par Alyna Rouelle
« (…) ce dont la nature a besoin est disponible et servi.
C’est pour des biens superflus qu’on transpire ; ce sont ceux qui usent la toge, qui nous contraignent à vieillir sous la tente, qui nous jettent sur les rivages étrangers : à portée de la main est ce qui suffit. Celui qui s’adapte bien à la pauvreté est riche. Porte-toi bien. »
C’est ainsi que Sénèque achève la quatrième lettre qu’il adresse à Lucilius.
« A portée de la main est ce qui suffit. »
Voilà qui amène à penser ; qui sécrète dans l’esprit doutes et questionnements. Quel sens peut-on encore donner au concept de pauvreté lorsqu’il est employé pour désigner un état où tout ce qui suffit à l’homme lui est donné, offert, lui est même « inné », propre ? L’idée de la pauvreté ne peut plus, ici, être opposée à celle de la richesse ; elle prend source ailleurs que dans le domaine des possessions, des accessions, des gains.
Nos dictionnaires modernes nous livrent une définition bien précise de la pauvreté : le terme désigne l’état d’une personne qui manque de moyens et de ressources. Cette personne pauvre, enfin, est décrite comme manquant de l’essentiel, n’ayant pas accès à un strict fondamental, étant privée des moyens nécessaires pour subvenir à ses besoins. On associe au terme pauvre des qualificatifs synonymes tels que misérable, démuni, dépourvu, privé, malheureux… De nombreux textes antiques, philosophiques, mystiques, médicaux même parfois affirment, à l’inverse, que la pauvreté de moyens révèle la richesse véritable ; au delà de la découvrir par une technique d’opposition, l’exposition du négatif de l’image vraie de la richesse, ils en inversent les valeurs. Dans la mesure où il s’agit de possessions matérielles, évènementielles, sociales, où l’on parle des domaines et objets accessibles par le gain ou les circonstances sociales, de pouvoir, d’influence, la pauvreté devient richesse et la richesse est pauvreté.
J’entreprends ici de déterminer et de définir, autant que faire se peut, l’étroite séparation qui subsiste entre les principes de besoin et de nécessité, entre ce qui suffit et ce qui est de trop, entre richesse et pauvreté, entre puissance et faiblesse, entre souveraineté de soi et victimisation par ce qui est « autre ».
Durant mon parcours vers la nutrition par la lumière, la vision de ce qui constituait auparavant mes « besoins vitaux » s’est trouvée quelque peu reconsidérée, re-visitée, considérablement transformée. Les concepts de vie et de mort ont également subi une modification de placement, un changement de définition ; il m’a chaque jour fallu mourir pour renaître différemment ; il m’a chaque jour fallu faire face et traverser la mort (et même des morts) pour accéder à la vie.
Lorsque pour exprimer ma pensée et l’état d’être dans lequel je me trouve, j’emploie l’expression « je n’ai besoin de rien », cette affirmation dérange ; au delà même de déranger, elle est obscure pour beaucoup, abstraite, floue.
Une des choses les plus difficiles à abandonner derrière soi pour franchir l’étape finale, monter la dernière marche, dépasser le seuil ultime est celle d’accepter l’inutilité même des besoins. Leur caractère presque démoniaque, maléfique dans un premier temps ; leur insignifiance, leur superficialité et leur nature illusoire dans un second ; pour finir : leur inexistence.
« Je n’ai besoin de rien », voilà ce qu’il est si redoutable de se dire, telle est la conscience la plus difficile à acquérir et intégrer totalement. Je n’ai besoin de rien, dit le sage, pour vivre heureux.
Le concept de besoin, de nécessité, est associé à ceux de crainte mais aussi d’espoir. Toute notre vie nous espérons acquérir un certains nombre de choses, nous espérons parvenir à posséder ou réaliser la plus grande majorité d’entre elles, et toute notre vie nous craignons de ne pas les acquérir, de ne pas réussir à les posséder, de ne pas parvenir à les réaliser. Hécaton nous livre à ce sujet un précepte d’une sagesse infinie, d’une lucidité exemplaire sur ce que nous passons nos vies à éprouver en lieu et place du bonheur d’être et de la joie d’exister : l’espoir et la crainte ; « Tu cesseras de craindre, si tu as cessé d’espérer. »
Si le principe d’espoir est toujours lié à celui de crainte, le besoin est indissociable de la frayeur, de la peur, de l’effroi. Derrière cette ostensible contradiction se cache le lien le plus solide et le plus fort, la relation la plus étroite entre les sentiments de peur et d’espérance.
