Comment votre attention est-elle orientée pour le moment ? Que regardez-vous, de quoi avez-vous conscience ? Observez-vous soigneusement. Vous constaterez que votre «regard» tend vers l’extérieur. Vos pensées tournent inlassablement autour des choses du monde. Baisser les paupières ne vous libère pas. Les formes et les images sont imprimées dans votre mental et vous obsèdent même lorsque vous dormez. Vos pensées répercutent les objets, elles leur font écho.
Bien qu’il semble intérieur, le monde des pensées est lui aussi extérieur, car le «je» ou votre fausse identité, est une sorte de corps étranger en vous. Le témoin perçoit l’ego au même titre qu’il perçoit les autres «objets». Seul celui qui perçoit est intérieur.
Essayez de comprendre que l’envahissement par les objets ne fait pas obstacle à la connaissance de soi. Le barrage est érigé par vos pensées. Un objet peut-il posséder l’âme ? Non, il ne peut absorber qu’un autre objet. L’âme est encerclée par les idées. Votre énergie, le phare de votre conscience se disperse, se réfracte en pensées. Les réflexions et elles seules vous emprisonnent et vous écartent de Cela, de votre condition originelle.
Le but est de retrouver l’état de vacuité, votre virginité naturelle. C’est un événement révolutionnaire ! Comment s’y prendre ? Examinons d’abord la genèse des pensées. Vous apprendrez ainsi à les arrêter dès le début. Beaucoup de chercheurs spirituels croisent le fer avec leurs pensées avant d’en avoir saisi la provenance. Jamais le mental ne sera maîtrisé de cette façon. Le seul résultat possible est la folie. Il est exclu de supprimer les idées, parce qu’elles se reconstituent constamment. Elles ressemblent au serpent mythologique, l’Hydre de Lerne. Ce monstre avait sept têtes qui repoussaient à mesure qu’on les coupait.
Je ne vous demande pas de combattre vos pensées parce qu’elles expirent toutes seules à tout moment. Elles ne durent jamais longtemps. Par contre, leur enchaînement, l’idéation se poursuit sans répit. La réflexion à peine éteinte est remplacée par une autre. Ce processus est extrêmement rapide, c’est le nœud du problème. Le drame ne vient pas de la mort d’une pensée, mais de sa résurgence immédiate. N’essayez pas de vous opposer à vos idées, tâchez de comprendre le mécanisme qui les débite, c’est lui qu’il faut prendre en main.
Ce sera aisé si vous comprenez vraiment ce dont il s’agit. Et retenez que s’opposer aux formations mentales est sans issue, l’esprit continuera inexorablement de vous torturer. Vous serez vaincus, c’est vous qui serez détruits.
Je le répète : les pensées ne sont pas des ennemies, le démon est ce qui les génère et les vomit sans retenue. En leur imposant une sorte de régulation des naissances, vous les chasserez dès qu’elles pointent le nez sans y être invitées. Si vous ne remontez pas à la source, le flot de l’idéation vous submergera sans merci, quels que soient vos efforts.
Par conséquent, ne vous occupez pas de vos formulations mentales, empêchez votre esprit de les produire. Vous savez que l’intellect est instable. En d’autres termes, l’idée à peine née passe et disparaît. En lui interdisant de vous importuner, vous vous épargnerez la violence qu’implique sa destruction.
D’où vient une pensée ? Sa conception et sa mise au monde résultent de notre réaction à ce qui n’est pas nous. Toute la responsabilité de l’idéation nous incombe, parce que nous ripostons machinalement et mentalement aux événements et aux choses du monde extérieur. Prenons un exemple. Je contemple une fleur. Regarder n’est pas penser.
Si je continue de regarder, sans plus, mon mental reste vierge. Mais si je réagis en disant: «Quelle jolie fleur !» une pensée s’interpose entre la fleur et moi. Par contre, si je vibre et réponds sans «réagir», si je m’absorbe dans la contemplation, je vis la beauté de la fleur et jouis d’elle en gardant un esprit immaculé, vide. Hélas ! Nous sommes incapables de vivre sans verbalisation. Le processus qui consiste à enfermer une expérience vivante dans des symboles, des mots, est la source des pensées.
Cette réaction devenue mécanique, cette habitude de réduire un vécu à des paroles, étouffe le réel et tue la fusion, la vision sous une avalanche d’interprétations. Le vrai est éliminé, l’éblouissement est refoulé, il ne nous reste que des mots, des débris à la dérive dans notre esprit. Nos pensées ne sont que des phrases et elles ont la vie brève. Pour ne pas être à court, nous transposons immédiatement toute nouvelle expérience en pensées, en mots, tout au long de notre vie. Sous ce déluge de paroles, dans ce vacarme mental, nous perdons conscience de notre propre réalité. Comment renoncer à cette drogue, à cette manie de scléroser la vie à grand renfort de langage ? Il faut maîtriser la genèse des pensées. Soyez attentifs, essayez de comprendre, je vous en prie.
Je vous regarde. Qu’arrivera-t-il si je continue de vous contempler sans rien transposer en paroles ?
Cela dépasse ce que vous pouvez imaginer de plus extraordinaire au niveau de conscience qui est le vôtre. La mutation est indescriptible, au plein sens du terme : elle se bloque dès que vous lui attribuez une étiquette, dès que vous essayez de la «penser». Quand je vous regarde sans paroles, donc sans la moindre réflexion sur ce que je suis en train de vivre, je constate qu’une grâce divine ineffable se déverse sur moi et que ce vide immaculé se propage dans toutes les directions. Lorsque la parole cesse de la limiter et de la défigurer, la conscience change de cap et je distingue peu à peu, en plus des hommes et des femmes que vous êtes, la lumière qui est notre source à tous. Comme si je m’éveillais d’un rêve, comme si mon esprit se déployait dans une clarté et une paix infinies.
Osho
Source: http://www.vivresanslimites.org/