien de railleries ai-je entendu, de moqueries ai-je essuyé… de comparaisons ironiques avec une scène de cette comédie romantique où une jeune femme déplore le fait que les carottes du gratin qu’on lui propose ont été « les victimes d’un meurtre »… !
A certains je souriais, demeurais silencieuse, à d’autre je citais ces mots de Rudolf Steiner : « Quand on cuit l’élément végétal, on fait la même chose que lorsque l’on tue l’animal. » De combien de cuissons douloureuses ai-je été l’horrifiée spectatrice… !
Dans mes liens étroits avec la nature, je me confiais un jour très tristement. Je ne pouvais plus rien consommer : je refusais de manger de la viande, car le visage suppliant du petit être aimant, pur et craintif se dessinait devant mes yeux et me serrait le cœur, et mes aliments favoris criaient, hurlaient, gémissaient lorsque le couteau ou l’économe s’approchait d’eux…
Il me fut alors enseigné que tous les êtres vivants ont le pouvoir d’endormir leurs sens, leur émotions, leurs perceptions, de les anesthésier en quelque sorte, pour servir la vie ou pour faire face à un évènement inévitable. Un vieil arbre prit son propre exemple pour m’expliquer que si un jour des hommes prenaient la décision de le couper, il espérait être prévenu bien à l’avance pour avoir le temps nécessaire à la préparation et au travail qu’il lui faudrait effectuer afin de ne pas endurer le supplice que cela représenterait le cas échéant. J’ajoute une petite note au sujet des arbres et êtres puissants de la nature ; les anéantir sans respect et considération des peines infligées les conduit non seulement à souffrir le martyre, mais les empêche aussi d’avoir le temps de transmettre leurs secrets, leurs sagesses et leurs forces…
M’est apparue, en utilisant cette « méthode », une autre réalité inattendue : la différence « nutritionnelle » entre une pomme remerciée, bénie, honorée, et prête à faire sacrifice de sa vie pour la nôtre, et une pomme saisie et dépecée sans autre forme de procès était déconcertante. Que ceux qui souhaitent faire l’expérience ne s’en privent pas ! Un végétal préparé et remercié pour son sacrifice offre tout son être, toute sa beauté, toute sa richesse, son amour et sa lumière et donc une chair délicieuse, un jus sucré comme nul autre ne le serait, et nourrit comme un cageot entier de fruits ou légumes « méprisés » ne saurait le faire.
Voilà de quoi, je le sais bien par expérience, désappointer plus d’un végétarien ou végétalien pensant n’infliger aucune souffrance inutile ou torturer aucun être vivant… ! Il ne s’agit bien sûr ici nullement de faire froid dans le dos de qui que ce soit, ni de dégouter d’eux-mêmes les mangeurs de salade ou les gourmands de fruits, mais bien au contraire de leur faire découvrir leur gout et leur dimension véritables à côté desquels on passe du fait-même de négliger, oublier ou ignorer le fait qu’ils sont vivants. En tout cas, une chose essentielle doit être soulignée : le facteur des émotions. Nous savons que lorsque nous mangeons la chair d’une créature tuée par l’industrie de la viande, nous absorbons non seulement une viande malade et intoxiquée, mais également tout ce qui s’est inscrit dans les corps de l’animal de son vivant. Est-il utile d’énumérer les sentiments effroyables que ressentent ces cœurs sensibles lorsqu’on les frappe et les maltraite, lorsqu’on les démembre vivants de manière inqualifiable… C’est cet effroi, cette horreur, cette peur insoutenable, ce sentiment d’abandon et de trahison, ces douleurs indescriptibles que nous finissons par regarder avec délice en nous mettant à table. Il n’est pas nécessaire je pense de préciser que si l’on devait tuer soi-même les bêtes pour consommer leur chair, le taux de végétariens dans le monde augmenterait subitement de manière vertigineuse. Nous sommes loin des cris, des regards implorants, du sang qui gicle, nous fermons les oreilles et les yeux sur tout cela… Et nous sommes fort loin aussi de l’horreur qui peut se dérouler dans notre main lorsque notre couteau découpe un ananas, une betterave, une poire…
Et pourtant…
De la même manière qu’un arbre a sa personnalité propre, un cœur qui aime, qui pleure aussi parfois, la salade respire, aime, prie, pleure, rêve, rit.
Nous voilà loin du découpage des aliments en famille de nutriments, n’est ce pas ? Loin de la maladive chosification du vivant, de la dépersonnalisation de tout, de la marchandisation pour le profit des industries de la perdition, du commerce de la destruction. Il est temps de regarder les choses en face ; d’ouvrir grand les yeux, les oreilles, le cœur et l’âme.
Avoir conscience de la Vie, c’est prendre conscience de toute vie ; réaliser que tout Vit.
Manger vivant, s’alimenter sainement, c’est aussi cesser d’ingurgiter sans conscience des corps morts, de la matière inerte, des lambeaux de vies arrachées à des consciences volées.