Notre rapport au temps n’est pas étranger à cette opposition de sentiments et de pensées. La cause principale de ces contradictions ? Notre absence dans le présent. Hantés par des peurs rétrospectives, des espoirs passés, des souvenirs de craintes éprouvées, et habités d’autant de projections semblables dans les futurs, proches ou lointains que nous envisageons, nous subissons un supplice permanent : écartelés entre un passé et un futur que pour l’un nous n’habitons plus et que, pour l’autre, nous n’habitons pas encore. Nous revivons les espoirs et les craintes du passé ; nous anticipons ceux de l’avenir.
Au fil de nos espoirs de possession, de victoire et de gain et de nos peurs de perte et d’échec, nous laissons filer le temps, le présent si précieux. Au delà de sa préciosité, il est l’unique temporalité que nous pouvons maîtriser, façonner, créer.
S’il y a eu dans l’exercice de l’anticipation des maux et de la mort une sagesse constructive, force est de remarquer que ce n’est pas le sage entraînement que préconisaient les grecs que nous vivons au quotidien, mais une passivité et une faiblesse face et en deçà des forces dominatrices et avilissantes des émotions qui nous submergent.
La Praemeditatio malorum telle que les grecs la pratiquaient était un véritable exercice, une préparation par épreuve et expérimentation d’une non-réalité par un exercice de pensée destiné à affermir l’être et ses sens afin que l’individu soit de toute part préparé, armé, muni lorsqu’un mal viendra le frapper. C’était une ascèse de l’être dans sa globalité qui forgeait non seulement l’endurance et l’adaptabilité aux situations considérées comme porteuses de souffrances, mais enseignait aussi la distance, la fermeté et la résistance aux émotions et sensations qu’elles pouvaient faire naître et donner à vivre et traverser. Cet entraînement consistait non pas à pénétrer l’individu de la conscience que le pire peut et va lui arriver, mais à le former de telle sorte que si et lorsque cela se produit, il dispose d’un discernement et d’une autorité suffisants sur ce qu’il éprouve et vit pour ne pas s’en retrouver l’esclave. C’est la souveraineté de l’être sur tout ce qu’il vit, endure et expérimente qu’avait pour but et résultat la praemeditatio malorum (la préméditation des malheurs et des maux), autant que la meletê thanatou (la méditation de la mort).
Il ne s’agissait en aucun cas de pensées abstraites, de visualisations lointaines, d’images ou de représentations de l’esprit, ni de conceptions imaginaires de l’avenir, mais d’un véritable anéantissement de l’emprise arbitraire et de l’autorité tyrannique que peut avoir sur l’individu la pensée et la représentation de l’avenir.
Être conscient de son passé, accepter son passé, l’aimer après avoir pardonné à tous ceux qui l’ont peuplé et s’être pardonné à soi, être préparé aux éventualités de l’avenir, les aimer et les respecter en étant tout puissant et capable de toute autorité sur lui sont précisément les « armes », les outils nécessaires à qui souhaite vivre au présent.
Être, Vivre, ne consiste pas en un oubli de ce qui n’est plus ni dans un refus de ce qui n’est pas encore, mais dans une perception totale de ce qui Est.
Les premiers mots qu’adresse Sénèque à Lucilius dans ses lettres sont significatifs de la valeur qu’il accorde au présent, ainsi qu’à l’extrême nécessité d’étendre sur tout ce qui constitue l’être une sage et pleine maîtrise : « Fais-le mon cher Lucilius : affirme ta propriété sur toi-même. » Il termine le premier paragraphe par ceci : « Veux-tu y prêter attention : une grande partie de la vie s’écoule à mal faire, la plus grande à ne rien faire, la vie tout entière à faire autre chose. »
Si j’emprunte à la philosophie ses formes et ses mots pour illustrer ici mon propos, c’est pour bien ancrer dans mon discours « moderne », actuel, contemporain, l’intemporalité justement et l’ancienneté de ces principes d’Être au présent, d’Acceptation de ce qui est, de Création de la réalité.
Pour citer à nouveau mon expérience personnelle, le cheminement vers la nutrition par la lumière a été non seulement une succession d’initiations mais aussi de réminiscences. Initiations tout d’abord à la vie, à la mort, à la joie et à la souffrance, face à mes puissances et mes faiblesses ; réminiscence ensuite des valeurs essentielles, des besoins véritables, des intelligences et sagesses enfouies, oubliées ; découverte enfin de la dimension réelle de chacun de ces objets.
