DOIT-IL ETRE AUTORISE ?
Et avec ou sans adoption de nouveaux paradigmes ?
FRANK HATEM : Y a-t-il dans la salle quelqu’un qui ait envie de se marier ?
ALEXANDRE : Avec vous ?
F. H. : Pas dans l’immédiat, je veux parler du Grand Mariage métaphysique. Le seul qui vaille vraiment la peine.
ALEXANDRE : Dommage… Mais qu’entendez-vous par mariage métaphysique ?
F. H. : A votre avis, avec quoi peut-on se marier ?
ALEXANDRE : Comme tout le monde, avec quelqu’un qu’on aime.
F. H. : J’ai dit « avec quoi », je n’ai pas dit « avec qui ». N’oubliez pas qu’avant d’être une personne, vous êtes la conscience. Et la conscience se marie forcément, s’identifie forcément à quelque chose. Et ce quelque chose c’est d’abord votre personne. Vous l’épousez comme on épouse un vêtement. Mais vous n’êtes pas ce vêtement. Il n’y a cependant pas de conscience toute nue, libre de tout corps, même si ce n’est pas un corps physique.
ALEXANDRE : Vous voulez dire que l’incarnation est un mariage obligatoire ?
F. H. : Exactement. Mais s’il est obligatoire de s’habiller pour l’hiver terrestre, le vêtement est une décision dont on est responsable en fonction de ses besoins spirituels. C’est un choix fait avant l’incarnation. Mais on oublie le contrat une fois l’incarnation effectuée.
ALEXANDRE : Vous voulez donc dire que le contrat c’est le projet de vie, et que l’incarnation sert à le réaliser, mais que quand on est incarné, on oublie totalement pourquoi on est venu ?
F. H. : C’est exactement cela. Vous êtes très intelligent. Vous êtes un beau parti, je trouve.
ALEXANDRE : A-t-on vraiment le choix ?
F. H. : Peut-être pas davantage que dans nos vies sentimentales… Mais ce qui compte, c’est d’avoir un corps qui soit le bon pour l’usage qu’on doit en faire. Vous avez un corps, Monsieur ?
ALEXANDRE : Oui, j’ai un corps.
F. H. : J’aime vous l’entendre dire. Vous n’êtes donc pas ce corps puisque vous AVEZ un corps. Il y a vous, la conscience. Et par ailleurs le corps auquel vous vous identifiez c’est autre chose. (même si c’est intérieur à votre conscience et que cela en fait partie). Ce corps vous ne l’êtes pas strictement en fait. Eh bien ce corps auquel vous êtes pour l’instant marié, n’est qu’une préparation pour d’autres épousailles, sachez-le, et c’est de cet autre mariage que nous parlons.
Le Grand Mariage métaphysique c’est un autre choix, un choix que seul votre premier corps permet : considérer que votre vrai vêtement c’est l’univers tout entier.
On incarne un univers, pas seulement le corps qui lui donne son sens.
S’en apercevoir, et dire « oui », c’est les noces métaphysiques.
ALEXANDRE : C’est possible, cela ?
F. H. : Pas tout à fait, vous avez raison, ce n’est pas à proprement parler totalement possible. Mais c’est pourtant pour ce but que nous sommes tous là. L’incarnation personnelle n’est pas un but, c’est un moyen. Un sas pour incarner tout un univers. Et comme le but, vous le savez, n’est pas accessible, il va falloir vivre de solutions intermédiaire. Ces solutions intermédiaires, c’est notre sphère relationnelle.
Ou bien votre énergie est consacrée en priorité à ce corps personnel, ou bien elle est consacrée à autrui, qui devient la priorité. L’outil ne doit pas être la priorité. La priorité c’est la mission de l’outil, et c’est ce qui permet la réalisation de votre mission de vie.
Tant que vous vous préoccupez à l’excès de l’outil, en quelque sorte que votre préoccupation est d’abord votre bonheur ou votre réussite personnels, vos propriétés, vos pouvoirs, vos plaisirs, c’est que vous, conscience, n’êtes pas totalement incarnée, puisque votre personnalité reste un objet extérieur que vous façonnez. Et ce faisant, l’outil devient un but et non plus un moyen.