Alors certes, quand on ne veux « pas se prendre la tête », qu’on veut « vivre », pour citer mon précédent texte, oui, en effet, voilà encore du travail, encore des tâches à accomplir. Travail de conscientisation, de compréhension, de changement radical d’appréhension de son garde manger, même végétalien, changement des conception, représentation et définition que nous avons de l’alimentation… Tâche de s’adresser, tâche de remercier, de bénir, de s’imprégner de ce respect du sacrifice d’une vie pour la perpétuation de la nôtre.
C’est effectuer un pas supplémentaire vers l’Unité que d’accepter que nous ne sommes pas supérieurs à toute autre forme de vie dans ce monde, et que la noblesse, l’humilité et la dignité sont des vertus qu’il nous faut retrouver, ranimer au cœur de nos consciences ensommeillées, aveuglées, tues.
Pour ne citer qu’un exemple, je souhaite vous raconter une petite anecdote, qui en réalité m’arrive encore souvent. Depuis que je me suis pénétrée de la conscience de la vie des plantes, celles-ci le perçoivent, et sur les étals des maraîchers c’est alors un tintamarre de supplications et de demandes effrayées :
-
Oh je t’en prie prends moi avec toi…
-
Oh la la, je t’en supplie, emmène moi avec toi, et toute ma famille aussi… !
-
Pitié, pitié… !
-
S’il te plaît, ne laisse pas ce monsieur me prendre, il est si brutal… !
Bien sûr il faudrait acheter « tout le monde » pour qu’aucun ne demeure triste et apeuré, ce qui est malheureusement impossible… mais cela illustre assez bien la bête ignorance dans laquelle nous maintiennent les « spécialistes » de l’alimentation, les scientifiques de la nutrition, les autorités profiteuses de nos estomacs aveugles, de nos fourchettes sourdes, de nos cœurs fermés.
Allez, on se réveille un bon coup et on arrête de croire qu’il n’y a que l’homme qui souffre quand on le maltraite ; les animaux, les plantes, tout ce qui existe est vivant ! Et dès qu’il y a vie, il y a lumière intérieure, donc un cœur. Cessons de croire de manière sourde et obstinée que ce que l’on ne voit pas, n’entend pas, ne perçoit pas… n’existe pas (!) et que ce que les scientifiques, grassement rémunérés par les dieux du commerce et de l’empoisonnement des corps et des consciences, nous disent ne peut être que vrai, cent pour cent vrai, indiscutablement vrai, plus vrai que vrai.
On relève la tête, on se dresse sur ses deux jambes et on décide de redevenir ici et maintenant un être responsable et lumineux, et on ne mange plus une fraise sans profondément la remercier du sacrifice qu’elle fait pour satisfaire notre appétit et nos besoins physiques, et sans être absolument sûr de lui avoir laissé le temps d’activer en elles l’énergie qui lui permettra, lorsque le couteau s’abattra sur elle, de ne pas en souffrir.
Et si l’on a des doutes, si l’on n’y croit pas trop…? C’est très simple ! On se met deux secondes à la place de la fraise. Et si l’on se sent décidément trop supérieur à elle, on reste soi, mais l’on se visualise entre les mains énormes d’un géant, genre extra-terrestre un peu bourru qui vient de débarquer sur terre et qui se demande ce que c’est que ce petit truc appétissant qui gigote. Aimerait-on que, pour une simple histoire de doute, de preuve non apportée scientifiquement, officiellement, il fasse abstraction du fait que l’on est en vie, que l’on est terrifié ? Aimerait-on qu’il passe outre un processus fort simple qui nous permettrait de ne pas souffrir de cette exécution…?
Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous contenter d’accepter de croire et de penser des paquets d’idées toutes faites : le chat souffre, le chien aussi, mais pas la vache, ni le cochon, et la poule non plus. La rose est sensible mais pas la carotte, ou l’arbre est un être vivant mais pas le poireau. Le papillon a une sensibilité mais pas les abricots, ni les mangues, ni les salades ou les betteraves… Inutile de se cacher derrière des mensonges du genre : l’océan est vivant, mais l’eau de notre douche ou celle que nous buvons n’est qu’un matériau, un produit. On ne peut pas s’indigner d’un geste violent envers un rouge-gorge dans la rue, et accepter que l’on tue de manière ignoble un poisson. Pourquoi, parce qu’un poisson c’est plus con qu’un rouge gorge ? Les chats et les chiens sont sensibles mais un petit poussin élevé horriblement et engraissé pour remplir les ventres, torturé toute sa vie pour finir broyé vivant, lui, ne l’est pas ?
Prenons garde, dans cette gratuite escalade de violences à ne pas perdre la dignité qu’il reste à l’humanité, à l’avenir d’êtres pensants, capables d’intelligence supérieure, de développement intellectuel et d’évolution spirituelle que l’on confie à nos enfants. Le chemin qui mène à la Vérité est celui qu’on emprunte une fois sauté le mur de la séparation, une fois franchi le seuil de la porte de l’Unité. Et l’expérience de l’Unité se vit main dans la main, mains dans les mains, avec tout, toutes et tous, chacune et chacun…
Acceptons d’être Tout, mais aussi que Tout soit Nous ; car Nous + Tout… c’est l’Univers ; et l’Univers, c’est Dieu.
Alyna Rouelle – http://alynarouelle.wix.com/
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