L’inévitable peur ressentie, éprouvée lors de l’entrée dans cette voie de la lumière est bien évidemment celle des maux, mais avant tout celle de la mort.
La lumière illumine, éclaire, et par là même débusque, dévoile, fait ressortir toutes les zones d’ombre que nous préférons laisser dans les coins. Si nous considérons une existence comme une pièce, celle-ci, tant qu’elle se trouve plongée dans une certaine obscurité ne présente rien d’insupportable : on appréhende l’espace disponible, on en apprécie les dimensions et l’ameublement proposés, la vue aussi qu’offrent les ouvertures sur l’extérieur. Sitôt que l’on allume la lumière, et autorisons-nous à imaginer un éclairage puissant, les moutons de poussière apparaissent, la crasse se fait visible, la saleté saute aux yeux. D’un endroit de prime abord paisible et sûr nous abordons un espace où tout donne à éprouver l’insécurité, le malaise, la peur, le dégoût. Le premier réflexe n’est pas bien entendu de retrousser ses manches, mais d’éteindre la lumière ; d’oublier les visions malsaines, de remiser les peines et souffrances que la considération lucide de l’endroit a fait naître ou remonter.
S’engager sur la voie de la lumière n’a rien de facile ni d’évident. L’ombre est plus confortable et demande moins d’effort, requiert moins d’énergie et donne considérablement moins de fil à retordre. Une fois encore c’est l’exercice qui sauve la mise du chercheur de lumière. L’exercice et la préparation ; le cœur préparé et l’âme disciplinée permettent l’effort conscient et l’accomplissement des tâches essentielles.
S’il est très difficile d’accéder à cette nutrition par la lumière c’est précisément parce qu’il est inévitable de passer par une remise en question de tout ce que l’on considérait comme vital, essentiel, fondamental, nécessaire… acquis. Si l’on n’a plus besoin de manger pour vivre et pour vivre heureux, que devient alors tout ce qui, en dehors de l’alimentation, constituait le champs des besoins ? Si un domaine aussi fondamental que celui de la nourriture peut être à ce point transformé, quel statut donner alors à tous les autres ?
On m’a souvent exprimé la gêne ressentie lorsque j’abordais ce thème : « nous n’avons besoin de rien ». « Nous avons besoin d’avoir des amis » me répondait-on parfois.
L’indépendance que donne la nutrition par la lumière lorsqu’elle est vécue dans la globalité de l’être et dans la totalité des domaines de l’existence est absolue. Mais ne pas avoir besoin de quoi que ce soit pour vivre heureux ne signifie pas devoir renoncer à toute joie d’amitié, d’amour ni de partage au sein de l’existence. Ne pas avoir besoin du regard ou de l’amour de l’autre ou des autres ne veut pas dire qu’il y ait dans l’individu une extinction du bonheur que sont capables de lui procurer ou de créer en lui ce regard et cet amour. La liberté véritable consiste à pouvoir être heureux dans l’avec autant que dans le sans ; se suffire à soi-même est la clé de toute vie libre et de toute existence pénétrée de Joie vraie. N’avoir besoin de rien, se suffire à soi-même ne signifie pas vouloir n’avoir rien, ni vouloir être seul, mais le pouvoir.
Il s’agit encore une fois de distinguer du point de vue du sens, deux termes bien trop souvent définis comme étant synonymes : le besoin et le manque. On peut n’avoir besoin de rien mais manquer de tout : à l’inverse, on peut avoir besoin de beaucoup de choses sans manquer jamais de rien.
Là encore nous rejoignons le principe d’unité. L’Un ne peut rien perdre, car Il est Tout. Et si tout est en lui, rien ne peut lui être retiré, enlevé, car la source même de la force qui peut retirer se trouve à l’intérieur de lui. Empruntons aux Grecs l’image, puissante, d’un homme à qui l’on a pris femme, enfant, félicité, domaine, fortune, amis, pouvoir et à qui l’on demande, jouissant à l’avance de la souffrance que cela promet d’engendrer en lui : « As-tu perdu quelque chose ? » Ôtant la victoire à son ennemi avant même qu’il ne la savoure, l’homme qui se suffit à lui-même répond : « Tous mes biens sont avec moi. Je n’ai rien perdu, tout ce qui est à moi est avec moi. » Il n’est bien sûr pas question ici de décrire (et encore moins d’idéaliser) une personne incapable d’amour, de compassion, d’amitié ou de plaisir, mais bien au contraire de montrer la grandeur et l’impénétrabilité d’une âme qui sait trouver le bonheur le plus pur et le plus puissant en elle-même.