Réaliser sa vie, c’est être totalement uni à ce corps qui est l’outil du but et non le but lui-même. Lorsqu’on se consacre à l’outil, si c’est la préoccupation principale, on ne peut plus s’en servir pour réaliser la mission d’outil qui est la sienne. Etre vraiment incarné c’est être l’outil. Ce n’est pas avoir un outil. Mais personne n’est totalement incarné, personne n’est totalement l’outil. En fait, s’incarner totalement dans une personnalité, ce serait s’unir à l’univers tout entier, car on s’aperçoit alors qu’il n’y a pas de différence, pas de frontière entre soi et l’autre. Le corps est l’ambassadeur de l’univers.
Cette frontière ne peut être que le corps personnel, et c’est ce qui se passe lorsque, précisément pour préserver cette frontière, on conserve le corps comme un objet précieux donc un peu « extérieur ».
Alors que si je suis l’outil, je n’ai de cesse que de l’user à la réalisation de ses fonctions, sinon je ne suis rien. C’est aussi ce que signifie l’expression « l’ego doit être un serviteur et non le maître ».
Et donc vous comprenez ce qui est le plus important sans tourner autour du pot : ce n’est que en vous incarnant totalement avec ce corps que vous vous unissez au cosmos. Incarner l’outil, ce n’est pas le bichonner, c’est servir en tant qu’outil. Vous voyez la différence ? Considérer l’ego comme la priorité à défendre, pour avoir raison, pour avoir du pouvoir sur les autres, ce n’est pas être incarné. Etre incarné, c’est être l’outil lui-même, être identifié à la mission de l’ego, car le corps n’est que cela : une mission.
L’univers tout entier est résumé par votre corps, et ce n’est que parce que vous n’êtes pas parfaitement incarné que vous avez le sentiment que le cosmos vous est étranger. Et par suite, vous pouvez fort bien (même si c’est paradoxal) maltraiter ce corps et cet univers qui pour vous sont des objets alors que c’est le « sujet » : Soi. Qu’on entretient soigneusement pour qu’il puisse mener sa mission jusqu’au bout.
Et donc si je ne suis pas totalement un avec ce corps, par attachement à ce corps et à cette personnalité en fait, qui me permet de me distinguer des autres, donc en ne vous impliquant pas totalement dans cette incarnation, vous vous privez de votre réalisation. S’attacher à l’ego c’est en nier la vérité. Sa vérité c’est de servir jusqu’au bout sans cet attachement qui conduirait à mesurer ses efforts. C’est la différence entre les gens qui sont bourrés d’énergie, toujours passionnés, magiques, et les autres. Se réaliser pleinement c’est s’unir à l’univers tout entier dont on est le moyen. Le corps d’une personnalité est le germe d’un univers qui est une invitation, un projet de par ce qu’on veut en faire, jamais abouti. Dans une graine il y a tout l’arbre. Dans une goutte de pluie il y a toute la pluie.
Je ne suis donc pas sur Terre pour me demander ce que je peux prendre, ce que je peux gagner, quelle petite vie je vais pouvoir m’approprier au détriment des autres, de la nature ou de la vie. Tout cela est une négation de l’incarnation, liée évidemment à une peur de la mort, la mort de l’ego. Mais l’ego est mort d’avance s’il ne sert à rien.
C’est pourquoi les grands homme, les hommes réalisés, sont totalement unis à leur corps, bien qu’ils ne sont pas véritablement leur corps puisqu’ils sont en réalité la conscience. Joli paradoxe. C’est dans la particule atomique que se trouve la totalité de l’énergie universelle et on ne peut pas la toucher ailleurs. La conscience n’est pas l’univers, mais elle s’exprime dans la totalité de l’univers. Elle est manifestée dans cela, sous une multitude de formes personnelles.
ALEXANDRE : Moi, je pense qu’il n’y a pas qu’une seule conscience. Il y a la conscience personnelle mais il y a aussi la Grande Conscience universelle.
F. H. : Qui dit conscience dit conscience. La conscience c’est vous parce que vous êtes conscience. Si vous me parlez d’autre chose que vous n’êtes pas, je vous dis que vous n’avez pas le droit de la qualifier de conscience.
Une conscience hypothétique est un non-sens.
La seule justification possible à votre hypothèse, ce serait vous, car vous êtes l’unique conscience que vous puissiez qualifier ainsi. Vouloir qu’il y en ait deux ou davantage, ou de natures différentes, se comprend et s’explique, mais c’est une erreur funeste qui vous prive de toute compréhension et de toute certitude. Erreur habituelle, j’en conviens, mais précisément si on fait de la Métaphysique, ce n’est pas pour s’en tenir aux visions habituelles qui font quotiennement la preuve de leur stérilité.