De la même manière, le sage n’a pas besoin d’aller au village pour profiter de la fête et répond au jeune garçon déconcerté qui lui reproche de rester seul dans sa grotte : « Je ne suis ni dans cette grotte, ni à l’écart de la fête, ni loin de vous. Je suis la grotte, je suis la fête et je suis vous. Tout se déroule en moi. »
Deux manières différentes (choisies parmi des milliers d’autres) d’exprimer une unique vérité fondamentale : « A portée de la main est ce qui suffit » ; « Tous mes biens sont avec moi » ; « Tout se déroule en moi ».
C’est trouver la liberté que sortir du besoin ; c’est se défaire de la dépendance et donc de la vulnérabilité. Et l’on aime davantage et plus intensément lorsque l’amour que l’autre peut nous porter n’est plus pour nous un besoin, mais un présent, un bien précieux. On ne vit pleinement la Joie que lorsque l’on n’a plus besoin d’elle, besoin de la prétendre, besoin de l’entendre, besoin de la voir ou d’y croire.
On ne fait l’expérience de la vie que lorsqu’on cesse d’avoir besoin de vivre, et que l’on accepte d’être vivant, d’être la Vie.
On cesse d’avoir besoin de Dieu, de manquer de Dieu quand on pénètre en soi, et que l’on y trouve Dieu…
Il n’est d’aucune utilité de se confondre en analyses de la séparation, en tentatives de compréhension, en jugement du mal, du laid, du mauvais, du tordu : en l’homme se trouve le droit, le beau, le bien, l’Un.
Si le principe d’ascèse est indissociable de l’accession à cette liberté, cette indépendance, et cet état d’être, il convient de dissiper de malheureuses confusions autour de ce concept, et en quelque sorte de le désensabler afin d’en saisir non seulement la signification véritable, mais aussi de rendre visibles les ouvertures qu’il permet et les possibilités qu’il promet. Le mot ascèse vient du grec askésis qui signifie exercice. Pour être sûre de ne pas me lancer dans une description de ce à quoi cet exercice donne accès, basé sur un malentendu ou une incompréhension liée à ce mot même, je propose de laisser de côté le cliché selon lequel un ascète est un être retiré du monde, vivant dans le manque et la frustration, et dont l’existence est une succession de sécheresses et privations à tous les niveaux. Considérons, comme nous l’indique la traduction littérale du mot grec, qu’un ascète est un exerçant, un être pratiquant donc actif, employé perpétuellement à l’étude et à l’entraînement (au sens de travail de perfectionnement, d’évolution et de progrès) de lui-même.
C’est à cette méprise discursive, à cette erreur de formule et de dénomination que nous devons aujourd’hui l’abîme entre l’ascète et son oeuvre quotidienne de maîtrise de soi et l’individu aspirant à une vie de plaisirs et d’accomplissements. Dès lors qu’une place plus importante se fait à la connaissance de soi et à la recherche de vérité, l’ascèse est aussitôt écartée du champ des idées, des moyens et des éventuelles possibilités à mettre en place pour y accéder. On considère qu’au sein de celle-ci, le plaisir disparaît. S’il est vrai que pour parvenir aux plaisirs différents qu’offre une telle pratique de soi il faut renoncer à ceux, bien connus que l’on trouve si confortables ; il est fâcheux d’observer que dans beaucoup d’esprits, les joies qu’autorise (car l’on considère l’ascèse comme une entité autorisant ou interdisant, permettant ou refusant) l’ascèse sont inférieures, que ses plaisirs sont tristes et ses saveurs fades.
Tous les récits ascétiques, ainsi que nombre de traités, essais, romans qui y sont consacrés garantissent une seule finalité : dans l’exercice de soi apparaissent la vraie joie, la jouissance pure et pleine, sans désir et sans peur, l’avènement de la Vérité. Cette vérité n’est pas à comprendre ici en termes de vrai ou de faux, ni même à circonvenir à l’intérieur d’un vocabulaire destiné au discours, à la parole, ni même à la révélation, mais s’adresse directement au domaine de l’expérience. Le principe d’ascèse ne consiste pas en un rituel de privation, d’acceptation des peines et des malheurs et d’endurance du pire ; elle ne se constitue pas non plus d’un ensemble d’idées, de préceptes et de leçons sur lesquels il faut se pencher pour en analyser, en étudier puis en comprendre les enseignements. S’il existe, dans l’histoire discursive de l’ascèse, des prescriptions, des recommandations, des lois et des règles, c’est qu’elles tenaient lieu de guide dans l’action et d’exemple à l’expérience. Leur valeur se situe dans ce qu’elles permettent d’appliquer, d’exécuter et de réaliser soi-même et sur soi-même ce que d’autres, auparavant, ont pris soin de consigner des découvertes que leur ont permis ces activités et travaux.
Le paradoxe aujourd’hui est gigantesque : on associe presque l’ascèse à la folie, à la perte de bon sens, on la désigne comme étant un acte de rébellion, comme l’exaltation d’une asocialité maladive. On en fait un synonyme d’inadaptation, de renfermement sur soi ; on a peur de voir dans l’ascète l’émergence d’actions concrètes et utiles au monde. Si l’on ne parvient à le tolérer qu’en usant de pitié, de mépris, d’indifférence ou d’admiration, c’est sans se douter que derrière ces quatre attitudes se cache toujours la même contradiction, le même duel de sentiments : l’espoir et la crainte, le désir et la peur, l’envie et l’aversion. Espoir de connaître la Vérité, de se découvrir soi-même et d’être utile au monde, crainte d’avoir à changer, à se transformer pour y parvenir ; désir d’accéder au Plaisir suprême, à la Jouissance pure et à la liberté, et peur d’abandonner et de renoncer aux plaisirs-prisons et aux conforts-carcans ; envie de se purifier, de se perfectionner, d’évoluer, et aversion pour les noirceurs et les ombres qu’il faudra regarder en face, qu’il faudra éprouver pour atteindre la lumière.
Tout ce qui veille à la sauvegarde du confort, de la sécurité et des plaisirs est illusion ; le long travail continu et assidu qu’il faut entreprendre, les progrès mais aussi les échecs provisoires et passagers qu’il faut savoir prévoir, le perpétuel recommencement auquel il faut, en conséquence, se préparer, le mouvement ininterrompu auquel il faut se rythmer soi-même pour avancer, la possibilité, toujours ouverte, d’un retour en arrière, les épreuves à endurer, les questions auxquelles trouver réponses, les présences à reconnaître et supporter, tout cela semble éprouvant. Ne risquons-nous pas, au cours de ces travaux, au fil de ces exercices, de disparaître ? Notre être intérieur ne risque-t-il pas, à force d’épreuves, de fondre et de se changer en poussière ? Ne risquons-nous pas, si cela prend trop de temps, de nous user, de nous figer, de nous perdre ? Est-il certain que cette ascèse qui promet tant conservera son horizon merveilleux et ses trésors une fois qu’engagés suffisamment loin sur le chemin nous ne saurons plus revenir sur nos pas ?
La liberté peut être redoutée, elle peut être espérée, mais dans aucun de ces deux cas de figure elle ne se donne à vivre. La vérité peut être entendue, elle peut être comprise, mais elle se doit d’être vécue. L’Unité n’est pas une idée, elle n’est ni un principe ni un concept, elle ne se résume pas à un courant de pensée, ni à une forme de discours. Ce n’est pas une abstraction mais un évènement. On ne peut la regarder, l’entendre, la percevoir, on ne peut que la vivre.
Dans nos sociétés où la peur de la Vérité étend son pouvoir sur tous les plans et dans tous les domaines, il en est un qui échappe à son emprise ; et le moyen, le procédé, le filtre qui protège et garantit la Liberté, l’Unité, c’est l’ascèse. L’Exercice.
Voici le point d’Unité de ces trois principes de besoins, d’ascèse et de liberté. Si l’ascèse permet l’exercice de la liberté, elle est avant tout cet exercice du « devenir libre ». Bien plus qu’une possibilité de devenir, elle est la porte ouverte sur l’ « être libre ». Elle permet donc, par l’exercice qu’elle constitue et par la libération des besoins qu’elle permet, non seulement de faire l’expérience de la liberté, mais aussi de devenir libre, et enfin d’être la liberté.
Alyna – http://alynarouelle.wix.com/
Retrouvez les chroniques de Alyna Rouelle sur la Presse Galactique
[widgets_on_pages id= »COPYRIGHT »]