La Métaphysique interdit toute hypothèse ou supposition car elle n’est pas physique et donc ne permet aucune vérification. Il faut s’en tenir à la certitude de ce qui est, et ce qui est, c’est soi-conscience. Et cela suffit pour tout expliquer.
Dans le même ordre d’évidence, la conscience n’est pas l’univers car il n’y a pas d’univers, il n’y a que des formes qui changent tout le temps. Et la conscience est présente, donc nulle en durée, alors que la notion d’univers suppose la durée.
Elle, la conscience, transcende tous ces changements apparents et est immuable en tant que présent conscient. De la même façon nos egos sont transcendés par ce qu’on appelle notre « âme » et qui est en fait le processus d’incarnation, de manifestation d’espace-temps dans la conscience. Je dis bien DANS la conscience. Ce n’est pas nous qui sommes dans l’espace et le temps, c’est l’espace et le temps qui sont en nous.
ALEXANDRE : Je ne voudrais pas monopoliser la parole, il y a peut-être d’autres personnes qui voudraient échanger, mais si je comprends bien, c’est parce qu’on ne s’unit pas assez à son corps personnel qu’on est en recherche de réalisation spirituelle ? Si on s’incarne assez, on est réalisé ? Ce qui voudrait dire dire qu’il n’y aurait plus de quête sexuelle par exemple à ce moment-là.,
F. H. : C’est vrai, et vous avez raison de remarquer une chose essentielle : la quête spirituelle est liée à une incarnation partielle, et c’est cette recherche spirituelle qui est la cause de votre recherche sexuelle : c’est parce que vous ne vous unissez pas totalement à votre incarnation universelle que vous cherchez à vous unir à d’autres corps tout aussi partiels et provisoires que celui que vous défendez, et cela pourra durer tant que vous n’aurez pas fait une paix totale, un amour total, avec votre incarnation présente. Cela dit, est-il possible de s’unir totalement à cette incarnation présente ? C’est difficile puisque l’incarnation est provisoire et changeante, alors que la conscience que je suis est constante. La seule possibilité est l’union avec le changement lui-même. Et non avec un univers particulier, avec un ego. C’est cela remplir sa mission de vie. C’est aimer changer soi et l’univers vers et dans une paix de plus en plus grande. Quelle que soit la forme que prend cette mission.
Notre condition humaine, sexuelle notamment à certaines époques de la vie, est une recherche spirituelle inextinguible. Cette quête spirituelle dépassera même la condition humaine : lorsque je cesserai de m’incarner dans l’humain, je m’incarnerai dans autre chose pour continuer cette recherche. J’aurai fait le maximum pour faire en sorte que « rien de ce qui est humain ne me soit étranger », mais cet aboutissement ne sera qu’un commencement pour autre chose de sur-humain.
L’incarnation est toujours partielle, et c’est pourquoi elle est toujours soit sexuelle, soit spirituelle, soit les deux. Et en général les deux évidemment. Les deux ont le même objectif : l’union totale avec le Tout, et cela passe par la recherche de l’union totale avec une personne. Et dans les deux cas. Car même quand on est totalement consacré à sa mission spirituelle, c’est généralement personne par personne que cela se fait.
La différence, c’est qu’au début, la recherche sexuelle fait qu’on ne veut pas que l’autre change, alors que dans le second, on fait tout pour qu’il change. On choisit le mouvement au lieu de choisir la matière.
Il n’y a alors aucun attachement à aider, ni à la personne à aider : ce serait simplement chercher égotiquement à être « sauveur », ce qui conduirait à vouloir entretenir le manque ou le besoin que l’autre ressent. Par contre le juste aide comme il respire. Aider c’est être en empathie totale avec une personne, une personne à la fois le plus souvent, parfois avec un peuple, mais un seul à la fois, jusqu’à ce que ce soit l’humanité (« Buddhi ») ou la planète, mais une humanité à la fois, avant que ce soit l’univers… (« Atma »).
Il n’est pas facile de sauver deux noyés en même temps ou de guérir deux personnes en même temps. On peut enseigner à plusieurs personnes en même temps, certes, ou avoir des actions qui aident ou sauvent beaucoup de personnes, d’animaux ou d’autres êtres, mais c’est le même type de relation qui est recherché. Mon contact avec chacun d’entre vous est partiel. Je ne peux pas tout faire et tout dire pour chacun. Par contre, vous qui m’interpellez, je peux approfondir notre relation. Et à la limite, si j’épouse totalement l’autre, j’épouse l’univers. Je ne pourrai jamais m’unir à l’univers globalement, bien que ce soit le but de la méditation, tentative louable, utile et nécessaire, impossible dans l’absolu. Mais après tout être absolument uni à vous est également impossible. Ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à faire l’un ou l’autre, au contraire, la vie est un projet. Le résultat ne nous appartient pas.
La Grande Noce alchimique (les Alchimistes parlent beaucoup dans ce langage d’union symbolique entre l’esprit et la matière) est et reste un but, mais n’est jamais totalement et définitivement réalisé. Cela dit, cette union alchimique, qui consiste à ne plus s’identifier à un corps personnel mais au Grand Corps universel (ce qui fait dire aux Alchimistes que la Pierre Philosophale ne consiste pas à changer d’esprit mais à changer de CORPS), se réalise plus ou moins dans l’Illumination, et pour un être humain, on peut concevoir que c’est un aboutissement. Mais d’un point de vue métaphysique, c’est seulement un nouveau point de départ. Je ne vais pas revenir là-dessus. Je veux seulement mettre en évidence que l’incarnation insuffisante conduit à la quête sexuelle insatisfaisante, directement liée à la peur de la solitude, au sentiment soigneusement entretenu (inconsciemment) d’être séparé des autres, à la peur d’être totalement le corps pour ne pas trop souffrir avec le corps.
Mais si je m’incarne totalement, alors je suis UN avec le Tout, et dans ce cas il n’y a plus de manque, ni sexuel ni spirituel.
IGNACIO : Comment fait-on pour s’incarner totalement ?
F. H. : C’est ce que j’essaie de faire. Parce que j’ai le sentiment que pour s’incarner il faut cesser d’avoir peur, peur du Néant bien sûr, mais avant cela peur de souffrir, et même peur d’avoir une relation extérieure qui remette en cause l’ego. Tout cela n’est que peur de l’Infini, peur du changement permanent, peur de la solitude et de sa toute-puissante responsabilité. Déjà avoir un peu de responsabilités, prendre un peu de vraies décisions, c’est déjà beaucoup, car on est très seul dans ces circonstances. C’est un début.
Et pour cesser d’avoir peur de cette solitude, j’ai pensé qu’il fallait la comprendre. L’épouser. Et comment comprendre ce que c’est que soi sans passer par l’abstraction métaphysique la plus profonde ? Sortir des apparences sensorielles qui nous attachent au temps et à l’espace.
S’incarner est le plus grand défi de l’Etre. Il n’y a que ça. Tout le reste en dépend. C’est pour beaucoup d’entre nous une grande panique au moment de sauter le pas, même si, quand on ne se croit encore qu’un spermatozoÏde en concurrence avec tous les autres, on ne se rend pas compte des conséquences, on ignore pourquoi on a fait ce choix, car déjà le conscient s’est cristallisé pour oublier ce qu’il fait là. Il n’y a plus que le développement de la sensation de matière qui compte.
Pour beaucoup d’entre nous, s’incarner apparaît comme une épreuve, un regret, voire une punition. Et cela n’aide pas à en épouser toutes les dimensions jusqu’aux plus grandes profondeurs de la vie. Beaucoup vivent toute leur vie avec la nostalgie confuse d’un monde sans corps, sans conflits, sans désirs. Alors pour s’y habituer, l’accepter, et, mieux encore, prendre cette bénédiction qu’est la vie à bras le corps pour ne pas en perdre une goutte, il y a un long chemin à faire de reconnaissance de cette vie comme le seul moyen, pour l’Absolu, de se manifester. Sans tous les finis, pas d’infini.
Sans mon ego après tous les précédents et avant tous les suivants, pas de possibilité de poursuivre le projet que je suis.
Sans incarnation, pas de joie de se rapprocher du But.
Sans souffrances, pas de changement, et pas de réalisation.
Alors comment accepter ce qui, par bien des côtés, peut apparaître comme une malédiction, si on n’a aucune notion, aucune vision, de ce but, de ce projet, de cette réalisation cosmique qui seule est et anime les univers ?
C’est la Connaissance qui fait aimer la vie quand l’amour n’est pas assez là..